LIKE TWO LIONS IN ZION… À LA MÉMOIRE DE NOS ENFANTS ROUX

Drasha prononcée par le rabbin Delphine Horvilleur pour l’office de kabbalat Shabbat du 21 février 2025 dans la synagogue de JEM à Paris. Lire la version anglaise ici / English version here.

Da lifné mi ata omed. Sache devant qui tu te tiens.
Dans de très nombreuses synagogues, ce verset des psaumes est gravé juste au-dessus de l’arche sainte, sur le aron hakodesh. De telle sorte que chaque personne en prière puisse penser l’au-delà de soi.  
Sache, dit ce verset, que tu te tiens face à l’Éternel, au transcendant, ou à tout ce qui est plus grand que soi, et qui t’oblige.

En cet instant, je voudrais moi aussi prononcer ces mots… tandis que, précisément dans cette synagogue et face à vous tous, se tiennent sur l’arche sainte, deux visages.

Le visage de ces deux tout petits enfants, dont les corps ont été rendus cette semaine à Israël, et dont nous connaissons aujourd’hui la fin terrible. Deux visages, d’un bébé et de son grand frère, Kfir et Ariel Bibas dont les noms et les traits et les cheveux flamboyants sont devenus le symbole de tant de douleurs, du deuil de tout un peuple et peut-être de toute une humanité digne, qui doit les regarder dans les yeux et prendre la conscience de ce crime innommable et impardonnable.

Da lifné mi ata omed, sache en cet instant devant qui tu te tiens…
Non pas juste devant un plus grand que toi mais, précisément, devant ces tout-petits, ces beaucoup plus petits que nous, que le monde n’a pas sauvés. Et leur regard nous rappelle où devrait se tenir la grandeur de l’humanité, et à quel point elle est mise en échec aujourd’hui, quand elle abandonne des innocents.

Da lifné mi ata omed, sache qu’ils sont là devant nous.
Reconnais leur visage et leur nom, et place-les continuellement devant tes yeux, et dans ton cœur et ta mémoire.

Précisément au moment où certains voudraient les oublier, les faire disparaître, en arrachant leurs visages des murs de nos villes, en faisant comme si leur naissance les rendait coupable de quelque chose, comme si leur martyre prenait trop de place, confisquait la douleur d’autres victimes, constituait une propagande, ou que sais-je encore.

Tous ces arguments ignobles , vous les avez entendus, comme vous avez vu leurs visages déchirés sur les murs de nos villes, leurs dépouilles profanées par les mises en scène morbides et ignobles de terroristes palestiniens.
Et parce que le monde est capable de cela, parce que certains trouveront encore des excuses à ceux qui font cela, alors ensemble, tous ensemble, nous allons créer et modeler autre chose.

C’est peut être la promesse solennelle qu’il nous faut faire ce soir tandis que l’on s’apprête à les porter en terre, nous dire que si certains méprisent la vie, alors, plus fort encore, nous allons l’honorer.
Et si certains veulent qu’on les oublie, alors plus encore, nous allons nous souvenir d’eux.

Voilà pourquoi leurs visages, pendant toute la durée du deuil , dans les 11 mois à venir, seront sur les portes de notre arche sainte…
Et si la haine défigure autour de nous tant de gens, nous allons ensemble nous promettre de préserver notre humanité.

Ces mots peuvent sembler bien grandiloquents ou niais mais ce soir il faut les prononcer.

Ici dans cette synagogue, où sont réunies toutes les générations, des personnes de tous les âges, des familles endeuillées, des jeunes encore plein d’espoir, des Juifs et des non-Juifs qui nous apportent un si précieux soutien. Et ensemble nous formons une communauté humaine unie qui doit prendre cet engagement solennel, au cœur de cette tragédie.

Cette semaine, j’ai reçu tant et tant de messages de gens qui m’ont dit ne plus savoir où trouver la force, et qui m’ont demandé: comment faire pour ne pas haïr, comment ne pas se laisser ravager par la haine et la colère, par la volonté de vengeance, la fin de l’empathie ou la montée de l’indifférence ?
Et d’autres m’ont interrogée: comment faire pour croire encore en Dieu?

