
Nom : Merav Shefer Haiman
Âge : 51 ans
Profession : actrice, metteuse en scène, directrice du théâtre pour enfants Bambina et du groupe de théâtre d’improvisation Detox
Origine : Tel Aviv
Quand es-tu arrivée à Paris ?
En juillet 2023.
Avec qui es-tu venue ?
Avec mon compagnon et mes deux enfants adolescents (oui, je sais, je ne suis pas très normale).
Pourquoi Paris ?
Parce que c’est l’endroit le plus merveilleux du monde. Avant, mon compagnon et moi venions ici au moins deux fois par an. Nous disions toujours que nous viendrions y vivre à la retraite – mais nous n’avons pas eu la patience d’attendre.
Puis est arrivé le 7 octobre. Comment as-tu vécu cette période depuis Paris ? Et ta famille ?
Nous étions anéantis par la douleur et la tristesse. Le fait de ne pas vivre en Israël ne nous a pas protégés. Je suis certaine que nous aurions été tout aussi bouleversés, même en vivant sur la lune. Le 9 octobre, j’ai commencé à suivre des cours à la Sorbonne. Je n’arrivais pas à m’arrêter de pleurer – à tel point qu’on m’a poliment demandé de sortir un moment de la classe pour reprendre mes esprits. J’étais tellement bouleversée que j’ai oublié mon sac dans la classe et j’ai dû attendre la fin du cours, dehors, en larmes. Quand le cours s’est terminé, une jeune femme iranienne, que j’avais remarquée quelques heures plus tôt, est sortie. Elle m’a prise dans ses bras. Nous avons pleuré ensemble, et elle m’a dit : « Le Moyen‐Orient est l’endroit le plus terrible du monde ».
Parle-moi de la communauté israélienne que tu t’es créée ici.
J’ai presque honte de dire à quel point elle est parfaite. Des gens de culture, intelligents, adorables et généreux – les mêmes que j’aurais choisis en Israël, pas par compromis mais par véritable affinité, même en vivant loin de ce qui m’est familier.
On a le sentiment que la communauté israélienne à Paris, autrefois petite, est devenue une communauté très importante – des milliers de personnes, beaucoup de familles, beaucoup d’enfants. Tu l’as remarqué ? Est-ce que cela a changé ton séjour ici ?
C’était une magnifique surprise, un vrai bonus. Je me suis sentie entourée, soutenue. Les gens m’ont énormément aidée – ce sont des personnes qui resteront à jamais dans mon cœur.
Raconte-moi une rencontre marquante à Paris, quelque chose qui t’a surprise.
Oh, il y en a eu beaucoup ! J’ai été frappée par la générosité, la disponibilité, le sentiment de solidarité. Je pense aussi aux mères françaises à l’école : une d’elles m’a abordée avant même la rentrée, et elle a été là pour moi, sans me connaître, à un moment où j’étais complètement perdue avec les démarches scolaires et la vie de quartier. Beaucoup de rencontres m’ont émue profondément. J’ai ressenti une vraie bienveillance, un vrai désir qu’on soit bien ici – et je crois que cela m’a changée. Je suis devenue une personne plus ouverte, plus patiente, plus généreuse.
Pourquoi être finalement rentrée en Israël ? Et dans quel état d’esprit ?
Nous sommes rentrés parce que nous avons compris que les enfants n’avaient pratiquement aucune chance de passer le bac en français, et que le baccalauréat international était hors de portée. Et aussi parce que, pour notre évolution professionnelle, il fallait beaucoup de patience ici. Nous sommes rentrés avec un goût immense de « reviens‑y » – et je suis certaine que ce n’est qu’une étape. D’ailleurs, me voila, je suis à nouveau assise à Paris, à répondre à tes questions.
Vous êtes revenus et, peu après, a éclaté une nouvelle guerre, avec l’Iran. Comment as-tu vécu ce retour brutal à une vie sous la menace, après une existence plus paisible à Paris ?
C’était une expérience terrible, traumatisante. J’ai eu le sentiment d’avoir commis l’erreur de ma vie. Je me suis dit que si quelque chose arrivait à mes enfants, je ne me le pardonnerais jamais.
Quelles habitudes parisiennes as-tu gardées en Israël ?
Je continue à marcher en talons ! Et dans mes messages, je prends toujours le temps de dire bonjour, de demander comment ça va, avant d’en venir au sujet. En Israël, on ne fait pas ça – le rythme est différent, on vit comme si une roquette pouvait tomber d’une minute à l’autre, on n’a pas le temps pour les formules de politesse. J’essaie aussi de garder cet état d’esprit hédoniste, d’aimer la vie, de ne pas me laisser happer par le stress, mais c’est difficile.
De quoi faut-il se passer quand on quitte Tel-Aviv pour Paris ? Et quand on rentre ensuite ?
Quand on quitte Tel‐Aviv, on renonce à la mer – et c’est un gros sacrifice. Aussi à la famille, aux amis, et au confort du connu. Et quand on revient, on renonce au confort de l’étrangeté, à la beauté qui nous entoure partout, et au climat parfait. Et aux merveilleux dîners de Shabbat !
Paris te manque ?
Oh oui, tout le temps. La beauté, les saisons, la tranquillité d’esprit. En Israël, tout est dramatique, tout est tendu.
Une situation drôle ou absurde qui t’est arrivée à Paris ?
Avant la première réunion parents‐professeurs, qui a eu lieu environ deux mois après notre arrivée, nous étions terriblement stressés. Nous sommes arrivés en retard, parce que nous nous étions un peu perdus dans le collège. Nous avons enregistré toute la réunion pour pouvoir ensuite nous asseoir avec Élinor, une amie d’ici et notre phare à Paris, afin qu’elle nous traduise tout. Nous nous sentions isolés, parce que tout le monde se connaissait déjà, et nous, nous venions tout juste d’arriver à Paris, un peu tendus. Et à chaque minute, un nouveau professeur entrait dans la salle, avec de nouvelles exigences : « Je suis le professeur de chimie », « Je suis celui de physique », « Moi, j’enseigne ceci… et cela… » Et nous, on comprenait à peine, mais vraiment à peine ! La réunion n’en finissait pas, c’était interminable. Quand nous sommes rentrés, nous avons passé des heures avec Élinor, qui nous traduisait et nous expliquait tout. Et à la toute fin, la prof principale a conclu : « Merci beaucoup à la classe de 3e1 ! » Sauf que notre fils Alon était… en 3e2. Bref, nous venions de passer toutes ces heures dans la mauvaise classe !




