Être juif en France après le 7 octobre 2023. Un an après, Programme B de Binge Audio propose une photographie polyphonique depuis ce moment de bascule dans la vie de nombreux Juifs français. Trois épisodes pour dire la douleur, qui prend “dans la chair“, pour dire la solitude politique et la difficulté de l’espoir.
Juliette Livartowski, podcasteuse et réalisatrice de ce projet, partage sa démarche en introduction. “Le 7 octobre 2023, ma vie a changé. Cette journée et toutes celles qui ont suivi ont balayé pas mal de certitudes. […] Le 7 octobre, mon monde a été bousculé. J’ai ressenti une solitude terrible qui m’a poussé à me taire, à faire le dos rond. Pour les Juifs du monde entier, ce massacre réactivait toutes les peurs. C’est comme si le temps du deuil nous avait été confisqué”. Elle énumère ces nouveaux “discours” qui retournent le ventre et la tête, discours auxquels, chez Tenoua, nous avons aussi dû faire face. Comment réagir face à des proches qui nous désignent le 7 octobre comme un acte de “résistance”? Comment ne pas rester pantois face à la mise en doute des viols et des agressions sexuelles commis sur des femmes israéliennes? Face à la confiscation de la parole des principaux concernés, des Juifs de France? Tout en ayant conscience “que la réponse israélienne allait être extrêmement meurtrière et que des civils allaient être tués injustement à leur tour”?
Ce podcast ne parle pas de la guerre au Proche-Orient, une guerre qui nous dépasse et ne va qu’en s’aggravant, nous prenant tous au piège, même à des milliers de kilomètres. Il aborde les conséquences du massacre “dans l’esprit et les représentations des juifs de France”.
Au micro de Juliette Livartowski, celles et ceux qui ont fait entendre leur voix depuis un an et qui l’aident à se sentir moins seule. Sender Vizel (dessinateur, présent dans notre livre 7 octobre, À l’ombre de l’art, à paraître le 7 octobre), Elise Goldfarb (entrepreneuse militante), Illana Weizman (sociologue féministe), Jo Weisz (fondateur du média StreetPress), Elisheva Gottfarstein (journaliste chez Akadem), entre autres penseurs de l’époque.
Le premier épisode de la trilogie (“Un silence assourdissant”) est dédié à l’intime. Qu’a changé le 7 octobre dans les relations? Pourquoi la solitude est-elle si présente? Comment affronter l’antisémisme? “Il n’y avait avant qu’un rapport de curiosité, de tendresse, et quelque chose d’assez libre, je ne sentais aucune injonction dans ma relation à ma judéité. Ça a complètement changé. Je suis passée de ça à une impression de devoir choisir mon camp. Quelque chose vient brutaliser mon rapport à ma judéité (…) L’antisémitisme – ressentir dans sa chair la haine des juifs et des juives rend certainement un peu plus juif ou juive”, décrit l’autrice Juliette Rousseau. Le témoignage ici joue sa partition: l’universel se cache dans le singulier, chacun pourrait se reconnaître.
Le deuxième épisode (“Une instrumentalisation de toutes parts”) est consacré à la politique et à l’instrumentalisation de l’antisémitisme. “On en arrive aux législatives, où là, tout d’un coup, ça devient le problème de tout le monde. En gros, l’extrême droite propose comme candidat des nazis et dit ‘non mais nous on est les amis des Juifs, parce que l’extrême gauche […] sont tous des antisémites’. […] Et en fait c’est un moment où tout le monde dit des trucs antisemites, mais en disant ‘regardez comme nous on n’est pas antisémites, c’est eux, les antisémites’. Tout le monde a cet espèce de discours paternaliste insupportable”, analyse Sender Vizel.
Le troisième (Comment se reparler?) parle d’espoir et de la possibilité d’un dialogue. “Il faut qu’on empêche les populations de se détester ici pour quelque chose qui se passe à des milliers de kilomètres. Est-ce qu’on veut rentrer dans ce cercle vicieux, ou être des acteurs de la paix?”, interroge Elise Goldfarb. Et Denis Charbit d’ajouter: “La paix ne pourra advenir (…) que si les uns et les autres disent: ils sont tous les deux légitimes sur cette terre. Cette phrase-là, c’est pour moi un calvaire qu’elle ne soit pas admise par tout le monde.”
Juliette Livartowski nous replonge dans le 7 octobre et l’année qui a suivi – et réussi à nous faire nous sentir moins seuls, à faire partie d’une collection de peines qui se recoupent, se complètent et se répondent. La réalisation du podcast, qui entrecoupe témoignages sensibles et extraits de journaux télé, rend compte de la singularité de cette guerre, qui mêle le factuel mortuaire et la complexité intellectuelle, géopolitique et psychologique. Certains reprocheront l’entre-soi du podcast. C’est plutôt l’exercice délicat de prise de recul, encore à chaud, qui retient l’attention. La sincérité des propos, la dimension sensible de cette histoire en train de se faire, la capacité à englober sans systématiser ni compresser cette expérience juive vaut l’écoute des trois épisodes.
Podcast: Être Juif en France après le 7 octobre, en trois épisodes, à écouter sur toutes les plateformes d’écoute.