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« La liberté d’expression n’est pas totale en droit israélien ni en droit international »

Tenoua a rencontré Yael Vias Gvirsman, avocate spécialisée en droit international humanitaire et pénal, fondatrice de « October 7 Justice Without Borders ». Avec elle nous évoquons, sur le terrain de la justice internationale, les implications du conflit actuel, la responsabilité des dirigeants politiques et les enjeux des choix politiques à venir.

Publié le 28 mai 2025

12 min de lecture

© Joan Roth – Yael Vias Gvirsman lors de la Conférence sur le droit international de l’OTAN, Université de Boston

Antoine Strobel-Dahan – Yael Vias Gvirsman, vous êtes avocate, spécialiste du droit international humanitaire et fondatrice de October 7 Justice Without Borders. Je vous propose un exercice pas tout à fait habituel pour une juriste : se pencher sur certaines déclarations politiques israéliennes et voir ce qu’impliquerait leur mise en œuvre effective en termes de droit international. Pour l’essentiel, ce sont des phrases qui ont été prononcées par Itamar Ben Gvir et Bezalel Smotrich et je veux préciser qu’à chaque fois elles provoquent de vives critiques de la part d’une vaste partie de la classe politique israélienne ainsi que des responsables militaires ou sécuritaires. Il est par exemple question de « migration volontaire » des habitants de Gaza, une idée qui n’est pas neuve dans la bouche de Smotrich mais qui a connu un regain d’intérêt depuis la proposition du président américain Donald Trump de « relocaliser » les Gazaouis hors du territoire. Y a‑t‐​il un seuil soit dans la pression exercée par les discours, soit dans la pression militaire, à partir duquel il peut être considéré qu’une migration volontaire devient un déplacement forcé ? Et quelle est la compatibilité de cette idée d’encourager les habitants d’un territoire avec le droit international humanitaire [DIH] ?

Yael Vias Gvirsman – Avant de répondre, il me faut donner le contexte et faire la différence entre la responsabilité entraînée par la parole et la responsabilité entraînée par l’action. Cette « émigration volontaire » dans le contexte d’une guerre où il y a une souffrance civile certaine apparaît a priori déjà comme une notion assez obscène. Déjà dans les années soixante et soixante‐​dix, des personnalités comme Meir Kahane et son parti politique, Kach, revendiquaient officiellement être favorables au transfert des Palestiniens vers la Jordanie ou l’Égypte, c’est‐​à‐​dire à l’extérieur du territoire israélien et du territoire dont Israël a pris le contrôle effectif depuis la Guerre des Six jours [juin 1967]. Ce parti politique a été interdit par les autorités israéliennes en 1988 pour ses dérives racistes et, en 1994, à la suite de l’attentat terroriste de Baruch Goldstein à Hebron contre des musulmans en prière, ce parti politique a été reconnu comme une organisation terroriste. Donc l’appel au transfert ou à la mobilisation « volontaire » n’est pas nouveau, simplement il est contraire à la loi et à l’ethos de la société israélienne depuis toujours – des propos particulièrement extrêmes dans le paysage. Et aujourd’hui encore, même si ces extrémités se retrouvent, par le système de coalition, dans le gouvernement, elles ne représentent qu’une fraction très minoritaire de l’électorat. Les propos de Trump sur la « Gaza Riviera » mais pas pour les Gazaouis rejoignent de facto les tendances les plus violentes en Israël.

Concernant le degré de responsabilité, il faut faire la distinction entre paroles et actes. La liberté d’expression n’est pas totale en droit israélien ni en droit international. La parole est limitée par la liberté d’autrui : si elle incite à la violence, la parole amène une responsabilité, surtout quand elle est exercée par des personnes en situation de pouvoir ou de contrôle, comme ici des ministres. La parole est donc libre mais pas illimitée et entraîne une responsabilité. En droit international, on reconnaît l’incitation au génocide comme un crime en soi. Dans ce cas, il ne s’agit pas d’une incitation au génocide, mais d’une incitation à la persécution, possiblement au déplacement forcé, et elle pourrait donc, en DIH, être utilisée pour montrer l’intention qui a présidé à une action.

