M

Thématiques

Newsletter

Chaque semaine, recevez les dernières actualités de Tenoua

À propos

Qui sommes-nous

L'équipe

Les partenaires

Contact

Archives

Informations

Mentions légales

Décryptage : les drôles de mesures de Pedro Sánchez, le chef de l’exécutif espagnol

À la suite d’une déclaration officielle de Pedro Sánchez, président du gouvernement espagnol, qui annonce notamment l’interdiction d’entrée sur le territoire de « toutes les personnes qui participent de façon directe au génocide » à Gaza, Tenoua propose un décryptage critique de ces mesures aux relents populistes et aux approximations étonnantes.

Publié le 10 septembre 2025

7 min de lecture

Pedro Sánchez en décembre 2023 – cc by sa La Moncloa

Dans nos décryptages, nous essayons d'être le plus exhaustifs et précis possible. Ici, les traductions de l'espagnol ayant été faites par nous, et toute traduction comportant une part d'interprétation, nous vous proposons, pour chaque propos cité en français, la version originale officielle en espagnol (disponible en intégralité ici) en notes de bas de page. 


Lundi 8 septembre, le Président du gouvernement espagnol, Pedro Sánchez (en poste depuis 2018), prononçait une déclaration institutionnelle (transcription officielle en espagnol) devant la presse et sans questions devant La Moncloa, sa résidence officielle, pour révéler « neuf mesures contre le génocide à Gaza » que son gouvernement entend mettre en œuvre.

Si la déclaration débute par une reconnaissance du droit des Juifs à disposer d’un État « après tant de souffrances [1] » (il cite ici les « innombrables persécutions et injustices tout au long de l'Histoire, incluant la plus atroce de toutes, que fut l'Holocauste [2] »), et rappelle que son gouvernement « a condamné depuis le premier jour les attaques terroristes et les prises d'otages du Hamas », le « mais » se présente dès le troisième paragraphe. C’est un « mais » qui dit que « c'est une chose de protéger son pays, de protéger sa société, et c'est une tout autre chose de bombarder des hôpitaux et de faire mourir de faim des enfants innocents [3] ». 

Suivent des chiffres édifiants et une conviction du chef de l’exécutif espagnol : il s’agit « d'exterminer un peuple sans défense [4] ». Et le regret que la communauté internationale patauge entre « indifférence envers un conflit sans fin et complicité avec le gouvernement du Premier ministre Nétanyahou [5] ».

Jusqu’ici, on peut être d’accord ou pas, s’étonner que la seule raison qui justifie selon Sánchez un État juif serait la Shoah, trouver que les mots sont bien ou mal choisis. Quand surgit une phrase lunaire : « L'Espagne, comme vous le savez, ne possède pas de bombes nucléaires, ni de porte-avions, ni de grandes réserves de pétrole. Nous ne pouvons pas arrêter l'offensive israélienne seuls. Mais cela ne signifie pas que nous n'allons pas essayer [6] ».
C’est peu de dire que, si M. Sánchez considère que des bombes nucléaires résoudraient le conflit, on est heureux qu’il n’en possède pas…

Avant d’annoncer de nouvelles mesures, le chef de l’exécutif rappelle que l’Espagne a déjà pris de nombreuses mesures, parmi lesquelles l’initiation de résolutions de l’ONU, le soutien à des dossiers déposés auprès de la Cour internationale de Justice et de la Cour pénale internationale, l’envoi d’aide humanitaire, un embargo sur les armes à destination d’Israël ou la reconnaissance de l’État de Palestine. Mais, dit‐​il pour la deuxième fois, sans « parvenir à freiner le massacre [7] ». D’où ces neuf nouvelles mesures.
Alors, quelles sont‐elles ?

1 à 3 : embargo sur les armes

Les trois premières consistent à inscrire dans la loi et durcir l’embargo sur les armes déjà pratiqué par l’Espagne à l’égard d’Israël, notamment par la promulgation d’un décret‐​loi royal (un dispositif législatif espagnol permettant au gouvernement d’adopter un décret à valeur de loi pour des cas de « nécessité urgente et extraordinaire [8] »), une interdiction aux navires transportant du carburant à destination de Tsahal de transiter par des ports espagnols, et l’interdiction de l’espace aérien national à « tout aéronef officiel » transportant du matériel de défense à destination d’Israël. 

