ARNO KLARSFELD, 38 ANS
Né à Braila (Roumanie) le 20 janvier 1905.
Arrêté à Nice le 30 septembre 1943.
Déporté de Drancy à Auschwitz le 28 octobre 1943 par le convoi n° 61.
Assassiné durant l’été 1944.
CONVOI N° 61
PARTI DE DRANCY LE 28 OCTOBRE 1943, ARRIVÉ À AUSCHWITZ LE 31 OCTOBRE 1943
1 000 DÉPORTÉS DONT 136 ENFANTS
58 RESCAPÉS
Ce convoi est composé principalement de Juifs arrivés à Drancy de province et particulièrement de la Côte d’Azur, de Marseille, de Vichy, de Lyon, de Nancy. À l’arrivée, 284 hommes et 103 femmes sont sélectionnés pour le travail. La plupart des hommes immatriculés ont été dirigés vers les mines de charbon et les cimenteries situées autour d’Auschwitz.
Sources : S. Klarsfeld, Mémorial de la Déportation des Juifs de France
et A. Doulut, S. Klarsfeld, S. Labeau, Mémorial des 3 943 rescapés juifs de France
Arrivé en France en 1936 avec sa femme Raïssa et ses deux enfants Serge et Georgette, ARNO KLARSFELD s’engage dans l’armée dès le début de la guerre. Il est fait prisonnier en juin 1940, parvient à s’évader et rejoint sa famille au printemps 1941 pour s’installer en zone italienne à Nice. Sa femme et ses enfants ne doivent leur salut qu’à la prudence et au sacrifice d’Arno : lorsqu’il est arrêté au domicile familial à l’automne 1943, il cache sa famille dans le double-fond d’un placard préparé en avance et se laisse arrêter.
« Un Allemand a ouvert la porte du placard, il a fait glisser les vêtements sur la tringle mais le placard était sombre et l’Allemand n’a pas touché la fausse cloison derrière laquelle nous nous trouvions. Nous sommes restés ainsi de l’arrivée des Allemands vers minuit jusqu’à 7 heures du matin. Durant au moins 6 semaines, nous sommes allés de meublés en hôtel, changeant souvent pour éviter d’être arrêtés », nous raconte son fils, Serge. « Le jour, nous faisions semblant de prier dans les églises et évitions la rue où les Allemands menaient des rafles sauvages : ils déshabillaient les hommes qu’ils soupçonnaient d’être juifs pour voir s’ils étaient circoncis. Puis, nous sommes retournés à l’appartement. Ma mère essayait de ne pas dormir la nuit pour surveiller. Elle lisait tout une série de romans policiers à la couverture jaune – la collection Le Masque. Nous, les enfants, étions prêts à nous cacher à nouveau, elle nous avait donné un peu d’argent et nous savions chez quels amis nous rendre si elle devait être arrêtée à son tour. »
Des années plus tard, Serge deviendra, accompagné de son épouse Beate, l’un des militants de la mémoire et chasseurs de nazis les plus efficaces au monde.
Vous avez commencé à traquer d’anciens nazis. Comment cela a-t-il commencé?
J’ai épousé une Allemande qui travaillait à l’Office franco-allemand pour la jeunesse. Kurt Georg Kiesinger, qui avait été directeur adjoint de la propagande radiophonique hitlérienne vers l’étranger, a été élu chancelier démocratiquement par le Parlement allemand, et nul ne s’en inquiétait. Beate a écrit un article pour dénoncer cela. Nous étions combatifs et nous avons décidé de ne pas laisser les nazis s’en sortir. Et le maire de Berlin, le résistant Willy Brant a remplacé Kiesinger à la chancellerie en 1969 à la surprise générale et le destin de l’Europe a changé. En 1970, Beate a empêché la nomination de Ernst Achenbach, ex-diplomate nazi impliqué dans la déportation des Juifs de France, comme représentant de l’Allemagne à la Commission européenne. Puis nous avons tenté d’enlever Kurt Lischka, qui avait notamment organisé la rafle du Vel d’Hiv. Après des années de combat, Lischka et deux autres nazis ont été jugés et condamnés à Cologne.
Pourquoi avez-vous fait le Mémorial de la Déportation ?
En 1978, nous étions à peu près sûrs d’avoir le procès des criminels de guerre allemands et je ne me voyais pas venir à ce procès sans avoir la liste de tous les Juifs qui avaient été déportés. C’était donc un effort de justice qui s’est transformé en effort de mémoire. Puis il a fallu un effort d’histoire: il a fallu que j’écrive Vichy-Auschwitz en deux volumes en 1983 et 1985. C’est une sorte de concentration verticale: il fallait être chasseur de nazis pour les retrouver avec l’aide de Beate, il fallait être mémorialiste pour dire qui avait été victime de ces hommes et puis il fallait aussi écrire l’histoire de la Solution finale pour établir les responsabilités, et il fallait être avocat pour gagner les procès. Il ne faut pas oublier qu’à l’époque l’indulgence était la priorité plutôt que la sévérité ou l’équité.
Avec le Mémorial des Enfants, vous faites ce qu’on appelle de la micro-histoire. Pourquoi ?
Les enfants ont disparu: 11 400 enfants ont été déportés de France. Les Allemands pouvaient considérer que les adultes pouvaient être des obstacles, des opposants, des résistants. Mais les enfants… Mon effort a été de préserver la mémoire des enfants, c’est-à-dire de raconter leur parcours familial avec précision, de retrouver et publier leurs photos. Je pensais retrouver 500 photos, aujourd’hui j’en ai publié plus de 500 et je poursuis ce travail de façon à ce que la mémoire soit vivante et qu’à travers tout le territoire en France, on puisse avoir des plaques, et comprendre ce qu’ont été les souffrances des Juifs victimes de la barbarie nazie et de la complicité de Vichy.
Et la lecture publique des noms des déportés ?
C’est le devoir des enfants ; nous sommes les Fils et Filles des Déportés Juifs de France alors il faut le faire. La lecture d’un nom dure une seconde, mais pendant une seconde, il y a un lien très fort entre celui qui lit, celui qui écoute et celui qui est peut-être ailleurs.
Au niveau des travaux universitaires, aujourd’hui beaucoup a été fait, que reste-t-il à faire ?
Le travail a été fait, il n’y a aucune inquiétude pour l’avenir de la mémoire de la Shoah. Il y a eu des milliers de thèses de doctorat, des dizaines de milliers de livres alors qu’il y a 50 ans, il n’y avait que quelques centaines d’ouvrages. Mais la mémoire, si elle aide, n’est pas un rempart. Ayant pris connaissance de ce qu’était la Shoah, il faut que les gens s’engagent à empêcher le renouvellement de conditions politiques qui permettent à nouveau à la violence de se déclencher soit contre les Juifs soit contre d’autres populations. La question mémorielle est résolue, mais la question politique reste ouverte. Des micro-histoires, on en écrira: six millions de personnes ont été victimes et trois millions ont échappé. Chaque vie perdue et chaque vie sauvée méritent une histoire. Et chaque histoire est intéressante et chaque histoire sauve de l’oubli une famille ou une personne. Si on prend le Mémorial, on peut pointer n’importe quel nom et on pourrait écrire un roman sur cette personne. Aujourd’hui, Yad Vashem a identifié plus de cinq millions de personnes: voici l’héritage de la génération des enfants de déportés.
Propos recueillis par Antoine Strobel-Dahan