Dans un contexte de conflit armé, les mouvements de populations civiles sont non seulement courants mais systématiques. La question est donc de savoir si ce mouvement est forcé, s’il est volontaire ou si même, parfois il est nécessaire, relevant d’une obligation humanitaire. Par exemple, le déplacement de masse de plus de 2 millions de Palestiniens à Gaza est obligatoire quand la vie de ces populations est en danger si elles restaient sur place. C’est pour cela qu’existent les « couloirs humanitaires » par exemple, qui assurent un passage sécurisé aux civils pour sortir de la zone de danger en temps de conflit armé. C’est exactement ce qui a été mis en application par les autorités israéliennes dans le nord d’Israël quand elles ont évacué toute une zone à proximité de la frontière durant la guerre que le Hezbollah a lancé contre Israël le 8 octobre 2023. Pour qu’un tel déplacement soit légal, nécessaire et humanitaire, il faut la garantie pour la population en danger évacuée d’être autorisée voire soutenue dans son retour à la fin des hostilités. 

S’il existait un plan étatique ou organisationnel de déplacement d’une population civile, que ce déplacement soit forcé et qu’il vise une population concrète, autrement dit si on assistait à un « nettoyage ethnique », il s’agirait alors à la fois d’une persécution et d’un déplacement forcé, tous deux constitutifs de crimes contre l’humanité

ASD – Donc le caractère temporaire de ce déplacement est ici crucial ?

YVG – Absolument, il existe même des pays qui reconnaissent la protection temporaire pour permettre aux civils de trouver un asile durant les combats. Une fois le calme revenu, les États et autres acteurs contribuent au retour de ces populations chez elles. Il est donc important de montrer que ce n’est pas déplacement de populations qui est illégal en soi, il est même parfois une obligation au regard du droit humanitaire. Malheureusement, oui, des ministres israéliens ont posé ces termes d’« émigration volontaire » dont on sait tous ce que ça sous‐​entend pour eux : ce ne serait pas temporaire.

Alors concernant ces propositions (pour l’instant je ne parle que de paroles, je n’ai pas connaissance d’actes dans ce sens), on peut avoir une idée de ce qu’elles impliqueraient juridiquement si elles étaient mises en œuvre parce qu’ils n’ont rien inventé. Durant la guerre des Balkans aux années quatre‐​vingt‐​dix, on a assisté à de tels déplacements, et le Tribunal pénal international pour l’ex‐​Yougoslavie a été amené à plusieurs reprises à définir factuellement ces déplacements : S’agissait-il de déplacements forcés ou volontaires ? Est‐​il nécessaire d’amener des moyens de transports pour qu’un déplacement soit forcé ? Faire en sort que les conditions de vie soient abominables suffit‐​il à définir le caractère forcé du déplacement ? La jurisprudence peut aller assez loin et il en ressort que, s’il existait un plan étatique ou organisationnel de déplacement d’une population civile, que ce déplacement soit forcé et qu’il vise une population concrète (un groupe national, ethnique, religieux, racial, etc.), autrement dit si on assistait à un « nettoyage ethnique », il s’agirait alors à la fois d’une persécution et d’un déplacement forcé, tous deux constitutifs de crimes contre l’humanité.

ASD – On a vu un ministre suggérer de couper l’électricité à Gaza et/​ou de bombarder les stocks alimentaires sur le territoire, quelles sont les lignes rouges là‐​dessus dans un contexte de conflit armé ? Qu’est-ce qui peut faire partie de moyens de guerre légitimes et qu’est-ce qui sort de ce champ ?

YVG – On rentre là dans une zone beaucoup plus complexe à la fois juridiquement et factuellement. L’État d’Israël a‑t‐​il une obligation de fournir de l’électricité à Gaza ? La réponse est non. Du point de vue du droit, il n’y a pas d’occupation israélienne de Gaza après 2005, et donc pas non plus d’obligation de fournir de l’électricité. En revanche, en droit des conflits armés, si un belligérant n’a aucune obligation de « fournir » quoi que ce soit à son ennemi, il a l’obligation de permettre l’acheminement de produits humanitaires aux civils, tout en conservant le droit d’empêcher que des ressources atteignent les combattants ennemis.

