Réflexions d’un rabbin engagé
Tallandier, 2021, 15,90 euros

Reprenant le vieux proverbe yiddish « heureux comme Dieu en France » et y ajoutant un point d’interrogation, notre collègue le rabbin Yann Boissière nous présente un plaidoyer qui traduit son espérance. L’espérance que la communauté juive de France a encore un rôle à jouer tant pour son développement interne que dans l’espace public français.

Bien entendu, il s’agit de notre « judaïsme », celui qui se déclare « en mouvement », qu’incarne avec beaucoup de cœur et d’intelligence notre auteur. On lira avec émotion, au début, le témoignage de sa propre conversion au sein du MJLF, comme pour mieux affirmer les prémices de sa pensée. Entre l’assimilation et une orthopraxie fermée et, malheureusement, souvent intolérante, Yann Boissière opte pour la troisième voie : le judaïsme dans la modernité, le judaïsme dans la cité, le judaïsme dans notre temps contemporain. Avec clairvoyance, il prend acte du regain des discours et des actes antisémites, qui s’abreuvent notamment de la non‐​résolution du conflit israélo‐​palestinien, discours qui troquent la vérité historique contre le parti pris partisan. Aussi, dans le chapitre « Une communauté inquiète », Yann Boissière exprime‐​t‐​il les inquiétudes légitimes d’une communauté partagée entre partir et résister. Malgré ses inquiétudes et de solides arguments d’analyse, notre rabbin opte pour le bon sens d’une société laïque qui ne dérivera pas.

Tout ne dépend pas de nous mais, ce qui dépend de nous, ne le bâclons pas : réaffirmer le principe talmudique « la Loi du pays est la Loi » pour poser le primat de la citoyenneté et de la laïcité. Maintenir le dialogue interreligieux bien engagé avec l’Église et développer celui avec les esprits éclairés de l’islam (imans, islamologues, universitaires, etc.) peut permettre ce que l’auteur nomme l’« interconvictionnalité ». Idée originale qui propose de faire se rencontrer, sans les confondre, les convictions religieuses et les impératifs laïcs. Ce que propose, entre autres, l’association « Les voix de la Paix ».

Heureux comme un Juif en France ? est un livre lucide qui ne cache pas les doutes des uns et des autres, mais qui reste traversé par l’espoir de notre judaïsme d’ouverture.

Philippe Haddad, rabbin de JEM

Faut‐​il manger du jambon pour être français ?
Hermann, 2019, 22 euros

Ce n’est pas une sortie toute récente mais notre découverte de ce livre nous a donné envie de partager, d’autant que les questions abordées ici il y a deux ans n’ont rien perdu de leur actualité. Partant des débats flottants qui entourent la consommation de porc en France, les deux historiens mènent une réflexion sur la porosité et les résistances de l’identité française aux mutations que porte notre temps.

Malgré la gravité du sujet et du débat, les auteurs jouent d’un style enlevé et souvent drôle, d’un langage moderne et fluide, sans abandonner pour autant la précision du mot et une forme de didactique que l’on retrouve aussi dans la volonté d’aborder de façon exhaustive les enjeux qui se jouent autour du cochon.

Antoine Strobel-Dahan

Un voyage en 80 dates de l’Antiquité à nos jours
PUF, 2020, 29 euros

Comme une petite encyclopédie historique, laissez‐​vous guider à travers une trentaine de siècles d’histoire juive. En trois grandes parties, de l’origine au vii^e siècle, puis du Moyen‐​Âge à l’émancipation, enfin de 1791 à nos jours, on peut se faufiler dans ce livre par ordre chronologique ou se laisser aller à picorer un texte ou un autre, qui dépassent rarement six pages chacun, dans le désordre.
Pierre Savy, Katell Berthelot et Audrey Kichelewski (sur l’initiative scientifique d’Ivan Jablonka) parviennent à maintenir tout du long une harmonie et une fluidité entre les soixante‐​dix auteurs parmi lesquels vous reconnaîtrez bien des contributeurs déjà croisés dans ces colonnes.
Cette somme permet d’apercevoir la formidable irrégularité de cette histoire et de ses traditions. En navigant ainsi entre les hauts faits et les drames de l’histoire juive se dessine un portrait à la fois singulier et mouvementé, parfois euphorique, d’un peuple aussi divers qu’uni ; ce qui est si simplement résumé par cette phrase de Nathalie Muchnik dans l’article « 1656. La mise au ban de Spinoza » : « Certains de ces ‘hommes du doute’, comme de ceux qui restent à distance de la synagogue, seraient malgré tout foncièrement attachés à la communauté et au judaïsme sans en partager l’intégralité du dogme et des rituels ».

Un ouvrage de référence vers lequel nous reviendrons souvent.

Antoine Strobel-Dahan