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Israéliens et Iraniens : deux peuples alliés ? 

Après le 7 octobre, en diaspora, on a observé un rapprochement entre des opposants iraniens en exil et des Juifs engagés pour la reconnaissance des crimes du 7 octobre. Ces deux minorités se sont alliées pour “combattre” une même idéologie, celle de la République islamique d’Iran. Combattre ce régime qui a soutenu le Hamas dans sa préparation des massacres du 7 octobre, et persécuté les partisans du mouvement “Femme, Vie, Liberté” depuis 2022 et tous les mouvements d’opposition depuis des années. Quelques jours après le début de la guerre entre Israël et l’Iran, qu’en est‐​il vraiment ? Comment ces deux peuples se perçoivent‐​ils ? Alexander Grinberg, spécialiste de l’histoire iranienne à l’université de Tel Aviv, nous répond.

Publié le 20 juin 2025

5 min de lecture

Drapeaux d’Israël et de l’Iran pré‐​Révolution islamique lors de la manifestation du 6 octobre 2024 à Paris

Quels sont les liens ancestraux qui unissent les peuples juif et perse, deux peuples millénaires ? 

Avant notre ère, Cyrus le Grand, le fondateur de l’empire perse, avait octroyé au peuple juif le droit de retourner en Judée et de reconstruire le temple de Jérusalem. Ce roi pratiquait ce que l’on appelle de la realpolitik, une stratégie lui permettant de garantir la loyauté des nations de l’empire. Ce roi a acquis une très bonne réputation dans l’histoire juive au point d’être surnommé le “Messie de Dieu”. Pendant des siècles, les Juifs vivent très imprégnés de la culture perse. Mais, au XVIe siècle, l’Iran devient chiite, un courant qui valorise la haine antijuive, la population devient de plus en plus intolérante envers les Juifs, beaucoup sont convertis de force à l’Islam, des femmes sont aussi enlevées et mariées sans leur consentement. 

Dans l’histoire de l’Iran moderne, à partir de Reza Shah (empereur de 1925 à 1941), les Juifs connaissent une période d’accalmie, les lois islamiques discriminant les Juifs sont abolies, leurs droits sont presque équivalents à ceux des Musulmans. À partir des années quarante, un nouvel antisémitisme se développe sous l’influence des mouvements islamistes portés par les Frères musulmans (basés en Égypte) mais aussi par l’idéologie nazie. Autrement dit, l’antisémitisme de tradition chiite et l’antisémitisme des Frères Musulmans coexistent alors. Dans les années quarante‐​cinquante, si une personne juive touchait des fruits sur un stand d’un marché, elle était obligée d’acheter l’intégralité du stand en raison de son impureté. C’était surtout un moyen de s’enrichir sur le dos des Juifs, victimes du fanatisme chiite. Après la création de l’État d’Israël, les relations entre le Shah et les Israéliens, même si elles ne sont jamais officielles, sont relativement cordiales. Les deux pays coopèrent dans les domaines militaire, des ressources énergétiques, de l’agriculture, scientifique, artistique ou encore littéraire… 

Puis, en 1979, la République Islamique, un régime théocratique chiite, gagne le pouvoir. Comment se transforment les relations entre les deux peuples ? 

En 1979, tout bascule à nouveau, l’antisémitisme et l’antisionisme se hissent au rang de valeurs fondatrices de la politique de l’ayatollah Khomeini, l’ambassade d’Israël devient l’ambassade de l’OLP (Organisation de Libération de la Palestine). Depuis lors, la rhétorique des dirigeants de l’Iran se calque sur celle de l’ex-URSS et reprend l’idée d’une lutte contre l’impérialisme, contre le sionisme mondial. Mais, il est important de noter qu’en dépit de ce contexte de haine antijuive, depuis la Révolution Islamique, la société iranienne a beaucoup changé, elle se trouve éduquée, urbaine, sécularisée. Les Iraniens, d’après les dernières enquêtes réalisées bien avant le 7 octobre, sont moins sensibles aux idées antisémites que le reste du Proche‐Orient.

Comment expliquer le décalage entre la propagande de la République islamique, obsédée par la destruction du peuple juif, et l’opinion publique iranienne ?

Il faut bien comprendre qu’en Iran,plusieurs communautés, ethnies et cultures cohabitent. Il n’y a pas une société iranienne avec 90 millions de personnes qui pensent dans la même direction, qui sont issues des mêmes racines. Dans ce pays multiethnique, on ne peut pas détester l’autre, parce que l’autre est chez soi. 

Aussi, l’Iran se pense comme une puissance en concurrence avec des pays occidentaux et non avec des pays arabes. Peu importe le champ d’expression, le pays se distingue, vous serez étonné du nombre de chercheurs iraniens référencés sur Google Scholar. Ajoutons que le niveau de digitalisation de l’Iran est remarquable, tous les services gouvernementaux sont accessibles en ligne, preuve de sa modernité. 

