Vous avez remarqué que je ne me suis pas suicidé », s’amusait Imre Kertész au Monde.
On le lira, partout, que Kertész aimait la vie, qu’il l’avait choisie; fadaises. La vie avait choisi Kertész, la vie l’avait élu, et le talent aussi. « Vivre est aussi une façon de se suicider : l’inconvénient, c’est que cela prend énormément de temps », se rétorquait-il dans Roman Policier.
Kertész c’est Kafka après Auschwitz; non, c’est Kafka avec Auschwitz. C’est l’Ecclésiaste avec Auschwitz. Kertész, en d’autres temps, eut été prophète. Mais il a été en son temps, un temps de chiens, de moins-que-rien, un temps ignoble et dégueulasse qui l’a nommé en chien, en moins-que-rien.
Lisez Kertész, et n’y cherchez ni cynisme ni sarcasme, ni grandeur ni génie: Kertész est en deçà et au-delà, parce qu’il est certainement l’un des seuls qui ait eu simultanément la clair-voyance et la démence de nous faire entrevoir ce que fut Auschwitz, ce qu’est Auschwitz, ce que pourra être Auschwitz.
« Je ne supporte pas l’expression “On ne peut pas penser Auschwitz”. On peut très bien penser Auschwitz. Mettez un fou à la tête d’un État de droit, et vous aurez Auschwitz », gueule Kertész dans Kaddish pour l’enfant qui ne naîtra pas.
« Écoutez-moi bien, ce qui est réellement irrationnel et qui n’a vraiment pas d’explication, ce n’est pas le mal, au contraire: c’est le bien », écrit-il encore.
Soit. Dans ce cas, Kertész est prophète de l’irrationnel. Kertész est mort, vive Kertész.