La réponse à ces questions est assez simple.
Face à de telles ignominies, la question n’est jamais de savoir où est Dieu, mais toujours de se demander où est l’homme, où se tient l’humanité aujourd’hui, de quelle manière l’humanité de chacun est soumise à un test et à une épreuve face à tant de barbarie.

Et je crois, qu’au fond, il est en moi une certitude et une confiance: nous saurons ne pas nous laisser submerger par la rage et la colère qui nous défigurent. Nous trouverons, comme nous l’avons toujours fait, comment être plus forts, plus humains.

Plus forts et bienveillants que ceux qui trouvent des excuses à des assassins, que ceux qui retournent les chaînes de responsabilité, que ceux qui dansent devant des cercueils, que ceux qui veulent masquer les crimes, que ceux qui ressuscitent des haines ancestrales ou qui choisissent l’indifférence.
Nous serons plus forts et humains, intelligents et bienveillants parce que, face à nous, se tiennent ces visages.

Dans de très nombreuses synagogues, il est écrit sur l’arche “Sache devant qui tu te tiens”, dans bien d’autres est dessiné un un symbole sur l’arche. Vous connaissez sans doute ce dessin et vous l’avez vu mille fois sans y prêter attention car il est extrêmement fréquent.
Ce sont deux lions qui se font face, les pattes levées au-dessus du rouleau de la Torah, sur les rideaux ou les portes de l’arche.

Ces deux lions représentent, selon nos sages, la tribu de Juda. C’est-à-dire la royauté et la noblesse d’un peuple dans sa relation à Sion, à Jérusalem, capitale du royaume de Juda. Pour le dire autrement, les lions de Juda nous rappellent qu’ils sont les garants du lien indéfectible d’un peuple à la terre de Sion. N’en déplaise à tous les antisionistes….

Vous le savez forcément si vous avez déjà écouté ce célèbre refrain de reggae, de Bob Marley, “like a lion in Zion”, qui dit que la place du lion est à Sion.

Figurez-vous que cette semaine, j’ai soudain pensé à quelque chose qui m’avait complètement échappé jusque-là. La famille Bibas, Yarden et Shiri, en donnant naissance à deux enfants, a choisi de les nommer ainsi: Ariel et Kfir, deux prénoms qui signifient littéralement en hébreu “lion de Dieu” et “lionceau”.

Da lifné mi ata omed, sachez devant qui vous vous tenez. Les lions de Sion, les deux lions qui, depuis des siècles et des siècles, ornent nos rouleaux de la Torah, les arches saintes de tant et tant de synagogues, ont cette semaine gagné pour toujours de nouveaux visages. Ils ont la crinière flamboyante de deux enfants de notre peuple qui nous rappellent notre responsabilité éternelle vis-à-vis de Sion et vis-à-vis d’une humanité qui devra, partout dans le monde, se battre “comme un lion” pour rester digne.

Comme s’est battue une mère, une lionne pour protéger ses enfants kidnappés. Je pense à Shiri Bibas, où qu’elle se trouve, je prie pour qu’elle soit bientôt retrouvée, que ce cauchemar cesse, que les innocents de deux camps soient protégés où qu’ils se trouvent, que les combattants de la paix, les prophètes de la paix dont Oded Lifshitz fut une incarnation, aient des millions d’héritiers dans ce monde, à la hauteur de leur grandeur humaine…

Je prie pour que jamais jamais nous n’oubliions leurs visages et leurs noms…

*

Quels que soient les versets et les symboles dessinés qui ornent nos synagogues, ils sont tournés vers l’Est .
Je voudrais en cet instant vous inviter à vous lever et à prendre cette direction de l’Est, tournés vers leur visage.

Il nous arrive souvent de chanter des hymnes dans cette synagogue et, très souvent, la Marseillaise.
Ce soir, nous allons chanter ces mots de l’hymne israélien, ces mots portent le nom de l’espoir, même si notre cœur est lourd, et notre peine immense. Nous allons répéter malgré tout Od lo avda tikvateinou… que personne, personne n’éteindra l’espoir, ni la barbarie, ni la bêtise, ni l’ignorance, ni l’indifférence… que nous saurons encore et toujours, comme des lions, défendre nos enfants et nos valeurs.