Je tiens à rappeler que l’éducation de toutes les populations, même rurales en Iran, remonte au Shah Mohammad Reza Pahlavi. Dans les années soixante, le dirigeant a confié à des soldats la mission d’alphabétiser les campagnes, un processus qu’on a appelé la “révolution blanche”. 

Dans le cadre d’un volontariat de renseignement après le 7 octobre, j’ai découvert des messages en arabe niant les crimes du Hamas, aucun ou presque en persan alors que Khamenei et ses hauts‐​gradés n’ont pas cessé de louer les massacres du 7 octobre, d’en faire l’éloge à chaque occasion. Et, j’ai également remarqué qu’au moment de l’annonce de la mort de Yahya Sinwar, chef du Hamas, des Iraniens ont publié des messages de joie sur leurs réseaux. Même chose lorsqu’un gardien de la Révolution qui participait aussi à la répression du mouvement “Femme Vie Liberté” a été éliminé. Les Iraniens, plus que n’importe quel autre peuple musulman, sont conscients qu’avec les Israéliens, ils partagent un même adversaire, il n’y a pas besoin d’être sioniste ou membre du Likoud pour le comprendre. 

Qu’en est-il des 9.000 Juifs qui vivent encore en Iran. Comment cette minorité évolue-t-elle depuis le changement de régime ? 

Depuis le renversement du Shah, les Juifs d’Iran se taisent et/​ou condamnent “l’agression sioniste” comme ça a été le cas de la communauté juive d’Ispahan il y a quelques jours. Les Juifs iraniens servent à condamner la politique israélienne, leur minorité est largement instrumentalisée par les mollahs. Mais, l’Iran a beau être une dictature, sa priorité n’est pas de traquer les minorités, donc de persécuter les femmes ou les Juifs, sa priorité (voire sa chasse gardée) est d’assurer l’application des lois islamiques. En Iran, il est possible de vivre presque normalement si vous respectez la figure du Guide et si vous ne vous positionnez pas contre les lois islamiques. Contrairement à l’Arabie Saoudite, les Iraniens agissent en fonction de certaines règles imposées par le régime et non en réaction à la pression sociale. 

Depuis les années quatre‐​vingt‐​dix et la chute de l’URSS, la société iranienne a assisté à l’effondrement des valeurs communistes largement reprises par la République Islamique. En conséquence, les Iraniens se montrent moins antisémites qu’avant l’ouverture de leurs frontières. 

Comment la société israélienne a-t-elle réagi à la mobilisation des jeunesses iraniennes à la suite de la mort de Mahsa Amini en septembre 2022 ? 

Les Israéliens sont certains qu’un renversement du régime des mollahs peut avoir lieu. Or, la majorité des Iraniens, même si elle est fermement opposée à l’autorité du guide suprême, ne connaît aucun autre système, elle n’est pas non plus nostalgique du Shah (régime politique qu’elle n’a pas connu dans la plupart des cas). Les Iraniens comme beaucoup d’autres peuples ne sont pas prêts à sacrifier leur vie pour des idées, ils espèrent surtout vaquer à leurs petites affaires. Les élites ne sont pas non plus convaincues par le régime en place, elles souhaitent simplement préserver leur statut social et ne voient pas quelle pourrait être l’alternative et en quoi cette alternative leur assurerait la même sécurité. Israël ne peut pas engager une crise politique ou tenter de provoquer la chute du régime à la place des Iraniens, la guerre en cours sert surtout à mettre un coup d’arrêt au programme nucléaire iranien. 

D’ailleurs, les Israéliens ont bien conscience qu’ils ne combattent pas les Iraniens mais le régime, celui qui, depuis son émergence, se mobilise pour la destruction d’Israël à travers son programme nucléaire et ses alliés dans la région, le Hezbollah au Liban, le Hamas et le Jihad islamique à Gaza, les Houthis au Yémen. 

Comment les Iraniens perçoivent-ils l’action militaire israélienne, les nombreux bombardements qui frappent chaque jour?

Benjamin Nétanyahou est assez apprécié en Iran parce qu’il est le seul dirigeant d’une puissance étrangère à s’adresser directement aux Iraniens, et parfois dans leur langue, cela depuis plusieurs années. Depuis le début de l’offensive israélienne, la plupart des Iraniens a conscience que l’armée de l’air israélienne se concentre sur des cibles liées au programme nucléaire et n’a aucun intérêt à viser la population civile. Ils observent aussi que la puissance militaire israélienne démontre la fragilité du régime, le caractère mensonger de sa propagande qui affirmait que la réponse à l’entité sioniste serait écrasante… 

Propos recueillis par Léa Taieb