
Le titre dit : « Plus de 80000 manifestants contre la réforme judiciaire ».
En dessous : Ā« [Tzipi] Livni : āLa dĆ©mocratie est nonānĆ©gociableā Ā».
Juifs, nous venons de cĆ©lĆ©brer Tou biShvat, le nouvel an des arbres, une espĆØce de printemps quelque peu anachronique face aux tempĆ©ratures nĆ©gatives des nuits parisiennes et plus encore pour ceux qui, comme moi et tant de Juifs, vivent dans le nordāāest amĆ©ricain où les tempĆ©ratures atteignent parfois des chiffres surrĆ©alistes. Cela peut donc sembler lointain pour certains dāentre nous diasporiques mais il sāagit pourtant dāun printemps sur la terre dāIsraĆ«l et de la Bible.
Ce printempsāāci se lĆØve contre Yariv Levin, ministre israĆ©lien de la Justice, qui propose Ć la majoritĆ© parlementaire une nouvelle lĆ©gislation qui garantirait Ć lāexĆ©cutif les pleins pouvoirs sur la nomination des juges, y compris ceux de la Cour suprĆŖme tout en limitant leur pouvoir ; qui, surtout, permettrait Ć la Knesset de dĆ©faire les dĆ©cisions de ladite Cour suprĆŖme (Beit haMishpat ha'Elyon), une rĆ©forme dĆ©noncĆ©e pĆŖleāāmĆŖle par le Procureur gĆ©nĆ©ral dāIsraĆ«l, le PrĆ©sident de la Cour suprĆŖme, et une large majoritĆ© des universitaires, Ć©conomistes, juristes, leaders dāopinion du pays. Mais qui devrait ĆŖtre soumise au Parlement (et adoptĆ©e) dāici la fin du mois de fĆ©vrier.
Quelques mots de contexte : un nouveau gouvernement a Ć©tĆ© investi il y a peu en IsraĆ«l, sous la tutelle du phÅnix de la droite locale, Bibi Netanyahou, qui ne renaĆ®t cette fois de ses cendres (et de ses procĆØs) quāau prix dāune alliance (64 dĆ©putĆ©s sur 120) avec le plus extrĆŖme de ce que la politique israĆ©lienne a enfantĆ©, Ć commencer par Ben Gvir (dĆ©sormais ministre de la sĆ©curitĆ© intĆ©rieure). BG semiāāautomatique Ć la ceinture quand il nāest pas dans la main, BG qui a Ć©levĆ© ses enfants sous le portrait de lāignoble terroriste du caveau des patriarches Ć Hebron, BG qui comprend Ā« vraiment vraiment Ā» ceux de ses dĆ©putĆ©s qui veulent emprisonner les chefs de lāopposition, BG qui aurait promis Ć Bibi de ne pas se rendre sur le Mont du Temple /ālāEsplanade des MosquĆ©es mais lāa quand mĆŖme fait, tĆ“t le matin, entourĆ© dāune sĆ©curitĆ© papale, ou lāart de se faire passer pour un brave quand on lance un ballon dāessence sur un brasier dormant de Ā« vraiment vraiment Ā» loin parce que, bon, le feu, Ƨa brĆ»le. Une pure provocation pour montrer Ć son nouveau chef Ć quel point cāest lui qui maĆ®trise les flammes du suprĆ©matisme juif en IsraĆ«l, quāil allumera le feu quand et où bon lui chante.
IsraĆ«l, pourtant, ne manque pas de braves. Courageux immigrĆ©s qui doivent intĆ©grer en moins de temps quāon nāen prend pour le dire une sociĆ©tĆ© Ć la fois si moderne et si individualiste, jeunes gens ā femmes, hommes et autres genres ā appelĆ©s sous les drapeaux en service actif si loin si loin de nos adolescences europĆ©ennes et amĆ©ricaines, entrepreneurs audacieux et courageux, scientifiques prolifiques, Ć©conomistes visionnaires, philosophes crĆ©atifs, artistes disruptifs, questionnant et nĆ©anmoins acclamĆ©s et approuvĆ©s par le marchĆ©, Ć©tudiants religieux frugaux, rĆ©fugiĆ©s et gens de maisons venus de la Corne de lāAfrique ou du SudāāEst asiatique, jeunes penseurs religieux farouchement rigoureux et iconoclastes, universitaires boycottĆ©s et pourtant si excitants, planteurs du dĆ©sert, agriculteurs des collines menacĆ©es, citoyens arabes se sentant diablement israĆ©liens, retraitĆ©s europĆ©ens en recherche de judĆ©itĆ©, citoyens juifs retrouvant leur arabitĆ©, leur persanitĆ©, leur russianitĆ©, leur africanitĆ©, leur indianitĆ©, leurs trĆ©sors culturels et humains, de ceux qui ont fait ce pays malgrĆ© tout.