4 : interdiction de territoire

La quatrième mesure est plus problématique, nous la citons in extenso : « l'interdiction d'accès au territoire espagnol à toutes les personnes qui participent de façon directe au génocide, à la violation des droits humains et aux crimes de guerre dans la Bande de Gaza [9] ».

Décortiquons cette phrase parce qu’elle pose de très nombreuses questions.
1. « au génocide, à la violation des droits humains et aux crimes de guerre ». 
Ici, le gouvernement espagnol semble s’arroger la compétence de qualifier en tant qu’État des crimes que les juridictions internationales compétentes n’ont pas encore jugés. Il s’appuie sur « une attaque que la Rapporteuse spéciale des Nations Unies et la majorité des experts qualifient déjà de génocide[10] », feignant d’ignorer que ni l’ONU ni les experts n’ont la compétence de qualifier un crime, seule la Justice le peut. Sánchez prétend donc agir sur la base d’une conviction ou d’une intuition, et non du respect du droit international humanitaire. 
2. « à toutes les personnes qui participent de façon directe ».
Deux éléments interpellent : l’usage du présent (« qui participent ») et la précision « de façon directe ». Le présent « qui participent » réduit le champ d’application en en excluant a priori ceux qui pourraient être considérés comme « y ayant participé » depuis octobre 2023, comme les réservistes qui ont été déployés à Gaza, d’anciens officiers qui ont quitté leurs fonctions, etc. Mais cela rend l’application encore plus délicate (comment prouver qu’une personne est « actuellement » impliquée ?). Et si on pousse cette logique jusqu’au bout, en dehors de quelques membres du cabinet de sécurité, personne ne peut être à la fois en train de rentrer sur le territoire espagnol et en train de participer à ces actes. 
« De façon directe » est encore plus intéressant : comment l’État espagnol compte‐​t‐​il démontrer la participation « directe » d’un soldat à ces actes et prouver qu’il n’était pas simplement présent au moment où ces actes étaient commis. 
Notons enfin que la précision « dans la Bande de Gaza » inclut donc également tous les membres du Hamas, du Jihad islamique ou d’autres mouvements qui violent dans ce territoire au quotidien et depuis des années, les droits de l’homme et y commettent des crimes de guerre. 

Rappelons qu’au sein de l’Union européenne, les sanctions sont habituellement listées nominativement, comme c’est le cas pour de nombreuses personnalités politiques, industrielles ou militaires russes depuis 2014, sur des listes noires, comportant pour chacune, les motivations précises de la sanction qui les vise.

5 : interdiction d'importation

La cinquième mesure fixe « l'interdiction d'importation de produits provenant des colonies illégales à Gaza, en Cisjordanie, avec l'objectif de combattre ces occupations, de freiner le déplacement forcé de la population palestinienne et de maintenir vivante la solution à deux États [11] ». On s’étonne de la mention de colonies illégales à Gaza. Pour mémoire, la Hitnatkout (« le désengagement ») a conduit à la fin de l’été 2005 Israël à démanteler intégralement les 21 colonies israéliennes de Gaza. Environ 8.000 habitants de ces colonies ont été évacués de force par l’armée sous le gouvernement d’Ariel Sharon. 

Enfin, l’ajout du qualificatif « illégales » derrière colonies correspond certes à un langage militant mais laisse entendre, venu d’un gouvernement, qu’il y aurait donc par opposition des colonies « légales » qui ne sont pas définies ici. 

6  restrictions consulaires

La sixième mesure annonce la restriction des services consulaires aux citoyens espagnols « résidant dans des colonies illégales israéliennes » à « l'assistance minimale légalement obligatoire [12] ».

7 à 9 : augmentation de l'aide financière

La septième mesure prévoit le renforcement du soutien espagnol à l’Autorité palestinienne, notamment à travers une augmentation des effectifs au sein de la EU BAM Rafah, une mission civile de l’UE qui supervise le poste de Rafah entre Gaza et l’Égypte, et « par la mise en place de nouveaux projets de coopération avec l’Autorité palestinienne dans les domaines de l’agriculture, de la sécurité alimentaire et de l’assistance médicale [13] ».

