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Triste comme un chien en Israƫl
PubliƩ le 23 octobre 2023

5 min de lecture

Quand j’ai assistĆ© au procĆØs pour fĆ©minicide de l’assassin de Myriam Largeteau, sa fille d’un premier mariage a foncĆ© sur moi le poing levĆ© pour me casser la gueule. Des badauds l’ont retenue.
Je tenais alors Ć  bout de bras Philippe et Josy, les parents de Myriam, chancelants, au milieu de la salle des pas perdus du palais de justice de Nanterre. Soudain, cette jeune femme de 26 ans s’était mise Ć  hurler en pleurant Ā« mon pauvre papa, mon pauvre petit papa va aller en prison Ā».
Doucement, je lui avais demandĆ© un peu de dĆ©cence. Je ne niais pas sa souffrance, mais je la trouvais indigne face Ć  ces parents endeuillĆ©s par la faute de ce Ā« pauvre petit papa Ā».
Cette image est celle qui dĆ©crit le mieux ce que je ressens en lisant vos posts, en regardant vos Ć©missions, vos manifestations, Ć  vous qui avez rĆ©agi aux abominations du Hamas par des justifications politiques ou des tentatives d’équilibrages LFIstement corrects. La mĆŖme sidĆ©ration face Ć  tant d’indignitĆ©.

Dans mon tĆ©lĆ©phone, j’ai des films certifiĆ©s (c’est Ć  dire n’émanant pas d’organisations terroristes) de tĆŖtes dĆ©capitĆ©es de bĆ©bĆ©s juifs calcinĆ©es, des films d’enfants juifs qui ressemblent Ć  la mienne, tuĆ©s devant des mamans qui me ressemblent, Ć  moi. 
J’ai le film de cette femme juive enceinte, qu’un terroriste fier Ć©ventre, sortant son bĆ©bĆ© de ses entrailles, le poignardant devant la femme agonisante de terreur. 
J’ai crƩƩ un dossier Ā« preuves Ā». J’ai tout Ƨa sur moi, sur mon cloud, dans mon ordinateur. Ma version 2023 de l’étoile jaune.
Ces enfants sont les miens. Ces parents vivant l’horreur ultime sont les miens. 
Parce qu’on se ressemble. Et je ne parle ni de religion ni de physique, je parle de valeurs.

Rien. Absolument RIEN ne rivalise avec les tortures innommables qu’ils ont subies. 
Rien. Absolument RIEN ne rivalise avec la jouissance que cette barbarie procure Ơ leurs auteurs et Ơ celle de ceux qui les accueillent en hƩros de retour chez eux.
RIEN.

Alors depuis bientƓt deux semaines, je prends des notes.
Je sais auprès de qui mon avenir intellectuel et émotionnel sera possible.
C’est assez simple en fait. ƀ mes yeux dĆ©sormais, le monde se divise en deux catĆ©gories :
Ceux qui font partie de la solution ou ceux qui sont le problĆØme.
Car dans une guerre de civilisation il n’y a pas de zone grise. On cherche le chemin de la paix ou on attise la haine. Et l’indiffĆ©rence comme le silence entrent dans la 2ĆØme catĆ©gorie. Parce que si vous pouvez, en votre Ć¢me et conscience, ne pas tĆ©moigner d’empathie face Ć  Ƨa, vous ĆŖtes comme les polonais qui vivaient Ć  cĆ“tĆ© des crĆ©matoires d’Auschwitz se bouchant le nez le temps que les fournĆ©es du jour soient Ć©coulĆ©es.

Il y a quelques annĆ©es, j’essayais d’expliquer que le terme d’apartheid ne pouvait pas s’appliquer Ć  un pays où prĆØs d’un sixiĆØme de la population est musulmane, où chaque panneau est Ć©crit en hĆ©breu, en arabe et en anglais, où des IsraĆ©liens musulmans sont reprĆ©sentĆ©s au gouvernement (de la seule dĆ©mocratie de la rĆ©gion).
Il y a quelques annĆ©es, j’essayais d’expliquer que chaque Juif a Ć©tĆ© dĆ©possĆ©dĆ© de ses biens, que moi‐​mĆŖme je n’ai aucun espoir de retrouver les maisons de mes ancĆŖtres en Pologne, en Russie ou Ć  Tunis. La spoliation ne m’a pourtant jamais servi d’argument pour prĆ“ner la violence ou ne pas œuvrer pour la paix.
Il y a quelques annĆ©es, j’essayais d’expliquer que les Occidentaux qui entretiennent le narratif victimaire de la Palestine sont encore dans une dĆ©marche perverse de supĆ©rioritĆ© coloniale, mĆŖme s’ils prĆ©tendent le contraire. Car ils refusent de montrer les palestiniens qui s’indignent face au terrorisme, ceux qui veulent la paix en prĆ“nant des valeurs humanistes au pĆ©ril de leur sĆ©curitĆ©. Ces palestiniens existent, alors pourquoi ne pas les Ć©couter, eux ? Parce que pour ces Occidentaux‐​lĆ , un bon arabe est un arabe analphabĆØte et couvert de poussiĆØre.