Quant à savoir si on a le droit d’attaquer une ressource, c’est encore une autre dimension. Si on attaque volontairement le générateur d’un hôpital, on peut mettre en péril des vies civiles. S’il s’agit d’un générateur qui alimente le QG du Hamas, alors c’est un objectif militaire et ça n’est pas interdit. Le souci est que, souvent, l’usage est double, à la fois civil et militaire. Dans ce cas le DIH dirait que ce qui importe, c’est la proportionnalité : il serait excessif de priver toute une région d’électricité pour couper le courant aux seules installations militaires, cela violerait le principe de discrimination entre civil et militaire.

Donc pour résumer : obligation de fournir, non ; obligation de permettre l’acheminement, oui ; attaquer des infrastructures ou des ressources, non sauf de façon « proportionnelle » et discriminée, c’est‐​à‐​dire en distinguant un objectif militaire (par nature, usage, localisation ou par son objectif dans les circonstances).

ASD – Parlons de cette volonté exprimée par Smotrich d’une « annexion civile » de la Cisjordanie. Il a notamment, d’ailleurs, dès qu’il est arrivé au pouvoir, participé à mettre en place une administration des implantations dont le but, selon ses propos, est de transférer la gestion civile des colonies à des autorités israéliennes civiles et non plus à l’autorité militaire comme c’est le cas aujourd’hui. Pour le commun des mortels, il semble pourtant qu’une administration civile est préférable à une administration militaire. Mais il semble que ce transfert d’autorité aurait une autre implication potentielle. Quel est, d’un point de vue juridique, la frontière entre un transfert administratif, une annexion effective, une occupation de territoire, etc.?

L’annexion est interdite, les frontières et la souveraineté sont sacrées, notamment dans la Préambule de la Charte des Nations Unies. 

YVG – Je dois dire que le fait de nommer les auteurs des propos peut mener à un certain biais parce qu’on connaît (et on rejette) ces personnalités politiques. Pour bien répondre en droit dans l’impartialité et l’objectivité, il peut être utile de se détacher de l’auteur de telle ou telle proposition pour se concentrer sur les faits. 

Le changement d’administration de militaire à civil sur un territoire occupé change‐​t‐​il le statut de ces territoires ? Non, absolument pas. La vraie question derrière cette question juridique est de savoir s’il y aurait annexion du territoire du fait de ce changement. Et dans les faits, comme vous le soulignez, on peut imaginer que la situation des civils palestiniens serait meilleure s’ils dépendaient de la police et non de l’armée. Le droit de l’occupation dit deux choses fondamentales : 
1) l’occupation consiste en le contrôle effectif d’un territoire pris dans le cadre d’un conflit armé
2) en découle les obligations de l’occupant : gouverner le territoire, autant que possible selon les lois qui existaient avant l’occupation, et dans l’objectif du bien‐​être de la population protégée par ce droit. Donc l’occupant devient de fait le gouverneur. 
Le gouverneur militaire d’un territoire occupé a en fait deux rôles simultanés : gouverner (assurer l’ordre public) et atteindre ses objectifs militaires.

ASD – Que se passe‐​t‐​il alors quand une personnalité politique dit que « 2025 sera l’année de la souveraineté juive sur la Judée‐Samarie » ?

YVG – C’est différent, ici on ne parle pas d’administration civile mais de souveraineté. Ce n’est plus agir en tant que protecteur /​administrateur /​occupant, c’est devenir souverain, autrement dit c’est l’annexion. 
Et l’annexion, c’est interdit en droit international. Depuis plus de 200 ans, les États ont décidé collectivement qu’il n’est pas bon de gagner du territoire par la guerre, et cela est devenu vraiment une norme après les deux guerres mondiales, qui a amené à la responsabilité individuelle en termes de droit international, ce qu’on a appelé le « crime d’agression » ou « crime contre la paix ». Donc l’annexion est interdite, les frontières et la souveraineté sont sacrées, notamment dans la Préambule de la Charte des Nations Unies. C’est pour ça que l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014 est une violation claire du droit international. Un territoire saisi au cours d’un conflit armé doit voir son statut solutionné politiquement. C’est ce qui s’est passé avec le Sinaï : en 1978, quand l’Égypte et Israël signent la paix, Israël rend le Sinaï à l’Égypte et, dans le même temps, l’Égypte renonce à toute revendication sur la Bande de Gaza. De même que la Jordanie n’a plus de revendication sur la Cisjordanie depuis 1988, alors que la Jordanie occupa la Cisjordanie de 1948 à 1967. 

