Mes amis se moquent parfois gentiment de l’habitude que j’ai développée, au cours des dernières années, de citer la Torah à tout bout de champ lorsqu’ils viennent me confier un problème ou me demander conseil. « C’est comme dans l’histoire d’Abraham ! », « Ça me rappelle cet épisode dans lequel Moïse… » Mais elle n’a plus que la Torah à la bouche celle-là ! ? ! Pour autant, j’assume et je persiste dans cette petite manie car je crois profondément au pouvoir consolatoire de nos récits, dont les mots peuvent, me semble-t-il, nous aider à penser et à panser nos maux. Quelques exemples, donc, de ces « remèdes bibliques à la mélancolie » !
Vous traversez une passe difficile ? Vous vous sentez bloqués, avec l’impression que tous vos horizons sont bouchés ? Relisez donc les histoires d’Abraham et de Joseph ! Le premier change radicalement de vie à l’âge vénérable de 75 ans. Il abandonne son lieu d’origine, ses croyances, et s’apprête à accueillir un fils, lui dont le couple était jusque-là demeuré infertile. Il n’y a pas d’âge pour les grands bouleversements, semble ainsi nous dire le texte ; vous pouvez toujours vous réinventer ! Trois générations plus tard, ce n’est pas autre chose que nous enseigne l’histoire de son arrière-petit-fils Joseph. Avec sa trajectoire sinusoïdale, faite d’une succession de hauts très hauts et de bas très bas, le parcours de Joseph illustre à la perfection l’adage traditionnellement attribué au roi Salomon : « Cela aussi passera ». Le rebondissement le plus spectaculaire de son histoire ? Après des années passées au fond d’une geôle, Joseph est libéré et, du jour au lendemain, nommé Premier ministre de Pharaon (!). Un récit qui nous apprend à considérer que rien n’est figé, et que la vie nous réserve à chaque instant de multiples possibilités.
Vous craignez la confrontation ? Vous fuyez le conflit autant que possible ? Pensez à Jacob, qui doit faire face à son frère Esaü, des années après avoir usurpé sa bénédiction. La veille des retrouvailles, Jacob n’en mène pas large ; son angoisse de l’affrontement est palpable. Et pourtant, la rencontre entre les frères est finalement un non-évènement. Au lieu du duel craint, il ne se passe… rien ! Les deux frères tombent dans les bras l’un de l’autre, et c’est tout. « Tout ça pour ça ? », se demande le lecteur. Eh oui, ce passage illustre justement parfaitement que l’anxiété est couramment déconnectée de la réalité, et que les choses que l’on redoute se passent finalement souvent bien mieux que ce que l’on avait imaginé. La prochaine fois que vous aurez peur d’un conflit, demandez-vous donc si le scénario catastrophe que vous craignez est probable, ou si vous avez juste tendance à vous faire des films (d’horreur).
Vous êtes victimes du fameux syndrome de l’imposteur ? Consolez-vous en vous rappelant que le plus grand héros de la Bible, Moïse himself, ne se croyait pas « fait pour le job ». Lorsque Dieu lui demanda d’aller libérer les Hébreux de leur servitude, lors du fameux épisode du buisson ardent, il lui fit la réponse suivante : « Qui suis-je pour aller vers le Pharaon et faire sortir d’Égypte les fils d’Israël ? (…) Je t’en prie, Éternel, je ne suis pas doué pour la parole… » (Exode 3,11 et 4,10) Si Moïse ne croyait pas en ses capacités et a pourtant mené tout un peuple hors de l’esclavage, alors vous aussi êtes certainement à la hauteur des responsabilités que l’on vous confie, même si vous ne vous en rendez pas toujours compte !
Vous pouvez aussi vous inspirer de l’histoire de Moïse s’il vous arrive de vous sentir au bord du burn-out, découragés face à l’immensité de la tâche à accomplir. Ce sentiment d’accablement est en effet familier de notre prophète (tout comme d’ailleurs d’autres prophètes bibliques, tels Jonas ou Élie). Moïse éprouve ce découragement à plusieurs reprises tout au long de l’errance dans le désert, notamment lorsque, pour la énième fois, le peuple se plaint de ses conditions de vie et regrette le bon vieux temps de l’Égypte – où la nourriture, visiblement, était meilleure. Face au courroux divin qui s’abat alors, Moïse craque : « Je ne puis plus, à moi seul, porter tout ce peuple ; il est trop lourd pour moi. Si c’est ainsi que tu me traites, fais-moi plutôt mourir ! Que je n’aie plus à subir mon triste sort ! » (Nombres 11,14). Dieu réagit alors d’une façon qui peut nous inspirer : en permettant à Moïse de dé-lé-guer.
La lecture du livre de Job, tout comme celle de certains Psaumes (notamment le 88), peut enfin s’avérer consolatoire pour des personnes en grande souffrance, en mettant des mots justes sur les maux injustes qui les frappent – par exemple un deuil, ou tout type de traumatisme. Elle offre également une importante leçon pour l’entourage des personnes concernées. À travers le contre-exemple des « amis » de Job, qui cherchent absolument à trouver une cause à son malheur et ne font finalement que l’aggraver, le récit nous invite au contraire en filigrane à écouter l’expression de la souffrance de l’autre sans la juger ni tenter de l’expliquer.
Toutes ces histoires n’en sont que quelques-unes parmi des dizaines d’autres dont il est possible de tirer des enseignements réconfortants à leur manière. On peut aussi penser au roi David, au prophète Élie, au personnage de Hannah… et à mille autres héros et héroïnes bibliques dont les imperfections, les failles mêmes peuvent nous inspirer et nous aider à mieux prendre soin de nous… mais aussi des autres. Alors, Thorapie individuelle ou collective ?