Mais Ƨa, c’était il y a quelques annĆ©es. Depuis le 7 octobre, je n’ai plus la force de l’expliquer Ć  ceux qui ne l’ont pas encore compris.

Entendons‐​nous bien.
Je ne fais pas d’angĆ©lisme israĆ©lien.
Je suis rƩvoltƩe par la politique de Netanyahou.
Je suis profondĆ©ment contre l’orthodoxie religieuse des miens qui impose aux femmes une position infĆ©rieure Ć  celle des hommes.
Je suis rĆ©voltĆ©e par le racisme de certains Juifs et/​ou IsraĆ©liens qui n’ont a priori rien compris Ć  leur passĆ©.
Je suis consciente qu’une victime est une victime et que la mort se rit bien de nos couleurs de peau ou de nos nations.
Je suis informĆ©e que cette terre proche‐​orientale abrite au moins deux lĆ©gitimitĆ©s et qu’il n’y aura pas d’avenir paisible palestinien sans avenir paisible israĆ©lien et rĆ©ciproquement.
Je sais que le refuge rĆŖvĆ© par mes ancĆŖtres n’est pas ce qui garantira Ć  ma fille de vivre sereine et qu’il nous faudra Ć  tous composer avec nos lĆ©gendes et nos Ć©ducations pour redĆ©finir deux Ɖtats aux contours possibles.
Encore une fois, ma vie a du s’adapter Ć  mon judaĆÆsme depuis la naissance. Je suis une habituĆ©e dĆ©signĆ©e d’office. Je m’appelle Sarah Barukh.

Pour autant, ce soir encore, mes yeux brƻlent.
J’ai trop pleurĆ© en pensant Ć  ces enfants, ces grands‐​mĆØres, ces jeunes filles otages, et leur famille qui se demande chaque seconde ce qu’on leur fait subir d’effroyable.
J’ai menti Ć  ma fille qui m’a demandĆ© pourquoi j’étais encore triste alors qu’elle et sa peluche licorne rose m’offraient leur 117e spectacle de danse.
J’ai le souffle coupĆ© le matin.
Il m’arrive de vomir.
Je dois rentrer chez moi trĆØs vite lorsque je mets le nez dehors et que je constate que pour les autres autour, rien n’a changĆ© quand moi je sais que la fin du monde existe.
Je doute de tout. De mes textes, de mes sentiments, de ma colère comme de mon calme quand il revient. Je ne sais pas si je suis stupide, naïve, aveugle, ou tout simplement un cliché de juive indignée.

Je doute mĆŖme de mes engagements quand tant de fĆ©ministes que j’estime ont refusĆ© de se positionner, ne serait‐​ce que pour les femmes israĆ©liennes, encore une fois utilisĆ©es comme moyen de rĆ©pandre la terreur.
Où es‐​tu Mona Chollet ?
Où es‐​tu Annie Ernaux ?
Où ĆŖtes‐​vous toutes ?
Qu’est-ce qui te prend, Greta Thunberg ?
Elle est où ta tribune, Virginie Despentes ?
AdĆØle Haenel, ce film‐​lĆ , il te donne plus envie de te lever et te casser ?
Je ne comprends pas.
Pardon, je comprends trop bien. Et j’ai mal.

Au moment où j’écris, ma mĆØre essuie des joues humides.
Mon pĆØre vient de prendre un calmant pour ne pas vomir tout de suite le repas de shabath qui ā€œne passe pasā€.
Ma fille serre sa licorne rose contre son cœur, espĆ©rant que je serai plus rĆ©ceptive Ć  ses spectacles demain.
Mon frĆØre est dans son abri.
Et moi je fixe ces photos qu’on m’a envoyĆ©es.
Les chiens des kibboutz attaquĆ©s, orphelins de leurs maĆ®tres. Ceux qui n’ont pas pu fuir dans la panique et l’urgence. Des bĆŖtes innocentes, victimes elles aussi du Hamas. Ils sont des centaines. On dit que leurs pleurs s’entendent Ć  des kilomĆØtres. Ils attendent de mourir pour rejoindre ceux qu’ils aimaient. Que vont‐​ils devenir ? Qui sera assez fort pour s’occuper d’eux et panser leur incommensurable blessure ? Ces photos me hantent.
Je viens de comprendre pourquoi.
ƀ dĆ©faut d’être heureuse Ā« comme un Juif en France Ā», je suis triste comme un chien en IsraĆ«l.

Article publiĆ© initialement sous le titre Ā« Si c’est un chien Ā» le 21/​10/​23 sur Instagram sous la lĆ©gende : Si c’est un chien… // Si vous souhaitez en adopter un ou 200, contactez le chenil de Kfar Ruth en IsraĆ«l au 03-6241776 poste 3 //

Voir Ć  ce propos :
Guerre IsraĆ«l-Hamas: un chien trouvĆ© seul et traumatisĆ© aprĆØs le massacre d’une famille , TVA Nouvelles
Sous les roquettes, les IsraƩliens recueillent les animaux de compagnie abandonnƩs , The Times of Israƫl