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Otages : “Il demeure toujours une crainte que l’accord ne s’arrête soudainement”

Daniel Shek est un diplomate israélien. Depuis le 7 octobre 2023, il s’est mis au service du Forum des familles d’otages. Il revient pour Tenoua sur l’accord en cours, les 18 libérations qui ont eu lieu depuis le 19 janvier et celles que l’on attend encore, entre espoir, tension et crainte.

Publié le 6 Fév 2025

10 min de lecture

Daniel Shek dans les locaux du Forum des familles d'otages et de disparus, en Israël, en juillet 2024 (photo DR Daniel Shek/​Forum)

Nous sommes à peu près au milieu de la première phase de l’accord entre Israël et le Hamas qui prévoit la libération de 33 otages israéliens. Sur ces 33, 13 ont déjà été libérés, en plus de 5 otages thaïlandais libérés à la suite d’une négociation entre la Thaïlande et la Turquie. Il reste donc 20 otages à libérer, parmi lesquels 8 sont considérés morts selon les informations fournies par le Hamas et jugées plausibles par Israël. 
On sait que les libérations suivent un calendrier précis, mais l’annonce tardive des noms et la sélection imprévisible des personnes libérées ajoutent énormément d’angoisse aux familles et à la société israélienne. Comment le Forum observe‐​t‐​il ces réactions ?

Il est possible que cette première phase soit un peu raccourcie en raison de la libération supplémentaire le 30 janvier. C’est une période de tension extrême mais elle est un peu différente de la tension que nous connaissons depuis l’arrêt de l’accord d’échange de novembre 2023, parce qu’il y a une expectative concrète : il y a 33 familles qui savent que cette tension peut se solder par le retour de leurs proches, que ce soient évidemment des otages vivants et dans une santé passablement bonne ou des fins moins heureuses. Le problème est qu’il demeure sans cesse une crainte que tout ça ne s’arrête, que de part ou d’autre quelqu’un fasse un faux pas de trop et que, par un enchaînement malheureux l’accord ne s’arrête soudainement. C’est ce qui caractérise cette tension et cette anxiété actuelles. Il faut dire que l’anxiété redouble pour ceux qui ne sont pas inclus dans cette première phase de 42 jours mais dans la deuxième phase parce que c’est dans ce passage entre ces deux phases que se trouve le plus grand potentiel de désaccord. Cette deuxième phase est certes dessinée dans les grandes lignes mais nécessite une négociation sur les détails et on est encore vraiment loin du compte.

Justement, où en sont les négociations sur la deuxième phase ? Quels blocages craignent les familles ? Les nouvelles opérations militaires en Cisjordanie vous inquiètent‐​elles quant à la concrétisation de la phase 2 (qui doit normalement voir libérer tous les otages vivants restants)? La présence de Benjamin Nétanyahou à Washington est‐​elle porteuse d’espoir ?

Nous ne savons pas grand‐​chose surtout parce que Benjamin Nétanyahou a plus ou moins annoncé que la position israélienne officielle pour le point de départ de ces négociations ne sera arrêtée qu’à son retour des États‐​Unis. Bien sûr il y a eu déjà des contacts à un niveau moins élevé mais fondamentalement, cette négociation n’a pas encore débuté. Ayant dit cela, nous avons appris quelque chose du fait que, miraculeusement, un texte qui était sur la table depuis le mois de mai, a soudainement trouvé preneur, avec des modifications extrêmement marginales, du côté israélien et du côté du Hamas. En 10 jours, tout s’est arrangé, tout le monde a signé et l’accord a débuté. Cela signifie que ce qui a manqué à l’époque et ce qui va définir le sort de la deuxième phase, c’est la volonté politique et non tel ou tel détail technique. Ces détails ne sont pas sans importance, ils nécessitent pour Israël des décisions tactiques souvent difficiles (retrait de troupes, retour d’une quelconque gouvernance palestinienne dont on ne connaît pas les contours, etc.). Mais puisqu’on sait que c’est là la contrepartie nécessaire pour la libération de tous les otages, nous sommes face à une équation tellement simple qu’elle en est douloureuse : on ne peut pas arrêter la guerre sans libérer tous les otages et on ne peut pas libérer tous les otages sans arrêter la guerre – tout le reste ce sont de petits caractères, importants dans un accord mais qui ne sont rien sans la volonté politique. Or je ne suis pas du tout convaincu que nous en sommes à ce point de volonté politique. Il a fallu un certain niveau de pression pour tordre le bras des deux parties pour accepter la première phase et beaucoup va dépendre de la position américaine que je ne suis pas du tout en mesure d’anticiper. Une volonté se gagne soit par conviction soit sous pression. Évidemment la première version est préférable parce que dans ce cas la motivation vient alors des parties et pas uniquement des médiateurs. Mais faute de conviction, c’est là où Trump a réussi. L’accord lui‐​même est entièrement un accord de Joe Biden, mais sa conclusion vient de Trump. 
Si la motivation qui était là il y a un mois, quand il est devenu clair que les Américains voulaient un accord, alors on a toutes les chances de réussir, si ce n’est pas le cas, je crains que les choses puissent se compliquer et se prolonger. Donc beaucoup va dépendre de la visite de Nétanyahou à Washington ; reste à savoir qui va convaincre qui. Trump va‐​t‐​il explicitement dire qu’il souhaite la conclusion de cet accord parce qu’il a des intérêts bien plus vastes au Proche‐​Orient ou Nétanyahou va‐​t‐​il convaincre Trump que ces objectifs stratégiques américains peuvent attendre encore six mois et de lui donner le feu vert pour reprendre les opérations militaires à Gaza ?

