Je ne sais pas depuis combien de temps, je suis l’actualité d’Axelle Tessandier. Je sais simplement que je ne me sens pas étrangère à la ligne éditoriale de son compte Instagram qui fédère près de 20.000 abonnés. Cinéphile, elle dévore des films comme Anatomie d’une chute de Justine Triet, la série assez visionnaire La Fièvre d’Eric Benzekri, le documentaire d’Arte sur l’histoire de l’antisémitisme signé Jonathan Hayoun. Elle s’indigne de la montée en puissance du RN, de l’impossible condition des femmes afghanes, partage les combats des jeunesses iraniennes face au régime des mollahs, lit Salman Rushdie comme Charlie Hebdo et cite régulièrement Simone Veil, Delphine Horvilleur, Joann Sfar et Kamel Daoud, ses “repères pour penser”. “Je suis une généraliste curieuse, pas une experte. Par exemple, je vais regarder la série-documentaire sur DJ Mehdi et, pendant quatre jours, je vais être à bloc, je vais avoir l’impression que cet homme, c’est toute ma vie”, clarifie-t-elle, mains en mouvement et boucles d’oreilles qui tanguent.
Depuis le 7 octobre, Axelle Tessandier soutient le droit des Israéliens et des Juifs du monde à pleurer leurs morts, à dire leur désarroi et à vivre en sécurité. “Ce week-end-là, j’ai vu passer une publication sur les réseaux sociaux, il était écrit en anglais: si vous avez un ami juif, prenez de ses nouvelles. J’ai donc écrit à une amie avec laquelle je n’avais pas échangé depuis plusieurs mois, je lui ai dit que j’étais là”.
Dès le 7, elle prend conscience de la solitude des Juifs de France et du monde. “Je crois que j’étais naïve, je ne m’attendais pas à une telle violence, à un tel silence de ceux qui s’insurgent pour tout, y compris pour un buisson coincé sur l’autoroute. Je n’imagine pas la douleur de toutes les personnes ancrées à gauche et militantes dans des cercles féministes quand elles ont découvert les propos de leur famille choisie”. Comment expliquer un tel revirement? L’antisémitisme débridé de l’extrême gauche? Selon Axelle Tessandier, tout est déjà écrit dans les livres d’histoire et, il serait bon de se relire pour ne pas répéter les erreurs du passé. “La gauche radicale est aveuglée par une idéologie anti-impérialiste, un romantisme révolutionnaire… Judith Butler [philosophe féministe et queer qui a nié les viols du 7 octobre et a qualifié le Hamas d’organisation de résistance] a affirmé que le Hamas et le Hezbollah faisaient partie de la ‘global left’. Staline, Mao et Pol Pot étaient eux aussi des idoles en Occident jusqu’à ce que l’on ouvre les yeux et que l’on découvre l’ampleur de leurs crimes. À l’époque, ils avaient peut-être l’excuse de ne pas savoir, aujourd’hui, c’est quoi leur excuse?”
Depuis le 7 octobre, de nombreux Juifs de France ont perdu des amis. Axelle Tessandier aussi. “Mais, je ne suis pas tombée de très haut parce que je n’ai jamais été insérée dans des milieux militants”, relativise-t-elle. La quarantenaire, qui avait été porte-parole du futur président de la République pendant la campagne de 2017, se refuse à adhérer à un parti, un cercle, un groupe. Une fois la campagne terminée, “j’ai eu envie de retrouver ma voix, ma liberté”. Quelques mois plus tard, elle relatait son expérience de “marcheuse” dans un livre écoulé à 10.000 exemplaires. “Si vous lisez ma biographie, tout est vrai mais rien n’est juste. Oui, on est le fruit de sa biographie mais nos identités sont complexes et ne se réduisent pas à quelques expériences”. Ne pas rester en place pour échapper à la cornerisation identitaire. S’informer, oui: écouter la radio, regarder des émissions grand public, suivre les couvertures des journaux étrangers, lire les principaux quotidiens français, observer les positions de ceux qui produisent sur les réseaux. Surtout ne pas s’installer quelque part. Papillonner dans le bon sens du terme.
Le 8 octobre, un ami l’appelle pour l’informer d’une marche organisée en soutien à Israël. Sans hésitation aucune, elle investit le pavé: “je crois que j’étais l’une des seules personnes non juives, cette solitude m’a sidérée. Est-ce que j’aurais été aussi présente cette année si je n’avais pas ressenti une si grande solitude?”, s’interroge-t-elle, le regard flou.
