Depuis 1791, alternant périodes paisibles ou tourmentées, les communautés juives disséminées dans les grandes villes, les bourgades et les villages d’Europe orientale étaient assignées de force dans une zone de résidence.
Au cours de la seconde moitié du XXIe siècle, après des convulsions religieuses, le hassidisme notamment, se développa le mouvement des Lumières, la Haskala, adoptée par une grande partie de la jeunesse désireuse de s’affranchir des structures moyenâgeuses du judaïsme et de lutter contre l’autocratie russe qui, une fois de plus, les juifs servant de bouc émissaire, promulguait des ukases antisémites, voire déclenchait des pogroms.
Dans ce “Royaume des Ténèbres”, l’on assista, d’une part, à une vague migratoire et, d’autre part, à la revendication du droit à la liberté d’expression et à l’émancipation, Dans les années 1880, parmi les quatre millions de Juifs, (il y en aurait 5.200.000 en 1897), les structures économiques, en raison d’une urbanisation au rythme accéléré, se modifièrent, désormais caractérisées par le développement de petites entreprises et de l’artisanat, et d’un capitalisme « périphérique » dans un milieu pour le moins hostile.
C’est ainsi qu’à Varsovie, Odessa et surtout en Lituanie, autour de Vilnius, ou à Łódź et alentours – devenu le Manchester polonais –, naquit une classe ouvrière juive, dotée d’une conscience de classe de plus en plus revendicatrice.
Avec l’extension du machinisme et la mécanisation du matériel et de l’outillage, tanneurs, brossiers, tailleurs constituaient une main-d’oeuvre effectuant quatorze à seize heures de travail par jour, six jours par semaine pour un salaire ne dépassant guère le tiers de celui d’un ouvrier français.
Le populisme, l’anarchisme et surtout le marxisme gagnèrent le prolétariat juif. À partir de 1880, sous la direction d’une intelligentsia juive réformatrice et souvent russifiée, grâce à une bouffée de libéralisme, sous le règne d’Alexandre II, se créèrent des caisses de solidarité, prélude à des syndicats. Il en résulta une agitation politique de plus en plus vive. Le yiddish, langue vernaculaire par excellence devint une arme de combat des premiers révolutionnaires juifs par la création de multiples cercles d’études, noyaux politiques par excellence.
La naissance du Bund
En 1897, naquit à vilnius, l’Union générale des ouvriers juifs de Pologne, Lituanie et de Russie, en abrégé Bund. Elle rassemblait un parti politique et un syndicalisme juifs aux caractéristiques suivantes : marxiste, internationaliste, laïque et yiddishophone, regroupant 1 500 adhérents.
Son développement fut spectaculaire : à la veille de la révolution de 1905, le Bund rassemblait 30.000 adhérents, autant que la SFIO à la même époque. Son principal théoricien fut vladimir Medem, qui considérait que le judaïsme n’était pas seulement une religion mais aussi et surtout une nationalité en faveur d’un enracinement appelé Doykayt, c’est-à-dire “la lutte sur place”. Il s’opposait au sionisme, jugé nationaliste, l’assimilant à une doctrine de fuite.
En dépit des critiques provenant des socialistes russes – mencheviks avec Martov et bolcheviks sous la férule de Lénine –, ainsi que de deux partis polonais, PPS et SDKPiL, le Bund devint, au fil du temps, une véritable famille, avec des mouvements pour enfants (SKIF), jeunesse (Tsukunft), femmes (YAF) et syndicats. Et dans l’entre-deux-guerres, le réseau scolaire de la Cisho. Des groupes bundistes se développèrent dans différents pays où demeuraient des yiddishophones.
Mais alors que le Bund demeurait internationaliste et national, le sionisme politique qui naquit à Bâle en 1897 sous la direction de Theodor Herzl, était nationaliste et international. Il adopta l’hébreu pour langue d’un futur État des Juifs. À la gauche et à l’extrême gauche du sionisme, des organisations comme le Poalé Tsion (“Ouvriers de Sion”), et quelques années plus tard l’Hashomer Hatzaïr (“La jeune garde”), tout en s’inspirant de certaines revendications bundistes, devinrent des concurrents de plus en plus sérieux grâce à leurs théoriciens, notamment Ber Borochov.
La dislocation du Bund
Après l’échec de la révolution de 1905, la Première Guerre mondiale et les révolutions de février et d’octobre 1917, se créa une troisième tendance: les communistes juifs; le Bund éclata. Une minorité resta bundiste, la majorité adhéra à la Troisième Internationale (Komintern) en fondant une Yevsektsia. En 1918, on distinguait trois courants principaux: le Bund, le sionisme ouvrier et le communisme juif.
Le Bund se replia dans la Pologne indépendante et, répudiant l’idéologie léniniste qui, selon lui, exerçait une dictature sur le prolétariat, resta fidèle au socialisme démocratique. Après une valse-hésitation d’une dizaine d’années, il réintégra la Seconde Internationale, puis la communauté juive dominée par l’Agoudat qui soutenait le régime autoritaire du maréchal Pilsudski.
À la mort du maréchal, en 1935, le Bund s’opposa au régime des colonels, violemment antisémite. Dans les années qui précédèrent immédiatement la Seconde Guerre mondiale, il fut le porte-parole des masses travailleuses. Au lendemain du pogrom de Przytyk, en mars 1936, il appela à une grève générale qui paralysa le pays. Aux élections municipales, il remporta un vif succès fin 1938. Mais il ne fut jamais représenté au Parlement.
En Union soviétique, le Bund fut liquidé en 1921. Sur l’ordre de Staline fut créé le Birobidjan, à l’extrême- Est de l’Asie, mais bien peu de Juifs y participèrent. Durant les purges, le communisme juif disparut corps et biens. S’y ajoutèrent les deux leaders du Bund polonais qui avaient trouvé refuge en URSS, Henryk Erlich, assassiné en 1941 et Wiktor Alter, tué en 1942.
Le Bund participa à la lutte contre le nazisme. L’exemple le plus frappant est le soulèvement du ghetto de Varsovie en avril 1943. Après l’échec de la conférence des Bermudes où aucune aide aux communautés juives en voie de disparition n’était envisagée, à Londres, le leader bundiste Szmul Zygelbojm se suicida pour protester contre l’indifférence du monde libre.
Le Bund disparu, son idéal demeure
En 1947, se tint à Bruxelles une conférence internationale des groupes bundistes disséminés dans le monde. Par rapport au développement du sionisme, en particulier du travaillisme – élément fondateur de l’État d’Israël en 1948 –, ce n’était que le chant du cygne. Quant au communisme juif, il avait disparu hormis quelques indécrottables entêtés.
En résumé, la disparition du Bund coïncide avec l’extermination du judaïsme polonais. Mais son idéologie – attachement à une gauche démocratique, laïcité, humanisme parfois puéril, culturalisme axé sur la langue et la culture yiddish – perdure. Même s’il a totalement disparu de la scène politique juive, son idéal demeure : être juif dans la cité et homme dans le monde. L’Histoire, en définitive, a-t-elle eu raison du Bund? Ou le Bund a-t-il eu raison contre l’Histoire ?