Hiné ma tov oumanayim shevet ahim gam yahad… הנה מה טוב ומה נעים שבת אחים גם יחד
"Comme il est doux et agréable, dit la chanson en hébreu, d’être réunis ensemble, tels des frères et sœurs", en famille, côte à côte.
J’avoue avoir, ces derniers jours, un peu douté de la formulation de ce verset, en découvrant sur les réseaux sociaux, tant de messages de mes « frères et sœurs » dont la douceur était… subtile.
Il y avait parfois des menaces, des insultes misogynes, des photos de moi dans une sorte de cercueil étrange, des prières formulées pour qu’il m’arrive malheur. Je passe sur les commentaires sur ma vie, mes études, mon physique, mon diplôme, mon titre, ma légitimité, ma représentativité, et tout le reste… ces commentaires publiés parfois sur certains sites juifs, qui furent un jour (il y a longtemps) l’honneur de notre communauté.
Je n’ai pas tout lu, désolée, et j’arrête là ma revue de presse des réseaux juifs (qui, vous en conviendrez, n’est pas à l’honneur de notre communauté, et devrait même nous interroger sur sa culture du dialogue, et son éthique de parole)
J’ai lu aussi que certains me reprochaient au choix :
- de prendre la parole depuis la diaspora, sans payer le prix de la vie israélienne quotidienne,
- de défendre un judaïsme éthéré, fait de belles idées et pur de toute action politique, en abandonnant ceux qui se battent « pour de vrai »,
- ou encore de mettre en danger Israël en donnant des armes ou des cautions idéologiques à des ennemis ignobles.
Et à chacun de ces reproches, je veux répondre, et peut‐être redire ce que j’ai déjà formulé, y compris à ceux qui ont décidé, quoi qu’il arrive, de ne pas l’entendre.
J’ai parlé, et je parlerai encore, par amour d’Israël et au nom de mon puissant engagement sioniste, comme je le fais depuis tant d’années – depuis Israël où j’ai si longtemps vécu, depuis la diaspora, et tout particulièrement depuis le 7 octobre, depuis que nous appelons au retour des otages et à la fin de ce cauchemar pour tous.
Je parlerai aussi au nom d’un verset. Pardon d’en citer encore un – que voulez‐vous ? les rabbins font souvent cela… Il s’agit des paroles d’un très célèbre prophète qu’on lit si souvent en temps de crise dans notre tradition.
Isaïe a prononcé un jour ces mots :
Lemaan Tsion lo éhéshé… למען ציון לא אחשה
Pour Sion, je ne me tairai pas
Certains interprètent ce verset en suggérant qu’il faudrait toujours parler en faveur de Sion, c’est-à-dire de Jérusalem et d’Israël pour en chanter les louanges, pour en éteindre les critiques, et la défendre inconditionnellement.
Mais ce n’est pas ce que dit la tradition. Nos prophètes enseignent que nous ne devons pas chercher, au nom du consensus ou du confort, à taire l’injustice ou à masquer le réel. Isaïe dit qu’il ne faut jamais se taire quand on considère que la grandeur de Sion et de Jérusalem est ternie ou mise en danger.
Bien sûr qu’il est plus simple de faire silence parce que ce serait, comme le disent certains, « le prix à payer pour ne pas vivre en Israël…. », ou la garantie d’une supposée unité affichée. Il est étrange d’invoquer cet argument alors même que le gouvernement israélien n’hésite pas à parler au nom de la diaspora, et parfois même contre ses intérêts.
Étrange aussi de se taire quand tant d’Israéliens que j’ai rencontrés ces derniers mois, ceux‐là même qui luttent pour la démocratie israélienne qui nous est chère et combattent les dérives politiques, ceux‐là même qui sont au front d’une guerre légitime et essentielle contre le Hamas et pour la survie d’Israël, quand eux nous disent encore et encore : la diaspora doit parler, elle doit nous aider, et se tenir à nos côtés maintenant, pas seulement pour lutter contre les ennemis extérieurs d’Israël et ses détracteurs, mais aussi contre ce qui, parfois, nous menace de l’intérieur du pays et affaiblit nos piliers.