La huitième mesure est l’octroi de 10 millions d’euros supplémentaires de la part de l’Espagne à l’UNRWA (Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche‐Orient).

Et la neuvième mesure concerne une augmentation de l’aide humanitaire pour Gaza pour atteindre 150 millions d’euros en 2026, sans qu’il ne soit précisé à quelles organisations seront destinés ces fonds. 

Le Premier ministre finit en expliquant savoir que ces mesures ne freineront pas « l'invasion [14] » ni les crimes de guerre, mais qu’il espère qu’elles serviront « à ce que l’ensemble de la société espagnole sache et ressente que, face à l’un des épisodes les plus infâmes du XXIe siècle, son pays, l’Espagne, s’est trouvé du bon côté de l’histoire [15] ». Nous y sommes, il y a donc dans ce conflit un bon et un mauvais côté de l’Histoire et, puisqu’on n’a pas de bombes nucléaires à balancer sur le mauvais côté, on prend des mesures qu’on juge inutiles mais qui permettent de se sentir « du bon côté de l'Histoire ».

On rêverait que les dirigeants européens aient la volonté, la capacité et l’ingéniosité pour mettre fin définitivement à cette guerre et au conflit israélo‐​palestinien en général, que les États‐​Unis ne soient pas les seuls à pouvoir faire porter leur voix. Mais ce type de déclarations populistes, imprudentes, fourre‐​tout et d’intention de pure politique interne, sont probablement la dernière chose dont ont besoin les Palestiniens et les Israéliens pour que cesse le conflit.


[1] Después de tanto sufrimiento
[2] innumerables persecuciones e injusticias a lo largo de la historia, incluida la más atroz de todas, que fue el Holocausto
[3] Pero, con la misma convicción, el Gobierno de España cree que una cosa es proteger tu país, proteger a tu sociedad y otra muy distinta bombardear hospitales y matar de hambre a niños y niñas inocentes.
[4] Es exterminar a un pueblo que está indefenso.
[5] Quizá, porque las grandes potencias del mundo han terminado encalladas entre la indiferencia de un conflicto que no termina y la complicidad con el Gobierno del primer ministro Netanyahu.
[6] España, como saben, no tiene bombas nucleares, tampoco tiene portaaviones ni grandes reservas de petróleo. Nosotros solos no podemos detener la ofensiva israelí. Pero eso no significa que no vayamos a dejar de intentarlo.
[7] Y, sin embargo, como decía antes, no han logrado frenar la masacre.
[8] « En caso de extraordinaria y urgente necesidad, el Gobierno podrá dictar disposiciones legislativas provisionales que tomarán la forma de Decretos‐​leyes (…) », La Constitución española de 1978, Título III. De las Cortes Generales, Capítulo segundo. De la elaboración de las leyes, Artículo 86, 1.
[9] la prohibición de acceder a territorio español a todas aquellas personas que participen de forma directa en el genocidio, la violación de derechos humanos y los crímenes de guerra en la Franja de Gaza.
[10] Un ataque que la Relatora Especial de las Naciones Unidas y la mayoría de expertos califican ya como un genocidio
[11] la prohibición de la importación de productos provenientes de los asentamientos ilegales en Gaza, en Cisjordania, con el objetivo de combatir estas ocupaciones, de frenar el desplazamiento forzoso de población palestina y mantener viva la solución de los dos Estados.
[12] la limitación de los servicios consulares prestados a los ciudadanos españoles residentes en los asentamientos ilegales israelíes a la mínima asistencia legalmente obligatoria.
[13] el refuerzo de nuestro apoyo a la Autoridad Palestina mediante un incremento, un aumento, de nuestros efectivos en la misión de asistencia fronteriza que la Unión Europea tiene en Rafah y el establecimiento de nuevos proyectos de colaboración con la Autoridad Palestina en los ámbitos de agricultura, de seguridad alimentaria y de asistencia médica.
[14] Sabemos que todas estas medidas no van a bastar para frenar la invasión ni los crímenes de guerra
[15] para que el conjunto de la sociedad española sepa y sienta que, ante uno de los episodios más infames del siglo XXI, su país, España, estuvo en el lado correcto de la historia.

Sur la même thématique