ERNEST HEILBRONN, 76 ANS
Né à Paris le 13 octobre 1867
Arrêté à Uriage le 6 février 1944.
Déporté de Drancy à Auschwitz le 7 mars 1944 par le convoi n°69.
Assassiné.
CONVOI N° 69
PARTI DE DRANCY LE 7 MARS 1944, ARRIVÉ À AUSCHWITZ LE 10 MARS 1944
1 500 DÉPORTÉS DONT 178 ENFANTS
52 RESCAPÉS
C’est, avec le convoi 71, celui emportant le plus de déportés de l’histoire de la déportation de France. Parmi les 1 500 déportés, 110 hommes sont sélectionnés pour le travail à l’arrivée. Le nombre de femmes sélectionnées pour le travail n’est pas connu avec certitude. Les historiens Alexandre Doulut et Sandrine Labeau ont conduit des recherches qui les conduisent à une estimation de 42 femmes sélectionnées pour le travail.
Dans ce convoi se trouvent aussi le peintre Henri Epstein, ou Fritz et Anna Finaly (les parents de l’affaire Finaly qui opposa de 1945 à 1953 des proches des enfants à la tutrice catholique qui les avait baptisés et refusait de le rendre à leur famille).
Sources : S. Klarsfeld, Mémorial de la Déportation des Juifs de France
et A. Doulut, S. Klarsfeld, S. Labeau, Mémorial des 3 943 rescapés juifs de France
Ernest Heilbronn est né à Paris en 1867. Il est mort assassiné, avec sa femme Claire et sa fille aînée Marcelle dans les chambres à gaz d’Auschwitz-Birkenau, le 10 mars 1944, à leur descente du convoi n° 69, parti le 7 mars de la gare de Bobigny. Il avait soixante-dix-sept ans.
Le 12 juillet 1941, Ernest Heilbronn adressa la lettre suivante, au Préfet de l’Isère :
« Monsieur le Préfet, Pour obéir à la loi du 2 juin dernier, j’ai l’honneur de vous faire la déclaration qui suit. Je me nomme Ernest, Georges Heilbronn. Je suis Israélite, né à Paris le 13 octobre 1867. Je suis français, mes parents étaient français. Ma femme, née Claire Marie Goldschmidt qui habite avec moi, est née à Paris, le 25 juillet 1872, ses parents étaient français. Notre domicile habituel est à Paris. Nous résidons temporairement à l’Hôtel Moderne. Habite avec nous généralement notre petit-fils Philippe Pierre Heilbronn, né à Paris le 25 juillet 1932, dont le père, notre fils Pierre Heilbronn, officier au 2e groupe franc motorisé de cavalerie a été tué à l’ennemi le 9 juin 1940. Je suis sans profession. J’ étais autrefois banquier. Je suis depuis longtemps retiré des affaires… Veuillez agréer, Monsieur le Préfet, les assurances de ma haute considération. »
Ce patriote républicain obéissait ainsi aux lois de son pays. En vertu de la loi du 2 juin 1941, tout Juif même zone en libre devait se faire recenser avant le 31 juillet 1941 sous peine de poursuite.
Ernest Heilbronn, fils de Jules Heilbronn, banquier et de Sigismonde Kahn était né dans le dixième arrondissement de Paris. Son père lui avait donné ce prénom en hommage au Professeur ayant la Chaire d’hébreu au Collège de France, Ernest Renan. Il étudia au lycée Carnot puis à la Faculté de Droit de Paris et à Oxford. De 1885 à 1886, il effectua son service militaire au 3e Régiment de Chasseurs à cheval. Il était très sportif, escrimeur, golfeur et chasseur. À 25 ans, avec son associé Gustave Hermann il créa une société « de banque et de commission » : Heilbronn et Hermann, au 4, rue Chauchat, près de Drouot. La même année, il épousa, à la grande synagogue de la Victoire, Claire Goldschmidt, fille d’un grand financier, Ferdinand Goldschmidt. Ce dernier achètera au Comte Cahen d’Anvers, le château des Bergeries dans la forêt de Sénart où Renoir avait peint Irène, Alice et Elisabeth Cahen d’Anvers.
Comme évoqué dans Une élite parisienne, les grandes familles de la grande bourgeoisie juive. 1870-1939 de Cyril Grange, dans un chapitre consacré au parcours de la famille Heilbronn à Paris :
« À son mariage, Ernest Heilbronn quitte le domicile de ses parents 30, avenue de Messine et s’ installe au 88, boulevard de Courcelles. Le couple déménage rapidement pour le 31, avenue Hoche qu’ ils quitteront plus tard pour l’avenue Henri Martin. Quatre enfants naissent : Marcelle Louis Marie en 1893, Pierre en 1895, Jacques Paul Henri en 1900 et Marie-Annette en 1904 ».
Ses deux fils auront une conduite héroïque lors de la première guerre mondiale. Voici ce qu’Ernest écrivit au préfet de l’Isère dans sa déclaration individuelle pour le Recensement des Juifs :
« Mon fils aîné Pierre, trois fois blessé, cinq fois cité 1914-1918, croix de guerre, Chevalier de la Légion d’Honneur 1918 – affecté au 2e groupe franc motorisé de cavalerie 1940 a été tué à l’ennemi, le 9 juin 1940 au Pont des Andelys et cité au Corps d’armée. Mon second fils Jacques engagé à 17 ans en 1917, dans l’ infanterie, grièvement blessé en 1918, a été décoré de la médaille militaire et de la croix de guerre ».
