Conformément à la tradition qui oppose de manière ancestrale, de la synagogue jusqu’en cuisine, les Sépharades aux Ashkénazes, l’alcool ne saurait être exclu de la bataille.
Friture ou vapeur ? Boulettes ou pot-au-feu ? Riz ou pommes de terre ? Roger Hanin ou Sigmund Freud ? Harissa ou Cornichons ? Kasher ou bling-bling ? Youyou ou Silence ? Kiffe ou seum ?
Autant de questions qui, outre l’origine géographique de notre judéité, tentent de répondre encore et toujours à la question ultime de notre définition en tant que juif et de notre authenticité à l’être, comme à le devenir dans le respect des traditions et de la transmission.
Or, avec cette question « Vodka ou boukha ? » il s’agit ici, d’alcool dans le sang, offrant une interrogation cruciale, pour poursuivre la vérification de nos différences.
La vodka (du polonais: wódka, russe: водка) est une boisson alcoolisée incolore titrant environ 40 degrés. L’origine de cette eau-de-vie se situe en Russie ou en Pologne. Elle est traditionnellement produite à partir de céréales (seigle, blé) et de pommes de terre, mais d’autres produits agricoles peuvent être utilisés, comme la betterave (mélasse) et les fruits (pommes, prunes).
Le terme francisé « vodka » peut se traduire littéralement par « petite eau ». Dans les langues slaves, le mot « eau » se dit voda (dont l’orthographe en russe est вода, et en polonais woda), le ka ayant une valeur hypocoristique, c’est-à-dire une forme linguistique exprimant une intention affectueuse. Le terme apparaît pour la première fois dans un manuscrit de Sandomir en 1405, signifiant « petite étendue d’eau ».
Bien plus tard, les Bolcheviks interdisent la fabrication de vodka, ce qui provoque une forte augmentation des vodkas frelatées, distillées à domicile (samogon). Ils lèvent cette interdiction en 1925. Mais, après la révolution de 1917, l’émigration russe et les déplacements favorisent entre les deux guerres la diffusion de la consommation de la vodka en Europe et en Amérique du Nord. Intégrée au patrimoine culturel européen, elle a même son inscription en droit de l’Union en vue de sa protection juridique.
Ainsi, conformément au règlement (CE) No 110/2008 du Parlement européen et du Conseil du 15 janvier 2008, la vodka est l’eau-de-vie élaborée à partir d’alcool éthylique d’origine agricole. Elle est obtenue par fermentation alcoolique par la levure puis distillation ou rectification. Le titre alcoométrique volumique minimal de la boisson est de 37,5 %. On peut classer les vodkas en deux catégories: vodkas pures et vodkas aromatisées.
La boukha, elle, est une eau-de-vie de figues distillée dès la fin du xixe siècle, vers 1970, à l’initiative d’un Juif tunisien, Abraham Bokobsa, dans ses ateliers artisanaux de la Soukra. Son nom signifie « vapeur d’alcool » en dialecte judéo-tunisien ou judéo-berbère.
Elle est obtenue par distillation naturelle de figues, principalement originaires de Tunisie et de Turquie, et sa production tunisienne atteint 3415 hectolitres en 1903. Elle titre entre 36 et 40 degrés d’alcool.
Jusqu’ici tout va bien et la bataille boukha/vodka pourrait justement avoir lieu si Yaakov Bokobsa, le grand-père d’Abraham, n’avait pas existé.
En effet, c’est ce distilleur russe, Yaakov Bokobsa qui, s’enfuyant vers le Sud au début du xixe siècle, atterrit en Tunisie avec son seul bien (sa distille- rie mobile) et invente la boukha en remplaçant les pommes de terre par la figue.
Dès lors, selon la légende, quand Yaakov termina de produire son « Eau-de-Vie » à base de figues, il l’appela tout naturellement Vodka. En lettres cyrilliques russes, voici comment s’écrit le mot « vodka »: ВОДКА. Les Tunisiens ne pouvant pas lire le Russe, le nom fut vite prononcé BOUKA puis BOUKHA. La bouche est friande de lettres et de litres ! Dès lors, même si elle ne paraît pas être un « alcool de fille », la Boukha est bien la fille de la Vodka. Absolut étant peut-être déjà dans l’indicible, plus qu’une marque mais le signe d’une authenticité pure.
Ainsi, avec cette petite histoire nous retombons joyeusement à cloche-pied sur nos interrogations ancestrales et c’est autant de questions juives qui nous noient dans un verre d’eau-de-vie.
D’ailleurs si l’on file la métaphore, seule la mère vodka et la fille boukha peuvent ensuite servir de base à de nombreux cocktails contemporains à la mode à travers le monde, donnant parfois même leur nom à des titres de chanson, tel La Fouine, avec Redbull & vodka en 2013.
Pour résumer, c’est donc plus qu’un verre de l’amitié qui unit vodka et boukha, mais un verre de famille. Un verre à nous, un verre à soi, qui raconte les Juifs dans les vapeurs d’alcool, une mise en abîme des déplacements spiritueux, des mouvements spirituels, les Juifs dans une totalité de faïence faite de failles, Juifs du livre et de l’ivresse, Juifs de la mémoire et de l’oubli, Juifs de la conscience et de l’inconscient qui sortent d’Égypte à chaque gorgée, Juifs de l’humour aux larmes d’eau-de- vie. Juifs enfin de l’exode, s’offrant toujours « un dernier pour la route ». LeHaïm !