D’autres me disent (et, parmi eux, des philosophes) : tu as une vision trop pure de l’idée d’Israël, trop diasporique, qui fait l’impasse sur la réalité d’un État, de tout État : avoir des mains pour agir, quitte à parfois les salir.
Et c’est avec mes deux mains que j’applaudis cette remarque car elle ne contre en rien ce que je pense, dis et fais depuis tant d’années. Le sionisme est la promesse pour les Juifs d’avoir enfin une souveraineté, c’est-à-dire une défense et une puissance politique. Mais qui dit pouvoir dit responsabilité, et c’est cela que je questionne. Non pas la nécessité pour Israël d’avoir une politique – et donc de mener parfois des actions violentes au nom de sa sécurité et sa survie – mais le devoir de s’interroger, comme l’ont toujours fait les sages d’Israël, qu’ils aient été bergers, rois, prêtres ou prophètes, sur le sens des combats justes, sur l’éthique de la guerre et la recherche de la paix.
Reste enfin le dernier argument. Celui qui s’énonce ainsi :
« Tu ne peux pas parler parce que des salopards vont récupérer tes paroles et les utiliser contre nous. Ils s’armeront de nos divisions ou de nos aveux », ce qu’on appelle en hébreu ervat haarets, « la faiblesse, les failles de notre camp ».
Et les gens qui me disent cela ont en partie raison. Certains militants politiques virulents et haineux récupèrent mes mots et les détournent, comme ils en ont recupéré et détourné tant d’autres paroles pour dire des horreurs : « Haha, vous admettez enfin le ‘génocide’ et ce que nous disons depuis le début, qu’Israël est un État colonial immoral par essence et coupable… »
À ceux‐là, je dis évidemment et trop poliment peut‐être : allez vous faire voir… Car non, je ne validerai jamais vos slogans ignobles, vos mensonges, votre délégitimation d’Israël et votre idéologie mortifère.
Je lutterai de toutes mes forces contre cet antisionisme qui abrite la haine antijuive actuelle, celle qui offre son soutien aux terroristes du Hamas, celle qui menace nos enfants.
Je parlerai donc encore par amour d’Israël, par sionisme et par attachement à l’éthique et aux enseignements sacrés du judaïsme. Et je dénoncerai encore les propos de ces ministres du gouvernement Nétanyahou, ceux qui appellent à ne pas faire de la libération des otages une priorité suprême, ceux qui appellent à réoccuper Gaza, ou à suggérer que la faim serait une arme de guerre légitime. Toutes ces paroles de déshumanisation, qui ont été prononcées, qu’elles soient suivies de leur réalisation immédiate ou non, constituent à mes yeux – et aux yeux de bien des Israéliens – une trahison et un hiloul hashem [une profanation du nom de Dieu]. Refuser de les condamner et se taire, c’est, à mon sens, renforcer la parole de nos ennemis. En cela, c’est affaiblir Israël qui a besoin de nos mots, comme d’un miroir salutaire, et de notre défense contre cette autre menace.
La préservation des valeurs morales et les leçons de l’histoire juive doivent nous guider : le souci de la démocratie est la plus grande fidélité au sionisme.
Je sais qu’il y a beaucoup de Juifs en désaccord absolu avec moi, qui considèrent que je m’égare et me trompe, que je suis naïve ou à côté de la plaque, et je respecte ce point de vue. Non seulement je le respecte, mais je considère qu’il est la force de notre peuple. Il n’existe aucun pape juif, aucune personne qui puisse parler au nom de l’institution ou du groupe, d’une voix unique. Notre force est là : être capable d’avoir un débat, sans unanimité, sans consensus absolu… et sans sinat hinam, cette haine gratuite qui nous assassine – tout comme la médisance le fait parfois.
J’invite donc tous mes « frères et sœurs » qui ont passé un temps considérable à écrire autant d’horreurs sur mon compte ces derniers jours, à investir cette énergie dans les combats bien plus critiques, bien plus juifs et bien plus humanistes.