L’hébreu biblique connaît une règle grammaticale des plus surprenantes. On appelle cela la règle du « vav conversif » et son principe est simple : la lettre vav ו placée devant un nom traduit généralement en hébreu la conjonction de coordination « et », mais lorsque cette même lettre est placée devant un verbe conjugué, ce der- nier est alors comme par magie « converti » d’un temps à un autre. En clair, si vous écrivez en hébreu biblique la phrase « j’ai lu », ou « j’ai pensé », il vous suffit d’ajouter un vav devant le verbe pour qu’immédiatement la phrase signifie « je lirai » ou « je penserai ».
Étrange principe grammatical que celui-là. À moins qu’il ne traduise une philosophie hébraïque qu’il convient de méditer. Pour l’hébreu donc, le lien entre les êtres ou entre les temps posséderait l’étrange pouvoir de trans- former un passé en futur. Et il suffirait parfois d’une simple lettre, d’une ligne droite et verticale comme le vav, pour donner au futur l’empreinte d’un passé.
Le numéro de Tenou’a que vous tenez entre les mains est à sa manière l’illustration de ce principe grammatical. Chaque portrait que vous y lirez dessine le parcours d’un artisan de la mémoire, d’un homme ou d’une femme dont la vie et l’engagement racontent le choix de trans- mettre la mémoire de la Shoah. Chacun d’entre eux, chacun à sa manière, est un « vav conversif » de notre Histoire, un trait d’union qui assure par son action que le passé laisse son empreinte sur l’avenir, et que l’avenir n’oublie jamais ce qui a été.
Bien des hommes et des femmes mériteraient d’apparaître ici, tant leurs actions, leurs témoignages, leurs re- cherches et leur droiture participent de cette trace dont hériteront les générations nouvelles. Puissent-ils trouver dans ces quelques portraits un écho à leur parcours et l’expression de notre reconnaissance.