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“L’art dégénéré” s’expose pour la première fois en France

Avec “L’art ‘dégénéré’. Le procès de l’art moderne sous le nazisme”, le Musée Picasso à Paris met en lumière le destin tragique d’œuvres majeures de l’art moderne détruites ou interdites par les nazis. Tenoua a vu cette exposition programmée jusqu’au 25 mai, qui interroge nos consciences démocratiques sur le rapport à la norme et à la liberté artistique. 

Publié le 8 avril 2025

3 min de lecture

L’arrivée au pouvoir des nazis en 1933 s’accompagne d’une véritable révolution culturelle en Allemagne : pour conquérir les âmes jusque dans leur vision du “Beau”, il faut détruire ou censurer les œuvres émanant de l’art dit “dégénéré” afin d’y substituer des représentations à la hauteur de la pureté fantasmée de la race allemande. L’attaque va prendre différentes formes (exil, déportation, censure, limogeage, destruction des œuvres…) et concerne un éventail d’artistes très large. Certains sont juifs, d’autres non, vivants ou morts, allemands ou étrangers, mais tous ont un point commun : ils expriment une esthétique nouvelle, souvent abstraite, en rupture avec les codes traditionnels picturaux. Ils appartiennent au dadaïsme, à l’école de la Nouvelle Objectivité ou encore à l’expressionnisme. Picasso lui‐​même sera victime de la politique nazie. 

“Entartete Kunst”:  l’exposition de juillet 1937 à Munich

Le 19 juillet 1937 est une date funeste dans l’histoire de l’art. Une grande exposition est inaugurée à Munich, intitulée “Entartete Kunst”, c’est-à-dire “art dégénéré”, réunissant près de 700 œuvres. On y trouve, entre autres, le travail de Vassily Kandinsky, Otto Dix, Paul Klee ou encore cette toile de Marc Chagall représentant un rabbin, Die Prise (Rabbiner), dont le titre est emprunté à une nouvelle de l’écrivain et dramaturge Isaac Leib Peretz. Le but de l’exposition est de montrer cet art symptomatique d’une déviance, contrairement à la “Grande exposition d’art Allemand”, inaugurée la veille par Hitler, qui symbolise la supériorité de la race aryenne.

Die Prise (Rabbiner), Chagall
Photographie de Lucie Spindler

L’exposition consacrée à “l’art dégénéré” va ensuite circuler dans d’autres villes allemandes et autrichiennes sous le Troisième Reich. Sur la couverture d’un guide, on peut voir “Grande Tête”, une sculpture de l’artiste d’origine juive d’Otto Freundlich. Il sera déporté à Sobibor en 1943. 

L’exposition du musée Picasso permet de comprendre l’apparition du concept de “dégénérescence” dans l’histoire des idées. “L’Art et la Race”, un ouvrage de l’architecte traditionnaliste allemand Paul Schultze‐​Naumburg, paru en 1928, joue un rôle important dans la formation de ce socle culturel nazi. Ce dernier encense la “beauté nordique”, qui viendrait de l’antiquité grecque. “La destruction des inférieurs n’est plus une idéologie lointaine”, se félicite‐​t‐​il après l’arrivée d’Hitler au pouvoir. Pour illustrer son livre et la dégénérescence de l’art, Paul Schultze‐​Naumburg choisit notamment ce dessin de Pablo Picasso qu’on peut voir lors de la visite. 

Dessin de Pablo Picasso “Nu assi essuyant le pied”(1921)
Copyright : bpk /​Nationalgalerie, SMB, Museum Berggruen /​Jens Ziehe

La peinture ou la sculpture ne sont pas les seuls arts touchés par ces visées exterminatrices. En 1938, “Entartete Musik”, une exposition consacrée à la “musique dégénérée”, se déroule à Düsseldorf. La force du travail du musée Picasso est de montrer l’ampleur prise par cette politique culturelle nazie. L’attaque contre l’art dépasse largement l’exposition de 1937 à Munich, commençant dès 1933 dans d’autres villes du pays. Les mesures visant les artistes se développent en parallèle de celles visant les Juifs, mais aussi les handicapés. Dès 1933, le régime nazi met en place une politique de stérilisation forcée des personnes considérées comme porteuses d’une maladie héréditaire. Certains artistes y perdront leur vie, comme Elfriede Lohse‐​Wächtler qui est assassinée lors de l’opération d’extermination des adultes handicapés physiques et mentaux, “Aktion T4.” Son travail est visible au musée Picasso et nous rappelle que l’extermination esthétique est le préambule à l’extermination physique orchestrée par les nazis. 

Des parallèles avec notre époque ?

La visite laisse une impression bizarre. Certaines phrases résonnent étrangement avec notre présent sans qu’on puisse en tirer des conclusions hâtives, comme si nous étions perdus dans le brouillard de nos propres crises identitaires. On apprend qu’avant d’être présentée à Munich en 1937, Die Prise (Rabbiner), la toile de Marc Chagall a été victime d’une campagne de diffamation dans la ville de Mannheim où elle était initialement exposée. Le tableau avait été traîné dans la rue avec ce message : “Vous qui payez des taxes, vous devriez savoir où votre argent est dépensé.” 

Parallélisme du verbe, parallélisme des temps ?