NB: Jeudi 17 octobre, à l’issue d’un sommet européen à Bruxelles, Emmanuel Macron est revenu sur ces propos rapportés: “Je dois vous dire combien j’ai été stupéfait de lire tant de commentaires, de commentaires de commentaires, de réactions, y compris de responsables politiques, étrangers ou français, devant des propos que j’aurais tenus sans se poser la question de savoir (…) ce que j’aurais exactement dit”. Il a également rappelé à l’ordre son entourage: “Je crois que je dis suffisamment sur la situation au Proche-Orient pour ne pas avoir besoin de ventriloque”. Faut-il entendre qu’il dément de telles déclarations?
Que penser de la déclaration supposée du chef de l’État mardi 15 octobre, une déclaration qui s’inscrit dans le prolongement de sa prise de position du 5 octobre en faveur d’un arrêt des livraisons d’armes à Israël? Quels termes auraient dû être employés?
Si l’on considère que Macron a tenu ces propos, cela oblige à revenir très précisément au rapport entre la création de l’État d’Israël et l’ONU. Sur un plan purement juridique, l’ONU ne crée par les États, l’ONU les reconnaît. Mais, à l’époque, certains États ont été créés à l’issue de mandats attribués par la SDN (Société Des Nations fondée en 1919): les Britanniques ont obtenu de la SDN en 1922 un mandat sur la Palestine, mandat qui prévoyait la mise en place du foyer national juif et devait faciliter “une immigration intense”. Après la guerre, les mandats de la SDN ont été repris par l’ONU mais les Britanniques ont indiqué qu’ils ne souhaitaient pas poursuivre leur mandat. Ils ont annoncé leur départ pour le 15 mai 1948, raison pour laquelle Ben Gurion proclame l’indépendance d’Israël un jour avant, le 14 mai 1948.
Il faut noter que la déclaration de Ben Gurion ne fait pas mention des frontières et, on ne sait pas s’il souhaitait que les frontières d’Israël correspondent à la carte adoptée par la résolution de novembre 1947. En effet, les États arabes attaquent l’État d’Israël dès le lendemain et, à l’issue de la première guerre d’indépendance, Israël va étendre ses frontières au-delà du partage de 1947. On peut donc dire qu’il y a une relation complexe avec la SDN puis l’ONU dans la création d’Israël, mais on ne peut pas dire que c’est l’ONU qui a créé Israël, ce serait une réduction considérable de la réalité historique.
On peut de la même façon dire que lorsque Benyamin Netanyahou considère qu’Israël a été créé par les combats de vaillants soldats dont certains rescapés de la Shoah, c’est aussi une réduction de l’histoire puisque cela correspond à la période qui suit la création d’Israël au moment de la guerre d’indépendance. Il faut se méfier des simplifications abusives. L’histoire est très compliquée: on ne peut pas faire l’économie du fait qu’Israël a tenu une grande partie de sa légitimité de la déclaration de Balfour en 1917, de la conférence de San Remo en 1920 et du mandat britannique à partir de 1922.
Historiquement et juridiquement, trois composantes fondent la légitimité d’Israël comme nation et la légalité de son existence. D’abord, le Livre [la Torah] qui évoque la terre promise aux Juifs. Dans L’État des Juifs, Théodor Herzl, il écrit qu’il serait “merveilleux” de revenir sur “notre terre ancestrale, la Palestine” (même s’il émet la possibilité de l’Ouganda ou de l’Argentine).
La deuxième composante qui fonde la légitimité de cet État, c’est l’ensemble de la démarche en droit international qui passe par la SDN et l’ONU, y compris le plan de partage (qui prévoit trois entités, l’État juif, l’État arabe, et Jérusalem et les lieux saints) proposé par la résolution de novembre 1947 par l’ONU, puis, la déclaration de Ben Gurion en mai 1948 qui proclame la naissance et l’indépendance de l’État juif sans en préciser ses frontières.