IsraĆ«l est comme le printemps : un miracle auquel ne croiront jamais les sceptiques, les engoncĆ©s, les fatalistes, les sinistres. Il y a ceux qui haĆÆssent la possibilitĆ© de la renaissance, ceux que les bourgeons dĆ©bectent, ceux qui voudraient que lāĆ©tĆ© succĆØde Ć lāĆ©tĆ© sans hiver au milieu pour faire renaĆ®tre. IsraĆ«l est comme le printemps et fleurit aujourdāhui, fragile et rĆ©voltĆ©, prometteur et dangereux. Qui sait ce qui sortira des bourgeons cette annĆ©e ? Des fruits savoureux qui nourriront lāĆ¢me juive ou des baies empoisonnĆ©es qui la terrasseront ?
Aujourdāhui en IsraĆ«l se lĆØve un monde. Ces arpenteurs des rues de Tel Aviv, de HaĆÆfa, de JĆ©rusalem, de Raāanana, de Kfar Saba et mĆŖme de Beer Sheva ne demandent quāune chose : que cesse lāoffensive du nouveau Bibi-cabinet contre le systĆØme judiciaire du pays. Cela fait plusieurs semaines que des dizaines de milliers de ces IsraĆ©liens, juifs (il y a longtemps que les citoyens musulmans ou chrĆ©tiens dāIsraĆ«l ont admis que les cabinets de Bibi ne les entendraient pas) et certainement pas suspects dāantisionisme, se regroupent pour rĆ©clamer la fin de la rĆ©forme judiciaire que ni Bibi ni quelque dĆ©mocrate qui soit, ne pourrait lĆ©gitimement et de bonne foi dĆ©fendre.
Ā« Sauver le pays Ā», a dit Yair Lapid, ancien premier ministre et chef du parti dāopposition centriste Yesh Atid ([Il existe un futur], kind of Ā« Yes we can Ā»). Sauver IsraĆ«l, disait Lapid, tandis que le maire de Tel Aviv, Ron Huldai, menaƧait : Ā« Si les mots sont vains, alors dĆ©buteront les actes Ā». Cāest que la menace est de taille : la nouvelle rĆ©forme que tente dāimposer le gouvernement dāextrĆŖme-droite entend soumettre la Cour suprĆŖme, instance juste, symbolique et intemporelle, au bon vouloir du toujours trĆØs Ć©phĆ©mĆØre parlement israĆ©lien. MĆŖme lāancien chef de la police, Roni Alsheikh, a dĆ©noncĆ© cette tentative de soumettre le juridique au politique, expliquant que se joue un Ā« coup dāĆtat [en franƧais dans le texte], rien de moins Ā» : Ā« En tant que [Juif] pratiquant, je dois admettre quāil nāy a rien de juif dans ce qui est proposĆ© (ā¦) expliqueāātāāil. Le contre-pouvoir est une valeur juive essentielle et fondamentale quāon ne saurait abandonner (ā¦) Jāai honte en tant que Juif croyant et observant Ā».
Alors un printemps se lĆØve en IsraĆ«l. Ce nāest pas la premiĆØre fois. Je me souviens des manifestations monstres Ć Tel Aviv en 2011, des Ć©tudiants qui campaient sur les grandes artĆØres et de ce graph en anglais si dĆ©sillusionnĆ© sur HaKovshim, quelque part entre le Shouk HaKarmel et Banana Beach : "Due to the rain, Revolution has been postponed" [pour cause de pluie, la rĆ©volution est reportĆ©e].
Cāest un printemps, cāest une promesse. Les printemps arabes nous ont prouvĆ© que tous les printemps ne fleurissaient pas et que moins encore savaient donner des fruits. Parce que jāaime lāidĆ©e dāIsraĆ«l infiniment, parce que je voudrais que ce pays vive toujours et soit Ć jamais la marque de lāaltĆ©ritĆ© tant du monde que des Juifs du monde ailleurs, parce que je veux croire encore en la promesse des penseurs initiaux du sionisme dĆ©nuĆ©e de leur naĆÆvetĆ©, parce que je veux penser encore, comme le juge de la Cour suprĆŖme amĆ©ricaine Louis Brandeis que le sionisme est Ā« pour les Juifs une raison de lever la main, et de sāĆ©riger contre le passĆ©, et de regarder le futur avec conviction Ā», parce que je sais avec Golda Meir, que Ā« la seule raison dāĆŖtre du sionisme est le salut des Juifs Ā» ; pour toutes ces raisons, je loue la bravoure des IsraĆ©liens qui se lĆØvent aujourdāhui, de ce printemps qui fera fleurir les bourgeons dāun IsraĆ«l fidĆØle Ć ce quāil est depuis quāil a Ć©tĆ© imaginĆ© : libĆ©rateur, juste, crĆ©atif, dĆ©mocratique, ambigu, prometteur. Bref, je rĆŖve quāIsraĆ«l encore se sauve en mĆŖme temps quāil nous sauve, quāIsraĆ«l prouve que, pour imparfait quāil soit, le modĆØle dĆ©mocratique a encore bien des choses Ć accomplir, pour que la pluie ne repousse pas la promesse de lāavenir et quāensemble, Juifs dāIsraĆ«l, Juifs de diaspora, IsraĆ©liens chrĆ©tiens, musulmans et athĆ©es, amis dāIsraĆ«l et/āou des Juifs de par le monde, quāensemble nous rendions possible cette utopie meilleure, forcĆ©ment meilleure.