Donc si l’État d’Israël réalisait cette vision fantasmée d’un « Israël intégral » englobant la Cisjordanie et même, pour certains, la Transjordanie (qui faisait partie de l’Israël biblique « Erets Israël »), cette vision que le sionisme des fondateurs jugeait irréaliste ; mais si Israël réalisait cette vision fantasmée, ce serait une violation grave du droit international. Mais surtout, cela aurait un impact encore plus important : cela scellerait le débat qui existe depuis surtout depuis 1967 sur les intentions d’Israël concernant les territoires occupés. Autrement dit, ces orientations politiques sont‐​elles en place pour des raisons sécuritaires ou visent‐​elles à conserver de façon indéfinie le contrôle sur ces territoires ? Par exemple sur la « barrière de sécurité » ou « mur de séparation », établie par l’État d’Israël en réponse aux tentatives terroristes sanglantes et récurrentes durant la deuxième intifada dans les années 90–2000. C’est un débat interne à la société israélienne et qui se projette à l’extérieur. 

Il me semble ici important d’expliquer que plus monte la violence, les attaques et l’extrémisme contre les citoyens israéliens de la part d’acteurs externes, plus ces visions fantasmées trouvent de l’écho au sein de la population israélienne et plus il est difficile de contrer ces élans jusqu’ici très minoritaires. Plus grand est le trauma des Israéliens, comme depuis le 7 octobre, mieux on peut leur « vendre » cette idée irréaliste d’une souveraineté totale sur le territoire d’un Grand Israël fantasmé – au nom de besoins sécuritaires face à un ennemi (existant) qui cherche à éliminer Israël et à exterminer sa population. Évidemment, les gens ne seraient pas séduits par la lecture biblique du territoire mais par la promesse sécuritaire. Et ce serait tragique parce que la réalité est simple : 2,5 millions de Palestiniens à Gaza, un peu plus en Cisjordanie, ne vont pas disparaître, et les 9,5 millions d’Israéliens non plus.

ASD – Soyons concrets : cela fait des années qu’à Tenoua, par exemple, nous luttons contre l’utilisation du terme « apartheid » concernant Israël. Israël à l’intérieur de ses frontières est un pays dont tous les citoyens jouissent des mêmes droits et des mêmes devoirs (malgré quelques exemptions facilitées concernant le service militaire) : la fiscalité est la même pour tous, les droits civiques sont identiques, etc. et donc le terme apartheid est impropre concernant Israël. Mais si demain la Cisjordanie devenait partie intégrante d’Israël, avec tous ses habitants, n’y a‑t‐​il pas un risque alors de voir se développer un système dans lequel il y aurait différentes catégories de populations ?

YVG – Effectivement, factuellement, juridiquement, socialement, tout le monde est égal en droit au sein des frontières de l’État d’Israël, quelle que soit la religion, l’ethnie, etc. C’est un pays de liberté, d’égalité, qui promeut la vie et la dignité humaine. Évidemment qu’il existe des différences sociales mais le droit, dans son immense majorité, est égal, le système juridique, même s’il est aujourd’hui sous attaque par ce gouvernement, fonctionne toujours. Dans le même temps, dans les territoires extérieurs aux frontières israéliennes sous occupation, cohabitent deux lois : la loi de l’occupation s’applique à la population protégée, palestinienne, mais les citoyens israéliens qui vivent sur ce territoire bénéficient, eux, du droit israélien, qui est ici extraterritorial. Dans les faits, ça crée une inégalité et c’est là qu’il faut revenir à l’intention : l’intention des gouvernements israéliens depuis dans la coexistence de ces deux lois n’est pas l’apartheid ou la ségrégation mais le règlement diplomatique du statut de ce territoire, ce que tentaient les accords d’Oslo dans les années quatre‐​vingt‐​dix ou de Charm el‐​Cheikh jusqu’en avril 2014 encore.