Les États-Unis, la Grande-Bretagne, la Russie reconnaissent immédiatement cette déclaration comme valide. La France ne reconnaîtra le gouvernement israélien qu’en janvier 1949. Le paradoxe veut que, depuis la guerre d’indépendance, l’ONU n’a pas cessé de sanctionner Israël. En conséquence, Israël a peut-être été créé aussi grâce à l’ONU mais s’est développé malgré l’ONU.
La troisième composante correspond à l’histoire de l’oppression juive dont la Shoah est évidemment un élément déterminant.
En résumé, Israël n’aurait pas existé sans le Livre, sans le lien entre sionisme et droit international, sans l’histoire de l’oppression des Juifs dans le monde.
Comment comprendre la seconde partie de la déclaration du Président Macron au sujet de Benyamin Netanyahou qui ne devrait pas “s’affranchir des décisions de l’ONU”? Quel message Emmanuel Macron cherche-t-il à faire passer?
Je ne pense pas du tout qu’Emmanuel Macron ait voulu dire que ce que l’ONU a fait, l’ONU pourrait le défaire. Ce serait une mauvaise interprétation de ses propos. J’attribue un autre sens à la suite de sa déclaration: selon moi, le Président cherche à rappeler à Benyamin Netanyahou qu’il ne faut pas mépriser le travail de l’ONU, qu’il faudrait même le respecter, en particulier, en matière de droit international humanitaire. Autrement dit, il aurait pu dire: on ne peut pas prendre l’ONU à la carte. À partir du moment où Israël entre dans la communauté des nations, ce pays doit se conformer au droit international.
À aucun moment, les propos de Macron n’impliquent une réversibilité de l’Histoire: Israël ne sera pas amené à disparaître par une décision de l’ONU.
À la suite de cette déclaration supposée d’Emmanuel Macron, Benyamin Netanyahou a adressé le message suivant à son homologue français: “Ce n’est pas la résolution de l’ONU qui a établi l’État d’Israël, mais plutôt la victoire obtenue dans la guerre d’indépendance avec le sang de combattants héroïques, dont beaucoup étaient des survivants de l’Holocauste – notamment du régime de Vichy en France”. Comment envisager les relations diplomatiques entre la France et Israël?
Emmanuel Macron, comme tous les chefs d’État français, bute sur une règle constante des chefs de gouvernement israéliens: Israël ne se laisse dicter par personne son comportement en matière de sécurité.
Cela démarre entre De Gaulle et Ben Gurion au moment des préparatifs de la guerre des Six jours en 1967. De Gaulle déclare alors: la France ne pourra pas soutenir le premier pays qui attaque. Ben Gurion attaque de manière préventive. Il se dit qu’en détruisant tous les avions égyptiens, l’armée israélienne pourra combattre dans de meilleures conditions. Par cet acte, Ben Gurion fait comprendre à la France qu’Israël ne reçoit pas d’injonction de la part de puissances extérieures, surtout quand il s’agit de sa sécurité. C’est lié au fait que des pays comme la France ont collaboré avec l’Allemagne nazie et n’ont pas su protéger leurs populations juives. Cette position est très compliquée à entendre pour les grandes puissances, qui trouvent ainsi la limite de leur capacité à régler la question de la guerre et de la paix au Moyen-Orient.
Cependant, Israël voit les limites de sa doctrine dans sa dépendance aux armements et munitions américains. Si les Américains arrêtaient de fournir des armes à Israël, le pays ne serait pas la puissance qu’il est; le pays ne pourrait pas ignorer, comme il le fait aujourd’hui, la communauté internationale. Dans ce contexte, Emmanuel Macron a prôné un embargo sur les armes pour faire pression sur la politique israélienne et retrouver une capacité d’impact sur la guerre et la paix au Proche-Orient.
Mais, prôner un embargo n’est-il pas contraire aux intérêts géostratégiques de la France? À partir du moment où la France et Israël ont un ennemi commun, l’islamisme radical, djihadiste et violent, il paraît plus judicieux de voir Israël et la France combattre ensemble, même si l’on peut comprendre qu’Emmanuel Macron n’approuve pas la façon de Benyamin Netanyahou de mener sa guerre.
Propos recueillis par Léa Taieb