Comment choisit-on de devenir « sacrificateur rituel », shohet ?
Mon expérience est assez simple : jeune adolescent, je souhaitais avoir un cheval. Mon père m’a expliqué que c’était impossible. Mais il m’a autorisé à élever quelques poules. Je m’en suis (trop) bien occupé et, de quatre poulets, nous en avons rapidement eu cent. J’ai alors appelé un shohet pour procéder à leur abattage. Mais cela revenait cher pour l’enfant que j’étais. Mon grand-père, qui venait de Tunisie, m’avait raconté comment son frère, coiffeur comme lui mais également shohet, lui avait enseigné l’art de la shehita qu’il pratiquait avec son rasoir de barbier. À son tour, il me l’enseigna et bientôt, nous mangeâmes une de mes volailles, abattue par moi selon les règles de la shehita.
Pour autant, je n’avais pas été vraiment formé et, lorsque j’étais étudiant à la Yeshiva University de New York, j’ai étudié les textes et la pratique et suis devenu shohet.
Donc vous vous intéressez non seulement à l’abattage des animaux, mais aussi à leur élevage ?
Il est une notion très importante : celle de tsaar baalé hayim, l’interdiction de faire souffrir un animal. Et là interviennent les conditions d’élevage des animaux. Des mauvaises conditions d’élevage n’invalident pas la kasherout de l’animal vivant, mais il est clair que cela influe beaucoup sur sa kasherout finale. Un animal élevé en claustration complète sans possibilité de déambuler, est bien souvent un animal qui, une fois abattu, sera considéré taref (non validé pour la consommation), en raison de mauvaises conditions de santé. Ce qui a conduit, par exemple pour les veaux aux États-Unis, les autorités rabbiniques à n’autoriser que ceux issus de l’agriculture biologique. En une vingtaine d’années, avec l’intensification phénoménale de l’élevage industriel au Brésil, on est passé de plus de 80 % des animaux venant de ce pays considérés comme casher après abattage, à moins de 40 %. Parce que les bêtes étaient entassées, avec une mauvaise alimentation, elles étaient en mauvaise santé. Donc les conditions d’élevage sont très importantes. La vie du shohet serait autrement plus simple s’il n’existait que des élevages d’agriculture biologique.
Mais tout de même, pourquoi choisir ce métier qui consiste à tuer du vivant ?
Je veux être très clair là-dessus : les bêtes que j’élève, celles qui sont dans les élevages que je fréquente, sont destinées à une seule chose, l’alimentation humaine. Mais cela se fait dans un grand respect de l’animal, de l’homme et du divin. Nous avons l’obligation de trancher d’un coup sec, sans hésitation et sans pression, puis nous recouvrons le sang des volatiles avec de la cendre ou de la sciure en prononçant une bénédiction. Sincèrement, moi qui fréquente les abattoirs, lorsque je vois comment cela se passe dans le circuit non rituel, un élément me gène: plus aucun humain ne fait l’acte de tuer l’animal ni même n’y assiste, donc il n’y a plus de conscience que l’on tue du vivant. Les poulets entrent d’un côté de la chaîne et ressortent de l’autre, décapités et éviscérés. Pour être shohet, il faut avoir de la conscience, et une grande considération pour la vie.
Propos recueillis par Antoine Strobel-Dahan
Lire les réflexions des rabbins Yeshaya Dalsace et Rivon Krygier et de Liliane Vana : Questions sur l’abattage rituel