L’apartheid, c’est un régime systématique de domination d’une race sur une autre, et c’est pour ça que c’est un crime contre l’humanité. C’est un projet étatique ou organisationnel qui vise à créer des différences en droit – pas seulement dans les faits mais en droit – contre un groupe spécifique. Et si on veut un exemple d’apartheid, même si on ne l’appelle pas ainsi, prenons les lois qui existaient dans la Syrie de Assad et dans d’autres pays arabes, envers les camps de réfugiés palestiniens, où il y avait des droits systémiques : selon que vous êtes sunite ou shiite, vous avez ou non le droit de devenir citoyen, de travailler dans certains métiers, etc. C’est quelque chose qui n’existe pas du tout, ni en Israël ni dans les territoires occupés par Israël en Cisjordanie.


« October 7 - Justice Without Borders »

October 7 - Justice Without Borders, [ou O7J, 7 octobre - Justice sans frontières], est né de l’effroi et de l’urgence. Depuis le 7 octobre, ces atrocités – crimes contre l’humanité, crimes de guerre, disparitions forcées, actes de torture – se poursuivent, et 58 otages sont encore retenus à ce jour. La justice pour les survivants, la responsabilité des auteurs et de leurs complices, c’est désormais ma mission, c’est devenu ma vie.

Tout a commencé de manière individuelle, une réaction. Le samedi 7 octobre au matin, à 6h29, j’étais réveillée avec ma famille à Tel Aviv par l’alerte aux missiles – suivie par 7000 attaques enregistrées dans les jours qui ont suivis. Ma sœur, elle, vit à seulement 9 kilomètres de la frontière avec Gaza. Pendant au moins quarante-huit heures, nous avons vécu une angoisse existentielle au niveau personnel et national, une menace aiguë sur toutes les frontières d’Israël, y compris – potentiellement – de nature nucléaire, via les proxys de l’Iran. C’est dans cette sidération que j’ai reçu, dès le 8 octobre puis les jours suivants, les premiers appels de citoyens par le biais d’avocats de droit de l’homme qui me connaissaient. Ils accompagnaient des proches de disparus – car le 7 octobre, il y avait plus de 3 000 disparus –, certains avaient tout perdu : communauté, maison, repères. Ils me demandaient de l’aide, un contact direct avec le Comité international de la Croix-Rouge, et une voix pour dialoguer face au silence des institutions – gouvernement, armée, parlementaires, services de sécurité, qui étaient incapable de répondre au tsunami des besoins.

C’est à ce moment que je suis sortie de mon propre choc. J’ai compris que mon rôle professionnel devait prendre le relais. J’ai alors mobilisé plus de vingt ans d’expérience dans la poursuite des atrocités à travers le monde, et j’ai fondé O7J, parce qu’il était évident que je ne pouvais rien accomplir seule. Il fallait une structure, des ressources humaines, une continuité, un financement. Nous ne recevons aucune subvention de l’État et fonctionnons uniquement grâce à des donations privées. Nous agissons en totale indépendance et de façon apolitique, dans une réalité hyper-politisée en Israël et ailleurs –pour mener une lutte juridique globale, sans frontières. Nous plaçons les droits des victimes au centre de chaque décision.

Aujourd’hui, plus de 400 personnes – survivants, familles endeuillées, otages ou proches d’otages – ont choisi d’être représentées par O7J. Notre action s’organise autour de trois piliers fondamentaux :

D’abord, la représentation des victimes : leur donner une voix, les accompagner dans leur parcours de justice. Ensuite, l’action judiciaire – tant au pénal qu’au civil –, menée devant des juridictions internationales ou nationales, sur la base de la compétence universelle ou de la nationalité des victimes. Au pénal, cela signifie l’identification des responsables, la constitution de dossiers, la demande d’émission de mandats d’arrêt, la collecte de témoignages pour démontrer la systématicité des crimes, et la représentation des victimes aux procès qui auront lieu. Au civil, nous poursuivons les responsables – États, banques, entreprises – qui ont, d’une manière ou d’une autre, soutenu financièrement le terrorisme et portent une responsabilité dans ces crimes. Enfin, nous construisons une base de preuves : nous analysons les éléments, recueillons les preuves auprès des victimes directes, des autorités israéliennes ou d’autres acteurs pour documenter et appuyer l'action en justice.

Donc trois piliers : droit des victimes, action en justice et établissement de la preuve. Et cela nous amène à être actifs directement devant la Cour pénale internationale, mais aussi en Allemagne, en France, aux États-Unis, en Israël et dans bien d'autres pays.

Yael Vias Gvirsman