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Israéliens à Paris : Maor Peled, une sérénité nouvelle

La photographe Gali Eytan, nous propose une série de photographies d’Israéliens qui vivent en ce moment à Paris et qui constatent parfois un décalage entre leur vie en France et la vie de leurs proches restés en Israël. Gali a rencontré Maor Peled, qui évolue dans le monde de la tech, un ex‐​soldat qui, à Paris, a retrouvé avec sa femme et sa fille une forme de sérénité, une impression de sécurité personnelle.

Publié le 19 septembre 2025

8 min de lecture

© Gali Eytan

Nom: Maor Peled
Âge : 34 ans
Profession: Chef de produit dans une entreprise de haute technologie
Origine : Tel‐​Aviv
À Paris depuis : Février 2024


Avec qui êtes-vous venu ici ?
Avec ma femme, Sophie, et ma fille Yael (alors âgée de deux ans et demi).

Pourquoi Paris ?
Nous avons toujours su que nous viendrions à Paris. Sophie est parisienne d’origine, elle a fait son aliyah et nous avons construit notre relation en Israël ; notre fille est née en Israël. Nous ressentons tous deux un lien fort et profond avec Israël, fondé sur le sionisme, la tradition, l’histoire, les gens, et bien plus encore. 

Mais, durant les sept années que Sophie a passées en Israël, elle a toujours ressenti le manque de sa famille qui vivait à Paris. Elle est très proche de ses parents, de ses sœurs, de ses nièces, et surtout de sa sœur jumelle – ceux qui connaissent les jumeaux savent combien ce lien est unique et puissant. Ainsi, le déménagement a toujours plané en arrière‐​plan comme une possibilité, et nous étions d’accord tous les deux que cela arriverait un jour.

Lorsque Yael est née, nous avons voulu renforcer son lien avec la famille de Sophie, qu’elle apprenne le français couramment et qu’elle bénéficie du système éducatif français, que nous jugeons meilleur que l’israélien, surtout pour la petite enfance.

Votre première année ici a eu lieu quelques mois après le 7 octobre. Voulez-vous partager comment vous avez traversé cette période ?

Les presque deux dernières années ont été parmi les plus difficiles de ma vie.
Tout a commencé de manière traumatisante le 7 octobre. Comme tout Juif dans le monde, je crois, j’ai été horrifié par la monstruosité, l’inhumanité, la barbarie et l’ampleur du massacre. Il y a eu tant d’Israéliens (et pas seulement des Juifs) assassinés avec une cruauté inimaginable : des jeunes gens, des familles entières, des femmes enceintes, des personnes âgées et des enfants. Violences sexuelles, enlèvements, destruction de communautés entières, dont beaucoup avaient œuvré au rapprochement entre habitants de Gaza et Israéliens.


J’étais totalement sous le choc, je n’arrivais pas à croire que c’était la réalité, une réalité pire que tout cauchemar imaginable.
Puis, lorsque le Hezbollah a rejoint la guerre, nous avons été confrontés à une grande peur. À cette époque, nous vivions dans le nord du pays, dans un moshav sur la côte du Carmel.
J’ai tout de suite su ce que je devais faire. La première chose, et la plus importante, était de protéger la vie de ma fille, Yael. Je ne voyais aucune raison que notre petite innocente, qui n’avait aucune part de responsabilité dans cette situation, soit blessée physiquement ou psychologiquement. Toute sa vie est devant elle, et notre rôle en tant que parents est d’abord de protéger nos enfants. La deuxième chose, non moins importante : je devais défendre mon pays. J’ai partagé mes réflexions avec Sophie, et nous en avons parlé pendant plusieurs jours.

Malgré la difficulté de prendre une décision aussi lourde – se séparer pour une durée indéterminée, lui laisser la responsabilité exclusive de Yael en mon absence, rompre soudainement et sans préparation avec la vie, les amis, la famille, le travail, et quitter Israël dans une situation si dramatique – elle a soutenu ma décision.

Une semaine et demie après le 7 octobre, Sophie et Yael ont pris un vol aller simple en direction de Paris et se sont installées chez ses parents. Quant à moi, je suis resté en Israël. Tout cela, pour une durée indéterminée.
Je croyais sincèrement qu’elles reviendraient lorsque la guerre prendrait fin, « dans seulement quelques semaines ».

Comment avez-vous géré cette distance ? Ce décalage entre la vie en France et la vie en Israël ?


