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Pourquoi je vis en Israƫl
PubliƩ le 23 juin 2018

3 min de lecture

Aux alentours de mon treiziĆØme anniversaire, je dĆ©couvre avec fascination l’histoire des pionniers sionistes. Ce qui me frappe alors, ce n’est pas tant l’appel de la terre ou le goĆ»t du danger. Non, c’est le cĆ“tĆ© proprement, outrageusement, rĆ©volutionnaire de leur dĆ©marche. 

J’identifiais alors ma jeunesse Ć  la leur. Certes, des dĆ©cennies sĆ©paraient le quotidien d’une jeune juive berlinoise ou polonaise de celui d’un adolescent juif franƧais, mais entre les deux, quelque chose de commun : ce sentiment d’avoir une identitĆ© juive, comme d’autres ont un handicap. Cette identitĆ© juive Ć©tait totalisante, j’étais juif avant tout, c’est ainsi qu’on m’avait Ć©duquĆ©, c’est ainsi que la sociĆ©tĆ© me voyait (malgrĆ© mes moult efforts pour dissimuler mon judaĆÆsme orthodoxe en territoire hostile, c’est-Ć -dire Ć  l’extĆ©rieur du cocon communautaire). Cette identitĆ© dĆ©fensive ne possĆ©dait aucun contenu positif, aucun horizon. 

L’ultime message Ć©ducatif que m’inculquait l’école juive Ć©tait celui de la transmission, qui en rĆ©alitĆ© se rĆ©sumait Ć  une simple ordonnance de survie identitaire. Dans ma communautĆ©, qui se vantait pourtant d’être un modĆØle d’ouverture et de rĆ©flexion, l’interdit Ć©tait la rĆØgle. Poser trop de questions menaƧait les dogmes invisibles qui la structuraient. Trop de contacts avec l’extĆ©rieur pouvaient, au choix, provoquer un hiloul hashem, terme gĆ©nĆ©rique pour imposer une omerta sacrĆ©e, ou causer une brutale assimilation. Tout Ć©tait danger, tout Ć©tait mĆ©fiance. Sois juif et tais-toi.
Surgissaient alors ces images de pionniers qui s’étaient un jour rebellĆ©s contre le judaĆÆsme Ć©tabli, pour exiger une judaĆÆtĆ© vivante. Ayant baignĆ© dĆØs le plus jeune Ć¢ge dans la source de la tradition, les premiers sionistes religieux, adeptes de la Ā« sainte rĆ©volte Ā», me fascinaient plus encore que leurs collĆØgues laĆÆques. RĆ©volte contre l’establishment rabbinique, rĆ©volte contre l’establishment communautaire, le tout non pas pour faire table rase du judaĆÆsme mais bien pour lui permettre enfin une existence digne de ce nom.

ƀ travers eux, je rĆ©alisais que je pouvais ĆŖtre le juif que je voulais ĆŖtre ; qu’être pleinement juif, c’était aussi n’être pas seulement juif. La richesse de l’existence possible l’emportait sur la pauvretĆ© de l’essence juive Ć  laquelle on voulait me rĆ©duire : une essence trop occupĆ©e Ć  perdurer pour se nourrir du monde et nourrir le monde en retour. 

Mais pour cela, il fallait s’enfuir au loin, partir en un lieu où l’être juif se conjugue Ć  tous les temps et ne se construit pas par opposition. Pour moi, l’alyah fut incontestablement un Ć©panouissement personnel. Enfin, mon ĆŖtre juif pouvait s’émanciper du carcan identitaire, enfin ĆŖtre juif ne signifiais plus Ā« ne pas ĆŖtre autre chose Ā» mais ouvrait devant moi une infinie libertĆ©. 

Paradoxalement, c’est en venant en IsraĆ«l que j’ai enfin pu apprĆ©cier de nombreux Ć©lĆ©ments de mon identitĆ© franƧaise, et pourtant, je sais que je ne pourrais plus jamais quitter cette judaĆÆtĆ© au savoureux goĆ»t de libertĆ©. Où, ailleurs sur terre, pourrais‐​je trouver ce bouillonnement intellectuel juif, en perpĆ©tuel devenir ? Où pourrais‐​je ressentir au quotidien qu’une question, une rencontre ou mĆŖme une confrontation ne saurait ĆŖtre un danger mais est au contraire une occasion d’élargir un peu plus l’horizon Ć  explorer ? 

Le Juif de Diaspora me reprochera peut‐​être d’exagĆ©rer, tant il entend parler Ć  longueur de journĆ©e de la fragmentation de la sociĆ©tĆ© israĆ©lienne, du cloisonnement identitaire supposĆ©, au sein des multiples sous‐​groupes qui la forme. Sans nier les tensions sociales existantes, sans effacer les dizaines de problĆØmes politiques et sociaux de ce pays, je soutiens malgrĆ© tout que la sociĆ©tĆ© israĆ©lienne est une immense mosaĆÆque en devenir, faite de piĆØces communicantes et dynamiques. 

LA SOCIƉTƉ ISRAƉLIENNE EST UNE IMMENSE MOSAƏQUE EN DEVENIR

Tout en Ć©crivant ces lignes dans l’enceinte de la bibliothĆØque nationale, je porte un rapide coup d’œil aux amis et connaissances autour de moi. Ici, un ultraorthodoxe, en chemise blanche et tallit, flĆ¢ne dans les rayons de philosophie analytique Ć  laquelle il consacre son doctorat ; là‐​bas, une amie laĆÆque fĆ©rue de Talmud dĆ©chiffre une page en aramĆ©en. Un professeur de critique biblique monte Ć  l’étage pour la priĆØre de Minha. Dans une semaine Ć  peine, les rues de JĆ©rusalem dĆ©borderont de personnes venues assister aux nuits d’études de Shavouot, aussi plurielles que les ĆŖtres eux‐​mĆŖmes. Sur les mĆŖmes pages dĆ©roulant les programmes on trouve, au choix, un cours d’une femme rabbin ou celui du grand rabbin de JĆ©rusalem ; une confĆ©rence d’une journaliste ultraorthodoxe ou un concert au sĆ©minaire rĆ©formĆ© ; une soirĆ©e d’étude organisĆ©e par les associations LGBT religieuses ou une invitation aux cĆ©rĆ©monies alternatives des kibboutzim.

Autant d’identitĆ©s en apparence contradictoires et pourtant si fluides, qui ne puisent leur harmonie que dans la vie juive elle‐mĆŖme. 

Si je vis en IsraĆ«l, c’est indĆ©niablement pour les gens qui le composent. En les voyant, en faisant partie d’eux, je crois au lendemain. Avec de telles personnes, IsraĆ«l trouvera un jour la force de surpasser ses conflits, de panser ses blessures et d’assembler ses tesselles humaines en une mĆŖme mosaĆÆque.