Ma nishtana halaila hazé ?
מה נשתנה, הלילה הזה
Les mots évoquent peut être une mélodie dans les oreilles, entendue depuis l’enfance.
La chanson qui ouvre le soir du séder, tirée d’un enseignement du Talmud (Mishna Pessachim 10,4), nous parle de ce qui est “différent ce soir-là”.
Et c’est bien l’une des choses qui caractérise Pessah: la sortie d’Égypte est d’abord, hier comme aujourd’hui, une sortie du quotidien.
Or l’une des manières les plus fortes, les plus immédiates, de ressentir le sens de ce mouvement, c’est de le vivre en corps.
C’est peut être pour cela qu’un seul et même mot, en hébreu, désigne le sens, et le goût: taam. טַעַם
Pour accéder au sens (taam) de la sortie d’Égypte, on le goûte en bouche: “ce soir là”, au séder, et toute la semaine, on mangera la matsa, ou “pain de misère”, et le maror, les herbes amères.
Le message est clair, et juste.
Oui, la liberté a toujours un goût doux-amer.
Il est difficile de “se libérer du connu”, pour paraphraser le titre de l’un des livres du sage indien Krishnamurti.
Il fait froid, dans le désert de tous les possibles, et lorsque l’on n’est plus assujetti, mais libre de nos actes, se savoir à l’avance responsable de nos erreurs fait frissonner.
Dis cela aux foules des héros de canapé qui, dans la guerre actuelle d’Israël contre Gaza, se disputent le monopole de la victime.
Pour ne pas avoir à rendre de comptes.
Dans le judaïsme, être responsable est plus qu’un prérequis individuel, que l’on célèbre lorsque le duvet apparaît sur la peau juvénile. C’est un ethos collectif, que nous rappelle le Talmud dans cette déclaration limpide: kol israel arevim zeh b’zeh. (Shevouot 39b,22): Tout Israël est responsable l’un pour l’autre. כל ישראל ערבים זה בזה
C’est de là que vient la solidarité qui fait que l’on se sent, veille de fête, effondrés, entre posters et chaises vides autour de la table.
Cette année nous terminons le nettoyage de Pessah en pensant à nos 132 frères et sœurs encore captifs en Égypte. 132 ou peut-être encore seulement 40 survivants, comme aurait annoncé le shabbak, dans un article qui vient de paraître.
Alors aujourd’hui, au delà de l’amertume, célébrer la sortie d’Égypte a un goût de cendre.
Cette année, le soir de Pessah, des Juifs vont s’asseoir autour de la table du séder sans avoir besoin d’ajouter du sel dans l’eau.
Pourtant nous savons que célébrer Pessah n’est pas, ne doit pas, être conditionné par le contexte.
Il n’y a pas si longtemps que cela, des Juifs ont marqué Pessah en camp de concentration,
Il fallait le faire.
Car le séder se veut performatif.
Loin de se contenter de se commémorer le passé, il a pour vocation de faire advenir.
Alors comme la harosset sur le plateau du séder, cette année encore on mélangera le sucré et l’amer, la mémoire de l’esclavage et le doux vin de l’homme libre, comme pour l’appeler, cette libération qui tarde trop.
Et à Pessah, l’une des manières les plus belles de l’aider à se révéler, c’est se souvenir de la force du collectif. C’est bien parce qu’il y avait un “nous” que l’on est sortis d’Égypte.
C’est parce qu’il y avait encore, malgré l’esclavage, un sens d’appartenance, c’est à dire, même éreinté par l’esclavage, un balbutiement de trace d’une identité collective que rien ne semblait pouvoir effacer.
Or lorsqu’on sait qui l’on est, on ne peut l’oublier, et l’on n’aura de cesse que de l’accomplir.
C’est peut-être ce sens là qui a fait crier les Hébreux vers le ciel, qui a fait entendre Dieu, qui lui a fait étendre “sa main forte”, et la chèvre qui presque-clôt le séder de son conte karmique a peut-être tiré son inspiration de cette première chaîne de cause-à-effet: tout est né d’un sentiment profond, inaliénable, inéchappable, de qui l’on était.
Source de la première liberté.
Alors voici, pour célébrer ce “nous” que l’on déteste parfois, mais qui a su traverser, ensemble, tant d’épreuves, voici pour vous, une poésie à sept mains*, comme les sept jours des azymes.
Une poésie qui n’avait jamais pensé l’être: des mots posés comme un exercice invité , autour des associations que l’on a avec Pessah.
Des mots posés par un collectif éclectique en désir de sens, invité à l’écriture automatique et spontanée, sans dessein esthétique, simplement un exercice de réflectivité posé un matin, veille de la veille de Pessah, par des Juifs francophones assis de part et d’autre d’un Zoom, à Bruxelles ou à Genève, à Paris et à Puteaux, à Neuilly, Vincennes, et bien sûr, à Tel Aviv:
Le ménage et le tri
Les repas en famille
Transmission. Absence de transmission
Le plateau sur la tête le soir du séder
Herbes amères
Questionnement, passage, nettoyage libération, famille, partage,
Liberté enfermement espace départ urgence nettoyage esclave enfermement solitude communauté histoire récit désert chemin
Amertume. Chant. Vaisselle. Courses. repas de famille.
La matsa
Levain. Pas de pain
Activité , tri, traversée
Absence de sens pendant des années.
Enseignement transmission enfants rappel famille matsa
Moïse
Aujourd’hui questionnement, sens, étude
Retour à l’essentiel
Les dix commandement (le film)
Simplicité
La haggada
Enfant
Traversée
Ensemble , accueil
Ouverture, chant
Identité juive
Souvenir
Différence
Mise en mouvement
Partir
Boisson, ivresse, liberté, royauté
Absence de ma sœur
Leadership de Moïse
Renouvellement
Honorer nos lignées
Inspiration
Mère
Devoir partir, peur de l’inconnu confiance
La chance d’être libre aujourd’hui
Le serons-nous encore ?
Conscience de notre liberté
Quels sacrifices pour être libre?
L’afikoman et la promesse du cadeau
La confiance et la foi en HaShem
עזי וזמרת יה ויהי–לי לישועה
Ma force et le chant de Dieu seront pour moi pour mon salut.
Peut-être que ces mots vous parleront, car au fond, ils sont déjà les vôtres.
Que ce Pessah vous donne de la force
Que ce Pessah leur donne de la force
Que ce Pessah nous donne de la force
Que ce Pessah libère.
* Les mots ont été recueillis lors d’un cours en préparation à Pessah donné sur Zoom par Mira Weil le 21 avril 2024. Les participants avaient pour invitation de partager sur le “chat” du Zoom tous les mots qu’ils associaient avec Pessah.
Merci au mots de Yael, Emmanuelle, Éléonore, Patrick, Agathe, Eva, Céline…
La liste de mots qui forment ce poème est faite de leurs partages.