Lors de ces libérations, on a vu à la fois des mises en scène absurdes, avec remise de goody-bags et de “diplômes”, et aussi des scènes de chaos indescriptibles et effrayantes, notamment le 31 janvier dans le Sud de la bande de Gaza. On sait qu’Israël a exigé que ce chaos cesse, cela peut‐​il avoir un impact ? Et comment les familles vivent‐​elles ces scènes ? 

Je fais une différence entre les mises en scène et le chaos. Les mises en scène, même si elles me semblent d’un ridicule extrême – franchement, les gens du Hamas pensent‐​ils que quelqu’un va croire à ces grands sourires et à ces poignées de main comme si c’était une séparation entre bons amis ? –, je peux vivre avec, ce n’est pas grave. Ça ridiculise le Hamas et, d’une certaine manière, ça a donné à plus d’une occasion la possibilité aux otages libérés de faire preuve d’un courage extraordinaire. Les scènes de chaos, c’est complètement autre chose, pour la simple raison que ça met la vie des otages en danger. Face à la situation extrême que vous avez mentionnée lors de la libération par le Jihad islamique, nous avions tous véritablement peur qu’Arbel Yehoud ne s’en sorte pas. Nous savons que le gouvernement israélien – et nous également, par nos moyens, avons fait intervenir d’urgence les médiateurs qataris – a fait savoir que c’était inacceptable et nous avons vu que lors de la dernière libération qui a eu lieu tôt le matin dans des endroits plus isolés, les choses se sont bien passées au niveau de la sécurité. J’espère que ça va tenir pour les prochaines libérations. 

Vous me demandez quel impact ça a sur les familles mais je veux d’abord parler de l’impact sur les otages. Déjà en novembre 2023, où il y a eu aussi des scènes de chaos, nombreux étaient les otages qui ont dit que c’était un des moments les plus effrayants de leur captivité, ce sentiment d’être seul, sans protection autre que les hommes cagoulés avec des bandeaux verts et des kalashnikovs. Et c’est comme ça que c’est vécu par les familles aussi et même par le public. À nouveau, j’espère qu’il sera épargné aux otages qui restent cette expérience terrifiante. 

En l’occurrence le 31 janvier, c’étaient des otages détenus par le Jihad islamique. Que nous dit ce chaos de la maîtrise qu’a le Hamas du territoire ? Peut‐​il imposer sa loi aux autres groupes ?

Je ne suis pas dans la tête du gouvernement Hamas. Théoriquement, ils sont le gouvernement donc, même s’ils prétendent ne pas avoir la main sur tout le monde, ils portent la responsabilité de tous les otages. Cela dit, entre parenthèses, il est un peu difficile de décapiter complètement une organisation de son leadership puis de se plaindre qu’il n’y a personne de responsable à qui parler. Cela ne signifie pas qu’il n’était pas justifié ou souhaitable que d’éliminer les responsables du Hamas et donc du 7 octobre, mais il y a des conséquences, parmi lesquelles le chaos. 

De ce qu’on sait, le Jihad islamique a été associé indirectement par le Hamas aux négociations. Et on a vu déjà une libération d’otages détenus par le Jihad islamique. Il est un peu difficile de prévoir un avenir : à chaque fois que samedi approche et donc que sont publiés les noms, théoriquement le vendredi, c’est un calvaire pour tout le monde, parce qu’on ne sait pas exactement qui va être libéré, si ça va fonctionner, à quelle heure cela va avoir lieu, ni à quel endroit. Tout ça, jusqu’au dernier moment, reste un mystère et tout mystère est encore sujet de tensions et de craintes pour les proches et les familles. Les seuls qui peuvent véritablement regarder avec confiance et soulagement ce qu’il se passe, ce sont les familles des 13 otages qui ont été libérés depuis le 19 janvier. Et encore, il n’est pas un seul otage libéré qui n’a pas dit, soit directement, soit par sa famille que, si le soulagement et le bonheur des retrouvailles sont réels, leur réhabilitation ne pourra commencer qu’une fois que tous les otages seront rentrés.