Depuis la catastrophe, elle n’a pas cessé de poster. D’abord le 8 octobre, elle partage la Une de Libération consacrée aux victimes des massacres et adresse un mot aux “Français de confession juive puisqu’ils ont conscience qu’il faudra renforcer la sécurité des synagogues ici même. Il en est ainsi, et ceux qui nient le pont vite franchi entre antisionisme et antisémitisme le savent”. Quelques jours passent et Axelle Tessandier relaie les propos de journalistes, d’intellectuels, de penseurs qu’elle reconnaît comme ses pairs: “Viser des Juifs en France, quelle que soit la situation politique en Israël, ça n’est pas l’importation d’un conflit. Non. C’est l’internationale de l’antisémitisme meurtrier, qui n’en a jamais fini de montrer sa gueule immonde”, avait déclaré sur France Inter Anne Rosencher, directrice déléguée de la rédaction de L’ Express. Dans le contexte de la marche contre l’antisémitisme du 12 novembre 2023, elle affirme une nouvelle fois son engagement contre l’antisémitisme en écrivant: “Il s’agit de combattre la haine, le poison qu’on avale en pensant rendre l’autre malade, de faire corps pour réaffirmer ce dont nous sommes garants”. Pas question de ne rien dire. Même quand elle craint les réactions que pourraient susciter ses publications, “je ne peux pas rester silencieuse, j’aurais peur de ne plus pouvoir me regarder dans une glace”.
À l’approche du 8 mars 2024, elle rejoint les Guerrières de la Paix, une association de femmes qui militent pour le dialogue interculturel et interreligieux et qui ont récemment réuni à Paris des activistes de la paix palestiniens et israéliens au Théâtre de la Colline. Mais, fidèle à ses principes, elle ne dure pas.
Depuis un an, on lui demande régulièrement si elle est juive, si elle n’aurait pas une histoire juive à exhumer. Comment expliquer qu’une personne non juive s’empare du sujet de la haine des Juifs? “Peut-être, est-ce l’influence de Jacqueline Saveria, ma marraine arrêtée par la Gestapo et déportée à Ravensbrück parce son mari était résistant, avec laquelle je passais de nombreux dimanches?” Est-ce lié aux témoignages de rescapés de la Shoah qu’elle lisait quand elle était adolescente? “Je crois que je ne parviens toujours pas à comprendre qu’une telle atrocité ait pu se produire”, confie-t-elle, la voix nouée.
Comment comprendre qu’elle prenne la parole sur ce sujet, à l’instar de Caroline Fourest? “Il y a quelque chose de vertigineux à poser cette question”. Comme s’il y avait quelque chose de contre-intuitif à son engagement. “Pourquoi devrais-je faire partie de la communauté pour faire preuve d’empathie? La lutte contre l’antisémitisme, ça ne doit pas être une cause qui touche uniquement les Juifs. Tous les citoyens français doivent le combattre”, assure-t-elle, presque excédée de rappeler ces évidences. Elle poursuit: “Régulièrement, on me remercie pour mes prises de parole. Pourquoi devrais-je être remerciée pour quelque chose qui est normal?”
Pourquoi ne sont-ils pas plus nombreux à marcher contre l’antisémitisme? À manifester de l’empathie pour toutes les victimes? Axelle Tessandier mise sur la majorité silencieuse, une majorité terrifiée qui n’ose pas prendre la parole par peur des représailles. “Aujourd’hui, 75% de Français déclarent que la lutte contre l’antisémitisme est l’affaire de tous. Mais, où sont ces 75% de Français? Pourquoi ne les entend-on pas?” Sans attendre une réponse, elle suggère: “J’ai le sentiment que quand on demande la libération des otages, quand on témoigne de l’empathie pour des personnes massacrées et assassinées par des terroristes, on est considérés comme prenant parti pour un camp. Ce n’est pas le cas. Contrairement à ce que les militants LFI cherchent à faire croire”. Axelle Tessandier, espère ouvrir la voie pour que d’autres puissent sortir du silence dans lequel ils se murent depuis plus d’un an. “Peut-être que mes publications pourront donner du courage à d’autres”. À nous, elles donnent de l’espoir.