L’Algérie juive : à la recherche d’une mémoire oubliée

Dans son livre, L’Algérie juive, Hédia Bensahli, écrivaine franco-algérienne, réintègre les Juifs d’Algérie au récit national et invite à se réconcilier avec un passé trop vite oublié. Depuis quelques semaines, son livre fait l’objet d’une censure en Algérie. Tenoua a rencontré l’autrice. 

 

Dans les méandres de l’histoire algérienne, une mémoire oubliée attendait d’être racontée. L’Algérie juive d’Hédia Bensahli, publié en septembre 2023, révèle enfin cette part d’ombre. À travers une exploration minutieuse et rigoureuse, l’écrivaine franco-algérienne redonne vie à une histoire souvent ignorée, réintégrant les Juifs dans le tissu historique de l’Algérie. Ce travail de mémoire n’a cependant pas été sans conséquences : en octobre 2024, deux rencontres littéraires prévues à Alger et à Tizi Ouzou ont été annulées à la demande du député islamiste Zouheir Fares, qui accusait l’ouvrage de « normalisation culturelle avec les sionistes »

Puis, le 14 janvier 2025, la maison d’édition Frantz Fanon, qui avait publié le livre, a été fermée par les autorités algériennes pour avoir édité un « livre dont le contenu porte atteinte à la sécurité et à l’ordre public ainsi qu’à l’identité nationale et colporte un discours de haine ». Face à ces accusations, Hédia Bensahli reste incrédule. « Je n’avais pas imaginé une seule seconde qu’un livre que je voulais équilibré, juste et sincère puisse être perçu comme un danger. Qu’on me cite un seul passage qui colporte un discours de haine ! », nous lance-t-elle. Ces événements ont alors remis le livre sous les projecteurs et ravivé le débat autour de sa place dans la mémoire collective algérienne, rendant cet ouvrage d’autant plus pertinent. 

Une Algérie aux mémoires complexes

Dans ce livre, présenté comme un essai historique, l’auteure invite ses lecteurs à redécouvrir l’Algérie sous un autre prisme, celui de ses identités multiples : musulmane, juive et berbère. La présence juive en Algérie, bien que vieille de plus de 2000 ans, demeure un sujet largement méconnu. Ce silence, bien ancré dans la mémoire collective algérienne, est précisément ce que Hédia Bensahli s’efforce de briser, malgré le manque d’archives et de sources. « Il ne faut pas avoir peur de l’Histoire : elle doit être écrite », affirme-t-elle.
Consciente des lacunes documentaires, l’auteure s’appuie sur le travail d’historiens comme Charles-Robert Ageron et Pierre-Jean Le Foll-Luciani. Elle mène également ses propres enquêtes de terrain, recueillant les récits de témoins directs en Algérie et en France. « Beaucoup s’interrogeaient sur l’intérêt de revenir sur un passé qu’ils considéraient révolu, voire inexistant. La démarche était encore plus délicate auprès des témoins juifs, souvent méfiants, qui craignaient que leurs propos ne soient mal utilisés », confie-t-elle.

Car le livre d’Hédia Bensahli retrace l’histoire complexe des Juifs d’Algérie, de l’Antiquité à la colonisation française. Un moment clé de cette histoire est le décret Crémieux de 1870, qui accorde la nationalité française aux Juifs d’Algérie les séparant des Musulmans et creusant un fossé profond entre les deux communautés. L’antisémitisme croissant parmi les colons français exacerbera cette division. Avec l’émergence du nationalisme algérien et la guerre d’indépendance (1954-1962) s’engage une période de tensions, avec des Juifs partagés entre soutien à l’indépendance et crainte d’un nationalisme musulman exclusif. Les figures de Daniel Timsit et Pierre Ghenassia, deux Juifs engagés dans la lutte pour l’indépendance, illustrent cette complexité. « Dans ce contexte, l’origine ethnique ou religieuse importait moins que la lutte pour la liberté », soutient l’auteure.

Réhabiliter une mémoire occultée

Mais une fois l’indépendance acquise, la situation des Juifs d’Algérie prend un tout autre tournant. La communauté juive algérienne se dissout rapidement après une période de grande violence. En 1962, ils étaient 200.000 à vivre en Algérie. En quelques décennies, leur nombre chute à quelques centaines. L’Algérie devient un État musulman, et la présence juive est effacée, sans que ce départ massif ne fasse l’objet d’un véritable deuil symbolique. 

Cet ouvrage se veut ainsi un acte de réhabilitation. En racontant les « petites histoires » souvent invisibles dans la « grande histoire », l’auteure espère ouvrir le débat sur une partie du passé algérien trop longtemps occultée. « Mon souhait est que les jeunes, quelle que soit leur confession, lisent, comprennent et s’interrogent », explique-t-elle. « Qu’ils réfléchissent au sens de l’histoire, à eux-mêmes, et à cet autre qu’ils connaissent si peu. » Malgré les polémiques, L’Algérie juive s’impose aujourd’hui comme un ouvrage essentiel pour comprendre les complexités de la mémoire collective algérienne. Plus qu’une enquête historique, il s’agit d’un appel à la réconciliation des mémoires et à l’ouverture du débat sur une partie de l’histoire longtemps passée sous silence.