On a lu le programme du Nouveau Front populaire (et on a 2-3 trucs à en dire)

À la suite de l’assommante victoire de l’extrême droite aux élections européennes en France et de la décision du président Macron de dissoudre l’Assemblée et de convoquer des élections législatives les 30 juin et 7 juillet, les alliances sont rebattues de toutes parts. À gauche, les verts, les socialistes, les communistes, et les insoumis sont parvenus, en 4 jours, à se distribuer les circonscriptions et à établir un programme de campagne, le Nouveau Front populaire.
Après les propos pour le moins ambigus de certains élus LFI durant les derniers mois, que dit le programme de cette nouvelle alliance de gauche de l’antisémitisme et de la guerre à Gaza?

Sur l’antisémitisme

Dès le préambule, le NFP écrit: “Nous luttons contre la multiplication des discours de haine et contre la prolifération des menaces et des violences qui abîment notre démocratie. C’est pourquoi notre majorité et nos parlementaires s’engagent à porter ces principes éthiques tout au long de la mandature en refusant la diffusion de fausses informations, la calomnie, le cyberharcèlement et les incitations à la haine, y compris sur Internet”.
Exit donc la dénonciation par Mélenchon, à propos du CRIF, des “communautés agressives qui font la leçon au reste du pays”, en août 2014 lors de l’université d’été du Parti de Gauche à Grenoble, un mois seulement après que, dans les rues de Paris, on a entendu crier “Mort aux Juifs” au cours de manifestations dont le même Mélenchon disait qu’elles avaient “incarn[é] mieux que personne les valeurs fondatrices de la République française”.

Dans la partie “100 premiers jours: l’été des bifurcations”, tout un segment est consacré à “Lutter contre toutes les formes de racisme, contre l’antisémitisme et l’islamophobie”. “Nous rappelons que la parole et les actes racistes, antisémites et islamophobes se propagent dans toute la société et connaissent une explosion inquiétante, sans précédent. Aucune tolérance n’est de mise face à ces menaces et à ces comportements, d’où qu’ils viennent. S’attaquer à nos compatriotes pour leur couleur de peau ou leur religion supposée ou réelle, c’est s’attaquer à la République. En voir certains quitter ou vouloir quitter notre pays est un échec collectif. L’alliance s’engage en suite notamment à “donner à la justice les moyens de poursuivre et de sanctionner les auteurs de propos ou d’actes racistes, islamophobes et antisémites”, et ajoute: “L’antisémitisme a une histoire tragique dans notre pays qui ne doit pas se répéter. Tous ceux qui propagent la haine des juifs doivent être combattus.”
Tous tous? Promis? Y compris ceux qui déclarent sur X que “nous n’appartenons pas à la même espèce humaine”? Dont acte.

Notons également cette phrase qui prend acte de ce que révélait le sondage “Radiographie de l’antisémitisme en 2024” de l’AJC-Paris, Fondapol et l’IFOP en mai dernier, notamment que 92% des Juifs et 76% de la population globale jugent que “l’antisémitisme est un phénomène répandu”, par cette proposition: “Nous proposerons un plan interministériel pour analyser, prévenir et lutter contre l’antisémitisme en France, notamment à l’école et contre ses effets sur la vie des populations qui le subissent”.

Sur la guerre à Gaza

Dans la partie “L’urgence de la paix”, le NFP écrit:
“Agir pour un cessez-le-feu immédiat à Gaza et pour une paix juste et durable
– Rompre avec le soutien coupable du gouvernement français au gouvernement suprémaciste d’extrême droite de Netanyahou pour imposer un cessez-le-feu immédiat à Gaza et faire respecter l’ordonnance de la Cour internationale de justice (CIJ) qui évoque, sans ambiguïté, un risque de génocide
– Agir pour la libération des otages détenus depuis les massacres terroristes du Hamas, dont nous rejetons le projet théocratique, et pour la libération des prisonniers politiques palestiniens
– Soutenir la Cour pénale internationale (CPI) dans ses poursuites contre les dirigeants du Hamas et le gouvernement de Netanyahou
– Reconnaître immédiatement l’État de Palestine aux côtés de l’État d’Israël sur la base des résolutions de l’ONU
– Décréter un embargo sur les livraisons d’armes à Israël
– Infliger des sanctions contre le gouvernement d’extrême droite de Netanyahou tant que celui-ci ne respecte pas le droit international à Gaza et en Cisjordanie
– Demander la suspension de l’accord d‘association Union européenne-Israël, conditionné au respect des droits humains
– Permettre l’organisation d’élections libres sous contrôle international pour permettre aux Palestiniens de décider de leur destin
– Faire respecter la souveraineté du Liban et la protection des 700 Français engagés sous casque bleu pour le droit international.”

