Je viens d’apprendre avec tristesse le décès du Rabbin Daniel Farhi et tant de souvenirs me reviennent.
Le rabbin Daniel Farhi allait avoir 80 ans, il était né le 18 novembre 1941 et avait été ordonné rabbin à 25 ans en 1966.
Ma première rencontre avec le Rabbin Daniel Farhi fut sur la tombe de ma grand-mère paternelle en 1971. Je n’avais jamais rencontré de rabbin et j’ai été frappé par son humanité et sa tolérance à l’égard de notre famille si éloignée du judaïsme…
Puis, je suis marqué en décembre 1973 par un sermon qu’il prononce et dont je retiens cette phrase : «Dans un petit matin glacé, j’avais été appelé pour dire les prières à un enterrement. C’est quelque chose de courant pour un rabbin, mais il y avait cette fois un fait qui sortait de l’ordinaire. Il s’agissait d’un petit garçon de six ans, tué dans un accident de voiture. Il y avait aussi un autre fait qui sortait de l’ordinaire : aucun autre rabbin n’avait voulu se déplacer pour cette petite âme, parce que, si son Père était juif, sa Mère n’était pas juive. »
De là, date mon engagement dans la tendance libérale du judaïsme et mon amitié avec le Rabbin Daniel Farhi. À titre personnel, c’est lui qui m’a marié en 1975 et il a toujours été présent dans tous les moments de ma vie, heureux ou malheureux.
En 1977, il quitte l’ULIF et avec Roger Benarrosh, Colette Kessler et une poignée de personnes, et crée le Mouvement Juif Libéral de France. Cette communauté sera hébergée dans des bureaux d’amis et dans une salle mise à sa disposition par une association protestante dans le 16e arrondissement avant d’inaugurer son propre Centre Communautaire à Beaugrenelle en juin 1981 dont Daniel Farhi devint le 1er rabbin.
La même année, la nouvelle formule de Tenou’a-Le Mouvement voit le jour. Daniel Farhi en est le directeur de la rédaction et dans son éditorial, il écrit : « Notre revue (…) se veut résolument en marche. C’est la marche des idées, des hommes qui suivent la noble voie de la tradition en jetant un regard sur le monde actuel. »
Cette phrase, encore aujourd’hui, Tenou’a peut la faire sienne.
À partir de sa rencontre avec Serge et Beate Klarsfeld, Daniel Farhi fut présent dans toutes les manifestations, aux côtés des Fils et Filles des Déportés Juifs de France, en France comme en Allemagne. De nombreux « officiels » ont critiqué son engagement militant mais Daniel Farhi considérait comme un devoir d’être présent même dans les actions illégales, comme en juillet 1975 où il est allé avec d’autres militants dégrader le bureau de Lischka, ou quand en 1980, revenant d’une manifestation à Cologne, il fait la prière du Kaddish sur le quai du train en gare de Drancy en mémoire des déportés depuis ce même lieu.
Il devint un militant de la mémoire en instaurant avec Serge Klarsfeld et une poignée de militants, la lecture publique et ininterrompue des noms des Déportés juifs de France, d’abord à proximité de l’ancien Vel D’Hiv dans le 15e arrondissement, puis au Mémorial de la Shoah. Tant que sa santé le lui permit, il fut présent sur l’esplanade du Mémorial, pendant 24 heures, nuit et jour pour écouter cette longue litanie des noms des déportés.
Le MJLF devint ainsi grâce à lui l’artisan de la transmission de la mémoire de la Shoah et sa communauté prit dès le début une part active et déterminante dans l’organisation de la cérémonie du Yom HaShoah en France.
Tenou’a est fidèle à l’impulsion qu’il a donné au devoir de mémoire. Chaque année, nous publions un hors-série consacré au Yom HaShoah qui est distribué gratuitement au Mémorial de la Shoah et dans toutes les cérémonies de lecture des Noms en France comme dans les pays francophones.
En 2000, le Rabbin Daniel Farhi publie Au dernier survivant, un recueil de ses sermons sur la Shoah, avec une préface de Serge Klarsfeld qui qualifie Daniel Farhi de « rabbin d’une génération, celle des Fils et Filles des Déportés et celle des Enfants Cachés ». L’un des sermons publiés dans le livre a été prononcé le 30 avril 1992, s’adresse au dernier survivant de la Shoah et se termine : « Parce que tu seras le dernier survivant, je serai là je te le promets. Je te promets d’être la mémoire de ta mémoire. Je te promets que ce que tu as enduré ne sera pas oublié de la conscience humaine. »
J’ai eu le plaisir de co-signer en 1997, un livre d’entretien avec le Rabbin Daniel Farhi intitulé Un judaïsme dans le siècle, dialogue avec un rabbin libéral dans lequel je lui demandais de poser les grands principes du judaïsme libéral .
40 ans après son ordination, en 2006, parait Profession rabbin, un livre d’entretiens dans lequel il livre à la philosophe Gwendoline Jarczyk « ses analyses et ses propositions de rabbin à la fois enraciné dans sa tradition et ouvert sur le monde ».
C’est une grande figure du judaïsme qui disparaît aujourd’hui, le premier rabbin qui a permis au judaïsme libéral d’acquérir en France sa notoriété, un militant de la Mémoire dont l’action avec Serge Klarsfeld a gravé dans la pierre le nom des Déportés juifs de France.
Quelques publications du Rabbin Daniel Farhi
Livres de prières :
Siddour Taher Libénou
Mahzor Anénou
Essais
Parler aux enfants d’Israël (Publié par le MJLF)
Un judaïsme dans le siècle, avec Francis Lentschner (Berg International, 1997)
Au dernier survivant (Biblieurope 2000)
Profession rabbin (Albin Michel, 2006)
Anthologie du judaisme libéral, Daniel Farhi et Pierre Haiat, (Parole et Silence, 2007)