Comment s’est passée la libération des cinq otages thaïlandais par l’entremise de la Turquie ? De la même façon, on a vu la Russie mettre un coup de pression sur le Hamas pour la libération de l’otage russo‐​israélien Alexander Trufanov. Cela signifie‐​t‐​il qu’il y aurait d’autres pistes de négociations que les canaux habituels ?

Uniquement pour des intérêts particuliers, les Thaïlandais pour les intérêts thaïlandais, les Russes pour les intérêts russes ; c’est tout. Pour les intérêts israéliens, les seuls canaux qui se sont avérés utiles dans le monde arabe, ce sont le Qatar et l’Égypte. Il y a eu des tentatives d’associer la Turquie à certaines phases des négociations mais ça n’a pas abouti : c’est trop volatile, il n’y a pas assez de confiance de la part des parties, d’ailleurs y compris de la partie arabe de ces négociations, qui regarde avec un oeil mitigé les ambitions régionales de la Turquie. Maintenant, que la Turquie ait pu libérer les Thaïlandais, c’est magnifique. Parce que ça n’a strictement aucun sens que ces citoyens thaïlandais soient restés captifs si longtemps. À mes yeux, le bon sens aurait voulu qu’ils soient libérés dans la semaine après leur capture parce que le Hamas ne pouvait rien essayer d’obtenir du gouvernement thaïlandais en contrepartie. C’est vrai aussi pour le Népalais toujours otage ou pour les deux Tanzaniens qui ont malheureusement été assassinés comme un nombre important de victimes thaïlandaises du 7 octobre. Je voudrais préciser que, au Forum des familles des otages, nous avons eu un contact discret mais continu avec l’ambassade de Thaïlande et avec les familles thaïlandaises. Les relations étaient très bonnes et amicales mais les Thaïlandais nous ont demandé deux choses : d’abord pour les canaux officiels, de séparer complètement la négociation d’avec les Israéliens, et aussi concernant la campagne que nous menons au Forum, de ne pas y inclure les otages thaïlandais, de ne pas lire leurs noms comme on le fait tous les samedis soirs place des Otages, de ne pas afficher leurs portraits, etc. Ils nous ont expliqué que c’était culturellement perçu différemment et, bien sûr, nous avons respecté leurs souhaits. Je sais par ailleurs que l’ambassade d’Israël en Thaïlande était constamment en contact avec les familles qui ont le droit à toutes les aides et avantages financiers qui sont donnés aux familles des otages israéliens. Heureusement, pour ces cinq Thaïlandais, le calvaire est terminé. Nous en attendions six en plus des quatre dont nous savons qu’ils ne sont plus en vie, et cela nous fait craindre que le sixième ne soit plus vivant non plus. 

On a vu sortir les premières otages plutôt en forme, souriantes. Mais c’est bien moins vrai pour les 3 hommes sortis samedi dernier, Yarden Bibas, Ofer Kalderon, Keith Siegel. Qu’appréhendez-vous pour la suite ? Et comment se prépare le Forum pour la sortie d’otages qui ne seront plus en vie ?

Il y a des familles qui savent depuis très longtemps que leurs proches ne sont plus en vie. Mais ce n’est pas le cas de tout le monde : 35 otages sont confirmés morts mais théoriquement, ils ne devraient pas faire partie de la première phase. Pour les autres, on ne sait rien avec certitude, surtout quand il n’y a strictement aucune information. D’ailleurs, parmi les 13 otages déjà libérés, il y en avait trois au moins pour lesquels on avait de graves doutes : Gadi Moses, Daniella Gilboa et Arbel Yehoud. Donc il y a de bonnes surprises, mais il y aura aussi de mauvaises surprises. Et j’ignore comment on se prépare pour ça, je suppose qu’on ne peut pas s’y préparer, que c’est impossible. 