Rima Hassan (LFI) explique à Regards.fr en novembre 2023 qu’elle ne croit pas à la solution à deux États, “une solution de boomers”
(screenshot YouTube)

Sans revenir sur chaque point, quelques précisions: 

– Il est faux de dire que la Cour internationale de justice “évoque, sans ambiguïté, un risque de génocide”. Dans un article que nous avons publié en février, “Qu’a vraiment dit la Cour internationale de justice à Israël?”, nous vous expliquions que la CIJ, saisie par l’Afrique du Sud, répète à plusieurs reprises qu’elle n’a pas à se “prononcer définitivement” sur le fond. Elle affrime que “les Palestiniens semblent constituer un “groupe national, ethnique, racial ou religieux” distinct et que les Palestiniens de la bande de Gaza forment une partie substantielle du groupe protégé”, qu’elle est compétente pour se saisir de cette affaire et, enfin, elle déclare plausible le droit des Palestiniens de Gaza d’être protégés contre les actes de génocide ainsi que le droit de l’Afrique du Sud de demander qu’Israël s’acquitte des obligations lui incombant au titre de la convention. Cela peut sembler obscur, mais ce que reconnaît la CIJ, ce n’est pas la plausibilité du génocide, mais la plausibilité du droit des Palestiniens à en être protégés. 
– Si cela nous semble normal, saluons tout de même l’appel à la libération des otages et la dénonciation des “massacres terroristes du Hamas” et de son “projet théocratique”, quand LFI parlait de “l’offensive armée de forces palestiniennes” ou de “mouvement de résistance” depuis le 7 octobre.
– Il est inexact de dire que la CPI a entamé des “poursuites contre les dirigeants du Hamas et le gouvernement de Netanyahou”. Le procureur de la CPI, Karim Khan a, le 20 mai 2024, fait requête aux juges de la Cour de “la délivrance de mandats d’arrêt”, pour des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, à l’encontre, non pas des dirigeants palestiniens et du gouvernement Netanyahou, mais bien à l’encontre de cinq personnes, les Palestiniens Yahya Sinwar (chef du Hamas à Gaza), Mohammed Diab Ibrahim Al-Masri (commandant des brigades Al-Qassam) et Ismail Haniyeh (chef de la branche politique du Hamas); et les Israéliens Benjamin Netanyahou (Premier ministre) et Yoav Gallant (ministre de la Défense). Les juges indépendants de la CPI n’ont, à ce jour, ni accepté ni rejeté les requêtes du procureur. 
– Quand le NFP demande à “reconnaître immédiatement l’État de Palestine aux côtés de l’État d’Israël sur la base des résolutions de l’ONU”, il endosse la position historique de la France et de l’UE favorable à une solution à deux États. Une bonne façon de montrer son soutien à cette solution serait, plutôt que de s’entourer de keffiehs et de drapeaux palestiniens, de brandir ensemble et côte à côte les drapeaux palestinien et israélien, de s’habiller à la fois en noir-blanc-vert-rouge et en bleu-blanc, y compris à l’Assemblée nationale. Et de cesser d’affirmer comme Rima Hassan, qu’elle ne croit pas à la solution à deux États, “une solution de boomers”.
– Enfin, pour “faire respecter la souveraineté du Liban”, il faudra peut-être veiller à ce que la résolution 1701 de l’ONU soit réellement appliquée, et mettre fin à la présence belliqueuse du Hezbollah dans le Sud-Liban, par l’“établissement, entre la Ligne bleue et le Litani, d’une zone d’exclusion de tous personnels armés, biens et armes autres que ceux déployés dans la zone par le Gouvernement libanais et les forces de la FINUL” et en empêchant la fourniture d’armes et de formation militaire “à toute entité ou individu situé au Liban”.

Carte de la Résolution 1701 du Conseil de sécurité des Nations unies (source CSIS)
Selon cette résolution, la zone située entre la ligne bleue et le fleuve Litani devrait être exempte de tout personnel, matériel ou infrastructure militaires à l’exception de ceux du gouvernement libanais et de la FINUL.