La suite a été chaotique. Ma fille était perdue et ne comprenait pas pourquoi son père avait disparu.
Sophie s’occupait d’elle, tout en cherchant un emploi et une structure pour Yael, et en s’inquiétant bien sûr de ma sécurité.
Et moi, j’étais en Israël, mobilisé dans le sud de Gaza. C’est incroyable à quel point on retrouve vite l’intensité des opérations militaires, comme si on n’avait jamais arrêté. Chaque fois que je pouvais appeler Sophie, nous faisions des « évaluations de la situation », comme deux analystes d’une chaîne d’infos, essayant de deviner quand la guerre finirait et quand rentrer. Des conversations pleines de larmes, d’inquiétude et d’incertitude.

Après deux mois à suivre les développements, nous avons compris que la guerre n’allait pas se terminer. Nous avons alors décidé d’organiser notre emménagement à Paris. J’ai commencé à m’organiser : trouver des locataires de remplacement pour la maison, vendre les meubles, démissionner de mon travail, préparer les valises (quoi prendre ??), obtenir un permisde séjour en France, etc. Un mois plus tard, j’ai rendu mon arme et mon uniforme, j’ai fait mes adieux à ma famille et à mes amis, j’ai pris l’avion et j’ai retrouvé Sophie et Yael. Ce n’était que le début.

Quels ont ensuite été les défis liés à l’intégration à un pays comme la France ? 

Pour m’intégrer, il me fallait améliorer mon français, trouver un emploi, m’habituer au climat (Sophie et moi sommes des gens de soleil, et l’hiver a été froid et long !), au tempérament des Français, trouver un emploi, puis être licencié (pour la première fois de ma vie), traverser une période de dépression (je suis diagnostiqué bipolaire à la suite d’un trouble de stress post‐​traumatique lié à mon service militaire), puis retrouver un nouvel emploi.

Et durant tout ce temps, deux choses m’ont particulièrement pesé : la première, c’est la solitude. Heureusement, nos proches étaient présents pour nous entourer d’amour et nous proposer leur aide. Même si ma famille et mes amis me manquaient. 

La deuxième difficulté, c’était la poursuite et l’intensification de la guerre. Depuis qu’elle a commencé jusqu’à aujourd’hui, je reste collé aux informations, je suis chaque événement, je suis préoccupé et inquiet pour ma famille, mes amis, mes camarades d’unité qui continuent à servir depuis le début des combats.

De plus, l’antisémitisme qui monte dans le monde est réellement préoccupant et rappelle les périodes plus sombres de l’histoire juive. En résumé, l’installation n’a pas été une période très facile. Aujourd’hui, j’ai trouvé une routine plus saine et plus équilibrée, cela m’a pris presque deux ans.

Beaucoup de nouveautés vous attendaient ici : langue, travail, école pour votre fille, vie sociale. Comment avez-vous abordé ces débuts ? 

Effectivement, beaucoup de débuts et de défis m’attendaient. Je pense que j’ai abordé ces nouveaux défis avec curiosité, enthousiasme, et aussi avec la houtspa israélienne. Je n’ai pas hésité à aller vers les gens pour leur proposer de se rencontrer, j’ai parlé un français hésitant mais avec une confiance totale, j’ai envoyé mon CV à d’innombrables entreprises, j’ai trouvé les adresses mails personnelles de certains directeurs, je suis allé physiquement frapper aux portes pour déposer mon CV, j’ai ajouté des centaines de personnes que je ne connaissais pas sur LinkedIn pour élargir mon réseau professionnel et gagner en visibilité, je suis allé à des « rendez‐​vous platoniques » avec des inconnus pour me créer un réseau social.

J’ai beaucoup parlé des difficultés dans ma réponse précédente, donc je pense qu’ici je dois souligner que ce qui m’a le plus enthousiasmé, c’est de découvrir la culture française, et surtout l’aspect humain, le caractère, la politesse (où sont les cris dans la rue ?), et les relations qui se construisent lentement, plus lentement que ce à quoi j’étais habitué en Israël. Mais une fois la relation établie, elle a de la profondeur, de la réciprocité et de la bienveillance. 

Qu’avez-vous apporté avec vous en France, en tant qu’Israélien – un objet, une idée, un mode de vie ?

