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Zohar Wexler lit Henri Rozen‐Rechels

Henri Rozen-Rechels , 10 ans lors de sa dƩportation

DƩportƩ fin 1943 de Demblin Ơ Czestochowa.

Henri Rozen est nƩ en 1933 en Pologne.
Le 6 mai 1942, son frĆØre et sa sœur sont dĆ©portĆ©s de Demblin au camp d’extermination de Sobibor. ƀ l’automne, il est amenĆ© au camp de travail de Demblin avec d’autres membres de sa famille. Fin 1943, il est dĆ©portĆ© avec son grand-pĆØre au camp de Czestochowa. Un an plus tard, ils sont Ć©vacuĆ©s en wagons Ć  bestiaux au camp de concentration de Buchenwald  Puis, en avril 1945, ils subissent un transfert Ć  pieds et en wagons ouverts vers Theresienstadt. Le 8 mai, le convoi est accueilli par des partisans en gare de Prague, Henri est libre mais son grand-pĆØre est mort dans le train. En juillet 1946, Henri arrive Ć  Paris avec sa mĆØre aprĆØs ĆŖtre passĆ© clandestinement par l’Allemagne depuis la Pologne.

Tenoua
PubliƩ le 7 avril 2021

4 min de lecture

Extrait de Je revois… Un enfant juif polonais dans la tourmente nazie de Henri Rozen-Rechels
Ɖditions Le Manuscrit/​Fondation pour la MĆ©moire de la Shoah, 2012

Henri Rozen-Rechels, nĆ© Rozen en 1933 Ć  Demblin‐​Jrena, en Pologne.
DĆ©portĆ© avec son grand‐​pĆØre Ć  10 ans au camp de Czestochowa.
Fin 1944 : Henri et son grand‐​pĆØre sont Ć©vacuĆ©s en wagons Ć  bestiaux au camp de Buchenwald.
Avril 1945 : transfert Ć  pieds et en wagons ouverts en direction de Theresienstadt. 
8 mai 1945 : le convoi est accueilli par des partisans en gare de Prague, le grand‐​pĆØre d’Henri y git sans vie. Avec sa mĆØre, ils Ć©migrent clandestinement Ć  Paris où Henri saute rapidement deux classes et obtient le certificat d’études. Il Ć©pouse Jeanne avec qui il a deux fils.

Le jour commenƧait Ć  poindre Ć  travers les interstices du wagon, lorsque les portes coulissĆØrent avec fracas et s’ouvrirent. Un paysage blanc et glacial nous a accueillis. Encore plus glaciales, les premiĆØres images. Les SS alignĆ©s le long du convoi, avec bergers allemands, hurlant des ordres pour nous faire mettre en rangs. Je basculais de mon rĆŖve en plein cauchemar. Je revois les miradors au‐​dessus de nos tĆŖtes, avec mitrailleuses pointĆ©es sur nos tĆŖtes. Les barbelĆ©s, et surtout la grande porte, l’entrĆ©e du camp de Buchenwald. 

Je me sentais pris dans un tourbillon d’irrĆ©el, de fin du monde. Nous Ć©tions dans le monde concentrationnaire. L’ultime marche vers l’horreur, imaginĆ©e par les nazis. 

La suite des Ć©vĆ©nements me revient par flashs, plus ou moins nets. La pression de la main de mon grand‐​pĆØre dans la mienne, pour me rassurer. Il Ć©tait toujours lĆ  pour me protĆ©ger. Je rĆ©alise de plus en plus la chance que j’ai eue d’avoir presque toujours prĆØs de moi une maman, un grand‐​pĆØre, pour me tranquilliser. 

Je nous revois dans une grande salle, complĆØtement nus, tremblant de froid, alignĆ©s les uns contre les autres. Une image bien prĆ©cise, avec beaucoup de nettetĆ©. Je me trouvais Ć  la droite de mon grand‐​pĆØre, serrant ma petite main dans la sienne. Il me disait de ne pas avoir peur. Où puisait‐​il cette force alors que, parfaitement conscient de notre situation, il devait ĆŖtre bien plus terrorisĆ© que moi ? De nouveau, tout est flou dans ma mĆ©moire. 

Nous sommes passĆ©s sous des douches, avec apprĆ©hension. Des rumeurs entendues, enfouies dans nos mĆ©moires qui ressurgissaient… Je me souviens d’une grande bassine, il fallait s’y tremper entiĆØrement. Je me souviens de la peur que j’ai ressentie, j’ai pensĆ© Ć  la mort. Je ne voulais pas, j’ai rĆ©sistĆ©. Une main puissante s’est posĆ©e sur ma tĆŖte et m’y a enfoncĆ©. Ç’a Ć©tĆ© trĆØs rapide. 

