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Tou biShvat, le printemps en Israƫl

Pour la cinquiĆØme semaine consĆ©cutive, des dizaines de milliers d’IsraĆ©liens ont manifestĆ© samedi 4 fĆ©vrier contre la rĆ©forme judiciaire que prĆ©pare le gouvernement de Benyamin Netanyahou et qui, selon les manifestants, menacerait la dĆ©mocratie israĆ©lienne.

PubliƩ le 7 fƩvrier 2023

5 min de lecture

Une du quotidien israƩlien Jerusalem Post, le dimanche 15 janvier 2023.
Le titre dit : Ā« Plus de 80000 manifestants contre la rĆ©forme judiciaire Ā».
En dessous : Ā« [Tzipi] Livni : ā€œLa dĆ©mocratie est non‐nĆ©gociableā€ Ā».

Juifs, nous venons de cĆ©lĆ©brer Tou biShvat, le nouvel an des arbres, une espĆØce de printemps quelque peu anachronique face aux tempĆ©ratures nĆ©gatives des nuits parisiennes et plus encore pour ceux qui, comme moi et tant de Juifs, vivent dans le nord‐​est amĆ©ricain où les tempĆ©ratures atteignent parfois des chiffres surrĆ©alistes. Cela peut donc sembler lointain pour certains d’entre nous diasporiques mais il s’agit pourtant d’un printemps sur la terre d’IsraĆ«l et de la Bible. 

Ce printemps‐​ci se lĆØve contre Yariv Levin, ministre israĆ©lien de la Justice, qui propose Ć  la majoritĆ© parlementaire une nouvelle lĆ©gislation qui garantirait Ć  l’exĆ©cutif les pleins pouvoirs sur la nomination des juges, y compris ceux de la Cour suprĆŖme tout en limitant leur pouvoir ; qui, surtout, permettrait Ć  la Knesset de dĆ©faire les dĆ©cisions de ladite Cour suprĆŖme (Beit haMishpat ha'Elyon), une rĆ©forme dĆ©noncĆ©e pĆŖle‐​mĆŖle par le Procureur gĆ©nĆ©ral d’IsraĆ«l, le PrĆ©sident de la Cour suprĆŖme, et une large majoritĆ© des universitaires, Ć©conomistes, juristes, leaders d’opinion du pays. Mais qui devrait ĆŖtre soumise au Parlement (et adoptĆ©e) d’ici la fin du mois de fĆ©vrier.

Quelques mots de contexte : un nouveau gouvernement a Ć©tĆ© investi il y a peu en IsraĆ«l, sous la tutelle du phœnix de la droite locale, Bibi Netanyahou, qui ne renaĆ®t cette fois de ses cendres (et de ses procĆØs) qu’au prix d’une alliance (64 dĆ©putĆ©s sur 120) avec le plus extrĆŖme de ce que la politique israĆ©lienne a enfantĆ©, Ć  commencer par Ben Gvir (dĆ©sormais ministre de la sĆ©curitĆ© intĆ©rieure). BG semi‐​automatique Ć  la ceinture quand il n’est pas dans la main, BG qui a Ć©levĆ© ses enfants sous le portrait de l’ignoble terroriste du caveau des patriarches Ć  Hebron, BG qui comprend Ā« vraiment vraiment Ā» ceux de ses dĆ©putĆ©s qui veulent emprisonner les chefs de l’opposition, BG qui aurait promis Ć  Bibi de ne pas se rendre sur le Mont du Temple /​l’Esplanade des MosquĆ©es mais l’a quand mĆŖme fait, tĆ“t le matin, entourĆ© d’une sĆ©curitĆ© papale, ou l’art de se faire passer pour un brave quand on lance un ballon d’essence sur un brasier dormant de Ā« vraiment vraiment Ā» loin parce que, bon, le feu, Ƨa brĆ»le. Une pure provocation pour montrer Ć  son nouveau chef Ć  quel point c’est lui qui maĆ®trise les flammes du suprĆ©matisme juif en IsraĆ«l, qu’il allumera le feu quand et où bon lui chante. 

IsraĆ«l, pourtant, ne manque pas de braves. Courageux immigrĆ©s qui doivent intĆ©grer en moins de temps qu’on n’en prend pour le dire une sociĆ©tĆ© Ć  la fois si moderne et si individualiste, jeunes gens – femmes, hommes et autres genres – appelĆ©s sous les drapeaux en service actif si loin si loin de nos adolescences europĆ©ennes et amĆ©ricaines, entrepreneurs audacieux et courageux, scientifiques prolifiques, Ć©conomistes visionnaires, philosophes crĆ©atifs, artistes disruptifs, questionnant et nĆ©anmoins acclamĆ©s et approuvĆ©s par le marchĆ©, Ć©tudiants religieux frugaux, rĆ©fugiĆ©s et gens de maisons venus de la Corne de l’Afrique ou du Sud‐​Est asiatique, jeunes penseurs religieux farouchement rigoureux et iconoclastes, universitaires boycottĆ©s et pourtant si excitants, planteurs du dĆ©sert, agriculteurs des collines menacĆ©es, citoyens arabes se sentant diablement israĆ©liens, retraitĆ©s europĆ©ens en recherche de judĆ©itĆ©, citoyens juifs retrouvant leur arabitĆ©, leur persanitĆ©, leur russianitĆ©, leur africanitĆ©, leur indianitĆ©, leurs trĆ©sors culturels et humains, de ceux qui ont fait ce pays malgrĆ© tout. 