Concernant la première partie de votre question, je serais très prudent quant à la première impression. D’abord, on peut supposer que le Hamas a choisi les personnes les plus présentables pour les premières libérations, et que depuis qu’on se dirige vers un accord, les conditions de détention, d’alimentation ou d’hygiène se sont améliorées pour les otages amenés à être libérés. Tant mieux si elles sont en relativement bon état, mais on ignore le dossier médical sauf à dire qu’il n’y avait pas d’urgence vitale au moment de leur sortie. Mais cela ne signifie pas qu’elles sont en bonne santé : on peut gagner du poids avec une très mauvaise alimentation et malgré de nombreuses carences. Et puis on ne sait rien de ce qu’elles ont vécu durant ces presque 16 mois. Vous avez raison de dire que les hommes ont l’air en moins bonne condition physique. Et puis, psychologiquement, on connaît ça même parmi les otages libérés après cinquante jours, après la phase d’euphorie des retrouvailles et du soulagement d’avoir retrouvé la vie, il y a souvent une chute psychologique très grave. Sur ce point de l’accueil et du suivi de ces gens, à la fois les autorités israéliennes et nos spécialistes au Forum sont bien préparés. 

Je ne peux pas finir sans aborder les très vives inquiétudes concernant la famille Bibas. Le père, Yarden, est sorti samedi, seul. Selon les termes de l’accord, les femmes devaient être libérées avant les hommes, et les vivants avant les morts. Faut‐​il en conclure que l’espoir est perdu concernant Shiri, Ariel et Kfir Bibas ?

Vous comprendrez que je ne suis pas en mesure de donner une réponse définitive. Oui, la “logique” ce cette accord correspond à cela : les femmes avant les hommes, les vivants avant les morts, mais la raison est‐​elle le seul critère qui gouverne un accord avec le Hamas ? Non ! Donc on ne sait pas, on ne peut pas exclure une sorte de coup de théâtre. Il faut quand même regarder en arrière et constater que tous les indices et informations venant du Hamas ne sont pas porteuses d’espoir. Sans vouloir lire les visages des gens, quand on regarde le visage de Yarden Bibas samedi 1er février, on n’y voit guère d’espoir. Il faudra attendre la libération de ces trois personnes, quelle que soit leur condition, pour savoir de manière définitive. En attendant, personne ne tire un trait définitif sur le sort de cette famille et sur la tragédie peut‐​être la plus emblématique de ce calvaire des otages. L’image terrible de Shiri Bibas tenant ses deux bébés dans les bras a marqué le monde entier, bien au‐​delà de la société israélienne, et il est impossible de l’oublier.

Propos recueillis par Antoine Strobel‐Dahan

*

Otages libérés au cours de cet accord:
19 janvier: Doron Steinbrecher, Emily Damari, Romi Gonen
25 janvier: Liri Albag, Daniella Gilboa, Karina Ariev, Naama Levy
30 janvier: Agam Berger, Arbel Yehoud, Gadi Moses, Watchara Sriaoun, Pongsak Thenna, Sathian Suwannakham, Bannawat Seathao, Surasak Rumnao
1er février: Yarden Bibas, Ofer Kalderon, Keith Siegel

Noms des otages toujours captifs du Hamas à Gaza:
Tamir Adar, Muhammad Al‐​Atarash, Edan Alexander, Hisham Al‐​sayed, Martin Angrest, Aviv Atzili, Sahar Baruch, Uriel Baruch, Ohad Ben Ami, Agam Berger, Gali Berman, Ziv Berman, Ariel Bibas, Kfir Bibas, Shiri Bibas, Elkana Bohbot, Rom Braslavski, Itay Chen, Eliya Cohen, Nimrod Cohen, Amiram Cooper, Ariel Cunio, David Cunio, Evyatar David, Sagui Dekel‐​Chen, Itzhal Elgarat, Ronen Engel, Guy Gilboa‐​Dalal, Meny Godard, Hadar Goldin, Ran Gvili, Gadi Haggai, Tal Haimi, Asaf Hamami, Maxim Harkin, Inbar Hayman, Eitan Horn, Iair Horn, Tsachi Idan, Guy Illouz, Bipin Joshi, Segev Kalfon, Ofra Keidar, Bar Abraham Kupershtein, Eitan Levi, Shay Levinson, Or Levy, Oded Lifshitz, Shlomo Mantzur, Eliyahu Margalit, Avera Mengitsu, Omri Miran, Joshua Loitu Mollel, Eitan Abraham Mor, Omer Neutra, Tamir Nimrodi, Sonthaya Oakkharasri, Yosef Haim Ohana, Alon Ohel, Avinatan Or, Dror Or, Daniel Oz, Daniel Peretz, Natthapong Pinta, Sudthisak Rinthalak, Lior Rudaeff, Yonatan Samerano, Eli Sharabi, Yossi Sharabi, Omer Shem‐​Tov, Tal Shoham, Idan Shtivi, Alexander Sasha Troufanov, Judi Weinstein Haggai, Ilan Weiss, Omer Wenkert, Yair Yaakov, Ohad Yahalomi, Arye Zalmanovicz, Matan Zangauker.