Leur fille Marcelle s’engagea comme infirmière pour toute la durée de la guerre et fut décorée de la médaille de l’Assistance publique et de la reconnaissance française. Elle tomba amoureuse d’un de ses blessés, héros de l’aviation française, Paul Chevalier, qu’elle épousa après s’être convertie au catholicisme.
Dans l’entre-deux-guerres, Ernest céda sa banque et géra sa fortune depuis son bureau du 39 boulevard Haussmann face aux Galeries Lafayette. Il prit part à la demande de Robert de Rothschild au « Groupement de la rue du Cirque » pour venir financièrement en aide aux réfugiés juifs des pays sous tutelle nazie. Certains Juifs allemands furent aussi accueillis comme ouvriers agricoles dans la ferme familiale de Suscy-sous-Yèbles par son fils Pierre. Certains rejoignirent la Palestine, d’autres s’engagèrent en 1939 dans les bataillons de la Légion Étrangère.
Pendant la guerre, il quitta avec sa femme et son petit-fils Hubert le château des Bergeries le 8 mai 1940. Ils se rendirent au Pyla près d’Arcachon, puis passèrent l’été à Vichy, qu’ils quittèrent en septembre pour Aix-les-Bains. En juin 1941, il décida de passer en zone italienne et s’installa à Grenoble avec sa femme et son petit-fils Philippe, orphelin de Pierre. Il fit partie de ses familles juives qui durent payer « l’impôt du milliard » exigé par les Allemands le 14 décembre 1941.
À l’été 1943, il adressa à son petit-fils Hubert pour l’anniversaire de ses douze ans les souhaits suivants : « Que toutes les méchancetés qui nous entourent à l’heure actuelle disparaissent, que la vie redevenue normale dans la paix retrouvée, dans une France délivrée et que vous, mes chers enfants, cessiez d’ être les jouets d’ évènements contraires pour retrouver les joies paisibles que toi, mon cher enfant, tu n’as que trop peu connus. »
Lors de l’invasion allemande de la zone italienne, il déménagea avec Claire et sa fille Marcelle venue les rejoindre pour la ville thermale d’Uriage où ils logèrent à l’hôtel du Globe. C’est là que le 6 février 1944, un commando de SS autrichiens dirigé par le commandant du camp de Drancy, Aloïs Brunner, les arrêta. Ernest et Claire Heilbronn avaient alors 77 et 74 ans. Marcelle Heilbronn-Chevalier était à ce moment-là à la messe. Revenue à l’hôtel, elle apprit leur arrestation et décida de les rejoindre. Ils furent tous trois emprisonnés du 6 au 9 février à l’Hôtel Suisse-et-Bordeaux à Grenoble puis transportés à Drancy.
Là, Ernest avait donné toutes ses liquidités (367 105 francs) à son épouse en espérant qu’elle pourrait soudoyer un gendarme français pour sortir du camp. Cet argent fut spolié dès leur arrivée. Quatre semaines plus tard, le 7 mars 1944, ils montèrent dans le convoi de wagons à bestiaux n° 69 en gare de Bobigny comme 1 501 autres Juifs.
Marcelle que son mari Paul Chevalier aurait pu faire sortir de Drancy, refusa et souhaita suivre le sort de ses parents qu’elle ne se voyait pas abandonner.
Le 10 mars 1944, après trois longs jours et trois longues nuits pour traverser l’Europe en guerre, le convoi s’arrêta à la Judenrampe à l’extérieur du camp de Birkenau. Ernest et Claire durent monter dans les camions, Marcelle les accompagna. Ils contournèrent le camp pour s’arrêter près des « Krematorium ». Une heure après leur arrivée, ils furent tous trois assassinés par les gaz comme 1 311 Juifs de ce convoi, le plus important en nombre parti de France. Béatrice de Camondo, fille d’Irène Cahen d’Anvers faisait partie de ce même convoi.
Pendant la guerre, leur appartement de l’avenue Henri Martin et le château des Bergeries furent pillés intégralement. Les descendants de leur fils Jacques, créèrent en 2018, avec les indemnités perçues des spoliations, la Fondation Ernest et Claire Heilbronn au Mémorial de la Shoah. Ernest Heilbronn était passionné d’histoire. En sa mémoire, cette Fondation a pour but de soutenir des études historiques, des doctorants sur l’histoire des Juifs en France, sur la seconde guerre, sur la Shoah et des projets scolaires contre la haine antisémite et raciste.
Sur le Mur des Noms rénové au Mémorial de la Shoah. On peut y lire à l’année 1944 : Ernest Heilbronn 1867, Claire Heilbronn 1872, Marcelle Chevalier 1892.
Ce mur comprend 75 568 noms des Juifs déportés de France, dont près de 4 000 seulement reviendront. Ce mur a été rénové en 2020 par le Mémorial de la Shoah, quinze ans après son inauguration par Jacques Chirac et Simone Veil. Il a été ainsi reconstruit pour corriger les erreurs de noms et prénoms dans les listes de convois des bourreaux nazis qui avaient servi à ériger le premier mur. 379 noms ont été retirés, 226 ont été ajoutés. 1 500 prénoms ont été corrigés ainsi que 2 353 patronymes. Il fut inauguré par le président de la République Emmanuel Macron, j’étais à ses côtés. Je lui ai lu les noms d’Ernest et Claire Heilbronn, en évoquant leur destin tragique, mais aussi celui glorieux de leurs fils et filles.
Ernest Heilbronn était mon arrièregrand- père. Je suis le fils d’Hubert, petit-fils de Jacques, arrière-petit fils d’Ernest.