Je ne suis pas une personne matérialiste, donc les objets ne m’intéressent pas. Sophie et Yael, c’est tout ce dont j’ai besoin avec moi. En termes de mode de vie, j’ai apporté ma pratique de la pleine conscience (mindfulness), la gratitude, la curiosité et mon enthousiasme naturel, grâce auxquels j’ai réussi à me connecter davantage aux petits moments, à la vie, et à oublier parfois toutes les inquiétudes.

En réalité, il n’y avait qu’une seule chose importante pour moi à apporter en France – une petite photo encadrée de Sophie et moi, prise au début de notre relation, qui fut un véritable coup de foudre. C’est une photo prise spontanément, où nous nous regardons avec amour. Cette photo a toujours été placée au centre de notre salon dans tous nos appartements en Israël, et elle me donne ce sentiment de « chez soi ». Bien entendu, à Paris aussi, elle est placée dans notre salon.

Qu’est-ce qui vous manque ici, et qu’avez-vous découvert ici que vous n’aviez pas en Israël ?


Ce qui me manque, c’est la chaleur israélienne, à la fois climatique et humaine.
En Israël, il suffit de rencontrer quelqu’un pour la première fois et, aussitôt, on peut le prendre dans ses bras et l’appeler « mon frère ». Ici, dans le métro, les gens n’établissent pas de contact visuel et, si cela arrive par hasard, cela donne une impression d’intrusion dans la vie privée. C’est assez drôle de voir à quel point le contraste est extrême.


En revanche, ce que j’ai découvert ici, et que je n’avais pas en Israël, c’est l’effet de la distance avec le conflit israélo‐​arabe. En Israël, je me sentais toujours obligé d’être sur mes gardes, même à Tel‐​Aviv. À tout moment et en tout lieu, un attentat pouvait survenir, ou un missile pouvait arriver de quelque part. À Paris, j’ai soudain ressenti une sérénité nouvelle, une impression de sécurité personnelle que je n’avais jamais connue en Israël.

Comment gérez-vous ce sentiment de vivre entre deux mondes – la vie relativement paisible menée ici et celle de votre famille et de vos amis traversant / confrontés à la guerre, l’incertitude, et parfois l’angoisse du quotidien ?

C’est une sensation étrange, mais je pense que je m’y suis habitué. À mes yeux, c’est la capacité particulière des êtres humains, nous sommes des créatures adaptables. Je fais face à ce sentiment grâce à un contact téléphonique permanent avec mes proches en Israël, des visites fréquentes au pays, la pratique de la pleine conscience et la gratitude de ce que j’ai.

Qu’est-ce qui vous donne de la force et de l’espoir en cette période ?

D’abord, l’amour. Pour moi, c’est l’une des forces les plus puissantes de l’univers : donner de l’amour et en recevoir. Ensuite, l’optimisme : le peuple juif a été persécuté pendant des millénaires et, pourtant, nous sommes encore là, en Israël, en France, et à travers le monde. Je n’ai aucun doute que nous surmonterons aussi cette période.

Y a-t-il quelque chose que vous aimeriez dire aux gens en Israël ou en France qui ne savent pas ce que c’est d’être "étranger" ?

Je pense que je leur dirais de faire preuve de plus de compassion envers les étrangers. Vous ne savez pas ce qu’ils ont vécu, ce qu’ils traversent actuellement, s’ils sont seuls, quelles difficultés ils affrontent. Il y a une raison pour laquelle ils ont émigré, quittant leur communauté et leur foyer pour un nouveau lieu, et, en général, les circonstances n’étaient pas favorables.

Et je leur dirais aussi qu’il ne faut pas renoncer à l’État d’Israël !
Oui, je sais, peut‐​être que vous lisez cela et vous vous dites : « Quel hypocrite, il est parti en temps de guerre ». C’est vrai. Je ne sais pas pour combien de temps, ni même si Israël a un avenir, compte tenu de tous les défis qu’il affronte.
Je sais aussi qu’il existe une maison commune à tous les Juifs : l’État d’Israël.
À mes yeux, son existence même protège tous les Juifs dans le monde.
Il faut se rappeler après quels événements historiques il a été créé…
Comme l’a dit l’homme politique Yigal Allon : « Un peuple qui ne respecte pas son passé, son présent est pauvre et son avenir obscur » .

Quelles nouvelles habitudes avez-vous adoptées ici ?

Je fais encore plus attention à mon alimentation car, ici, chaque repas se termine par un dessert. Et quels desserts, wow ! Au début, par politesse, j’en prenais à chaque fois, mais, en peu de temps, j’ai pris quatre kilos.

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