Vague souvenir d’un passage dans une autre salle, où l’on nous a distribuĆ© des habits. C’étaient nos premiers uniformes rayĆ©s. Jusqu’à Buchenwald, dans les camps où nous avions Ć©tĆ© internĆ©s, nous avions toujours pu conserver une partie de nos affaires. Sur ce plan Ć©galement, Buchenwald a marquĆ© une rupture totale avec le monde que nous avions connu. Et puis, nous nous sommes retrouvĆ©s dans notre premier Block. Je suis presque sĆ»r que c’était le Block no 63. Je me souviens d’avoir ressenti un grand soulagement. Il y avait un peu de chaleur, on nous a servi une ration de nourriture. Je recommenƧais Ć  me sentir en sĆ©curitĆ©, mon grand‐​pĆØre Ć  mes cĆ“tĆ©s, qui me protĆ©geait. 

Comment ai‐​je pu oublier ? La journĆ©e devait commencer tĆ“t Ć  Buchenwald. Je retrouve difficilement le dĆ©roulement chronologique d’un jour ordinaire. Seulement des instants. Le premier rĆ©veil dans le chĆ¢lit. ƀ cĆ“tĆ© de moi, je croise un regard fixe, sans vie. Je dĆ©tourne la tĆŖte. Tout Ć  l’heure, il ira rejoindre les autres cadavres, Ć  l’extĆ©rieur du Block. Le service de ramassage passera. Une Ć©quipe de deux ou trois internĆ©s, avec de grandes brouettes, chargĆ©e de transporter les morts. Destination, les fours crĆ©matoires. Cadavres squelettiques, empilĆ©s dans tous les sens, aux regards Ć©teints. Ils ont cessĆ© de voir l’horreur. Ici la mort ne fait plus peur. Elle a perdu de son mystĆØre. Nous la cĆ“toyons Ć  longueur de journĆ©e. Elle fait partie de notre univers quotidien. 

(…)

Notre camp, dit Ā« le petit camp Ā», se trouvait, me semble‐​t‐​il, Ć  l’extrĆ©mitĆ© du complexe concentrationnaire de Buchenwald. DerriĆØre notre Block, je me rappelle seulement les barbelĆ©s, champs et miradors. Block no 66. Seulement des enfants. Au bout de combien de temps y ai‐​je Ć©tĆ© transfĆ©rĆ© ? Quelques semaines, me semble‐t‐il. (…)

Pour moi, de me trouver avec les autres enfants, je me souviens d’une atmosphĆØre plus dĆ©tendue, moins oppressante, un certain espoir. Je me remĆ©more, en particulier, une soirĆ©e. La tempĆ©rature Ć©tait douce, il flottait dans l’air un parfum printanier. Nous avions nos cœurs plus lĆ©gers. Assis par terre, en cercle, nous chantions. C’est pendant cette soirĆ©e que j’ai entendu mes camarades fredonner Arim deim Faier (Ā« Autour du feu Ā»). Un chant nostalgique et plein d’espoirs. Depuis, lorsqu’il m’arrive d’entendre cette mĆ©lodie, ce sont ces instants que je revis au plus profond de moi‐​mĆŖme. Ce soir‐​lĆ , une petite lueur d’espoir semblait nous parvenir de notre longue nuit. 

Parmi nous se trouvait un garƧon nommĆ© Ɖlie Wiesel. Le destin Ć©tait en marche. Qui aurait pu le prĆ©voir ? GrĆ¢ce Ć  ses Ć©crits, j’ai pu situer certaines dates et me remĆ©morer des instants que nous avons vĆ©cus ensemble. 
Notre libĆ©ration approchait. Cela se percevait Ć  travers l’atmosphĆØre qui rĆ©gnait dans le camp. Le bruit des canons se rapprochait. Une surveillance nettement relĆ¢chĆ©e, on sentait la fin. ƀ travers les haut‐​parleurs, des ordres Ć©taient lancĆ©s de se rassembler devant son Block et de se diriger vers un lieu d’évacuation. Il Ć©tait possible de s’y soustraire car l’encadrement Ć©tait de plus en plus anarchique. Nous Ć©tions partagĆ©s entre l’espoir et la crainte. Le bruit courait que les SS allaient tout faire sauter avant leur fuite. Quoi faire ? J’ai devant les yeux le visage d’un ami de mon grand‐​pĆØre. J’entends ses paroles : Ā« Advienne ce qui voudra, moi je n’irai pas plus loin. Ā» Grand‐​pĆØre m’a demandĆ© ce que je voulais faire. Je lui ai dit que je voulais partir, car j’avais peur de la menace. Fallait‐​il qu’il soit abattu et dĆ©couragĆ© pour me demander Ć  moi, l’enfant, de prendre la dĆ©cision.

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