La recherche d’un nouveau rabbin relève de la quête du Graal ou de Mission impossible. Les communautés exigent plus de compétences qu’auparavant parce que la composition et les besoins de ses membres ont changé. Un ami me disait récemment qu’il attendait de son rabbin qu’il reste dans sa synagogue, à diriger les offices, prononcer des sermons truffés de références juives et donner des cours aux enfants et aux adultes. Cet ami défend une opinion très minoritaire.
On demande au contraire au rabbin de s’engager dans la cité, de prendre position dans le débat public via Twitter et de faire des Facebook live, de proposer des séances de méditation, des prières de guérison et du conseil pastoral adapté à tous les cas de figure, y compris la dépression, la transition de genre ou l’euthanasie. On demande conseil à son rabbin, pas seulement pour préparer la bat-mitsva de sa fille ou les derniers moments de sa grand-tante, mais aussi pour recueillir des recommandations de vote ou de lecture, pour faire son coming out ou pour guérir d’une addiction. On s’attend à voir son rabbin faire un office à quatre pattes pour les tout-petits, accompagner les ados en colonie de vacances et participer à un colloque sur « bioéthique et religion ». Bref, il faut à la fois le don d’ubiquité, une flexibilité à toute épreuve et une polyvalence sans limite.
Mais la formation menant au rabbinat a elle aussi évolué. La smikha, l’ordination d’un nouveau rabbin par un rabbin qui a été son maître et qui estime que le candidat est prêt à assumer sa fonction, se faisait à un jeune âge – entre 20 et 30 ans –, en particulier dans le judaïsme orthodoxe. Dans les courants libéraux, les séminaires rabbiniques n’admettent que des candidats possédant au moins un diplôme universitaire de type bachelor ou licence (un master, c’est encore mieux, et il y a aussi des docteurs qui changent de carrière). Le ou la futur(e) rabbin a donc déjà un bagage universitaire (quelle que soit la discipline), une culture générale élargie, une certaine expérience à effectuer des recherches, écrire un texte cohérent, développer et défendre des idées originales.
Les séminaires rabbiniques d’aujourd’hui offrent non seulement un apprentissage sérieux des textes fondamentaux du judaïsme et de leur interprétation, mais aussi des travaux pratiques pour pouvoir préparer et tenir un sermon (un genre qui tient à la fois de l’essai et de la performance théâtrale), diriger un office de shabbat (délicat équilibre entre liturgie fixe et engagement des fidèles) et préparer une discussion animée et originale sur la parasha de la semaine. La formation au séminaire, qui est de type universitaire, s’accompagne de stages dans des communautés, où l’élève-rabbin se frotte au cycle des fêtes, au conseil pastoral, aux activités communautaires et fait parfois face à des situations de crise – une pandémie, une menace terroriste ou une déclaration antisémite.
Les nouveaux rabbins fraîchement ordonnés ont donc acquis un peu de bouteille lorsqu’ils commencent leur carrière. Mais il est rare qu’une communauté trouve la perle rare qui sache tout faire, et plus encore. Car nombre de communautés en quête de rabbin ne prennent pas le temps de réfléchir à leur profil, leurs membres, leurs besoins et leurs priorités. Quelle est sa taille ? Sa composition démographique ? Ses membres sont-ils réguliers et engagés, ou des fidèles occasionnels ? Est-elle vieillissante, ou au contraire attire-t-elle beaucoup de familles ? Est-elle située dans une grande ville ou en province ? Faut-il savoir parler plusieurs langues pour s’adresser aux fidèles ? Est-elle la seule synagogue locale ou y a-t-il d’autres communautés d’obédience différente (et donc d’autres collègues) avec lesquelles il faut composer ? La communauté a-t-elle besoin d’être revivifiée ? Doit-elle envisager une fusion, ou un partage de ressources ? Ou au contraire penser à un bâtiment plus grand, des offices dédoublés, voire un second lieu de culte ? Le nouveau rabbin officiera-t-il seul, ou fera-t-il partie d’une équipe rabbinique ?
Autant de questions essentielles qui doivent être posées en amont, déjà au moment de constituer une commission chargée d’examiner les candidatures, mais aussi lors des entretiens avec les candidats, la présentation des finalistes à la communauté (le fait accompli est un bon moyen de se mettre une partie de la communauté à dos) et l’engagement du nouveau rabbin. Alors la communauté se rend compte qu’elle a besoin de certaines qualités et moins de certaines autres, qu’elle cherche une intellectuelle qui aime enseigner et sache parler en public, ou un homme de terrain plus à l’aise dans le travail social, un rabbin jeune avec des idées novatrices ou au contraire quelqu’un en fin de carrière qui ne va pas tirer la communauté hors de ses habitudes.
Comme dans d’autres secteurs professionnels, les rabbins d’aujourd’hui doivent acquérir d’autres compétences (management, psychologie, psychanalyse, travail social, pédagogie, coaching) pour être mieux à l’écoute de leurs membres dans toute leur diversité et tous leurs besoins. Ils doivent aussi apprendre à quitter de temps en temps la bimah pour être présent sur d’autres terrains (politique, social, interreligieux, médiatique) tout en revenant toujours à la « maison », la bet knesset, la synagogue.
Si l’on y réfléchit sérieusement, on se rend compte que la profession de rabbin est beaucoup plus variée qu’il n’y paraît. Mais elle est sans doute plus exigeante de nos jours, car les besoins des Juifs ont évolué, augmenté et se sont diversifiés. On va peut-être moins à la synagogue, mais on demande davantage rendez-vous au rabbin. Aventurons-nous à dire que ce métier est l’un des rares qui ne connaisse pas de risque de chômage. Il ferait mentir la vieille blague des trois mères juives qui discutent des carrières de leur fils respectif. L’un est médecin, l’autre avocat, le troisième rabbin. « Rabbin ? Ce n’est pas un métier pour un juif ! », s’étonnent les deux autres.
Reste à créer des vocations parmi les nouvelles générations en leur montrant que c’est un job d’avenir, plein de possibilités et de surprises.