IsraĆ«l est comme le printemps : un miracle auquel ne croiront jamais les sceptiques, les engoncĆ©s, les fatalistes, les sinistres. Il y a ceux qui haĆÆssent la possibilitĆ© de la renaissance, ceux que les bourgeons dĆ©bectent, ceux qui voudraient que l’étĆ© succĆØde Ć  l’étĆ© sans hiver au milieu pour faire renaĆ®tre. IsraĆ«l est comme le printemps et fleurit aujourd’hui, fragile et rĆ©voltĆ©, prometteur et dangereux. Qui sait ce qui sortira des bourgeons cette annĆ©e ? Des fruits savoureux qui nourriront l’âme juive ou des baies empoisonnĆ©es qui la terrasseront ? 

Aujourd’hui en IsraĆ«l se lĆØve un monde. Ces arpenteurs des rues de Tel Aviv, de HaĆÆfa, de JĆ©rusalem, de Ra’anana, de Kfar Saba et mĆŖme de Beer Sheva ne demandent qu’une chose : que cesse l’offensive du nouveau Bibi-cabinet contre le systĆØme judiciaire du pays. Cela fait plusieurs semaines que des dizaines de milliers de ces IsraĆ©liens, juifs (il y a longtemps que les citoyens musulmans ou chrĆ©tiens d’IsraĆ«l ont admis que les cabinets de Bibi ne les entendraient pas) et certainement pas suspects d’antisionisme, se regroupent pour rĆ©clamer la fin de la rĆ©forme judiciaire que ni Bibi ni quelque dĆ©mocrate qui soit, ne pourrait lĆ©gitimement et de bonne foi dĆ©fendre. 

Ā« Sauver le pays Ā», a dit Yair Lapid, ancien premier ministre et chef du parti d’opposition centriste Yesh Atid ([Il existe un futur], kind of Ā« Yes we can Ā»). Sauver IsraĆ«l, disait Lapid, tandis que le maire de Tel Aviv, Ron Huldai, menaƧait : Ā« Si les mots sont vains, alors dĆ©buteront les actes Ā». C’est que la menace est de taille : la nouvelle rĆ©forme que tente d’imposer le gouvernement d’extrĆŖme-droite entend soumettre la Cour suprĆŖme, instance juste, symbolique et intemporelle, au bon vouloir du toujours trĆØs Ć©phĆ©mĆØre parlement israĆ©lien. MĆŖme l’ancien chef de la police, Roni Alsheikh, a dĆ©noncĆ© cette tentative de soumettre le juridique au politique, expliquant que se joue un Ā« coup d’État [en franƧais dans le texte], rien de moins Ā» : Ā« En tant que [Juif] pratiquant, je dois admettre qu’il n’y a rien de juif dans ce qui est proposĆ© (…) explique‐​t‐​il. Le contre-pouvoir est une valeur juive essentielle et fondamentale qu’on ne saurait abandonner (…) J’ai honte en tant que Juif croyant et observant Ā».

Alors un printemps se lĆØve en IsraĆ«l. Ce n’est pas la premiĆØre fois. Je me souviens des manifestations monstres Ć  Tel Aviv en 2011, des Ć©tudiants qui campaient sur les grandes artĆØres et de ce graph en anglais si dĆ©sillusionnĆ© sur HaKovshim, quelque part entre le Shouk HaKarmel et Banana Beach : "Due to the rain, Revolution has been postponed" [pour cause de pluie, la rĆ©volution est reportĆ©e]. 

C’est un printemps, c’est une promesse. Les printemps arabes nous ont prouvĆ© que tous les printemps ne fleurissaient pas et que moins encore savaient donner des fruits. Parce que j’aime l’idĆ©e d’IsraĆ«l infiniment, parce que je voudrais que ce pays vive toujours et soit Ć  jamais la marque de l’altĆ©ritĆ© tant du monde que des Juifs du monde ailleurs, parce que je veux croire encore en la promesse des penseurs initiaux du sionisme dĆ©nuĆ©e de leur naĆÆvetĆ©, parce que je veux penser encore, comme le juge de la Cour suprĆŖme amĆ©ricaine Louis Brandeis que le sionisme est Ā« pour les Juifs une raison de lever la main, et de s’ériger contre le passĆ©, et de regarder le futur avec conviction Ā», parce que je sais avec Golda Meir, que Ā« la seule raison d’être du sionisme est le salut des Juifs Ā» ; pour toutes ces raisons, je loue la bravoure des IsraĆ©liens qui se lĆØvent aujourd’hui, de ce printemps qui fera fleurir les bourgeons d’un IsraĆ«l fidĆØle Ć  ce qu’il est depuis qu’il a Ć©tĆ© imaginĆ© : libĆ©rateur, juste, crĆ©atif, dĆ©mocratique, ambigu, prometteur. Bref, je rĆŖve qu’IsraĆ«l encore se sauve en mĆŖme temps qu’il nous sauve, qu’IsraĆ«l prouve que, pour imparfait qu’il soit, le modĆØle dĆ©mocratique a encore bien des choses Ć  accomplir, pour que la pluie ne repousse pas la promesse de l’avenir et qu’ensemble, Juifs d’IsraĆ«l, Juifs de diaspora, IsraĆ©liens chrĆ©tiens, musulmans et athĆ©es, amis d’IsraĆ«l et/​ou des Juifs de par le monde, qu’ensemble nous rendions possible cette utopie meilleure, forcĆ©ment meilleure.