Nous en avions vu les premières minutes le 30 septembre à Paris lors de “l’Appel de Paris pour la paix au Proche-Orient“, le film “Résister pour la paix” des Guerrières de la paix, diffusé sur Public Sénat il y a quelques jours, débute ainsi: “Puis, nous sommes rentrées au petit matin, le 7 octobre 2023”.
C’est l’histoire de femmes qui envisagent la paix comme un combat et qui en portent les armes sans frémir, de femmes qui, avant la catastrophe du 7 octobre et de l’année terrible qui a suivi, avaient déjà embrassée la lutte de la paix, de femmes qui ont vu Vivian Silver chez elle à Be’eri quelques heures avant sa mort, de femmes dont la vie a été bouleversée par le 7 octobre sans pour autant que leur lutte s’en soit amoindrie.
Le film avait probablement été pensé initialement pour montrer cette lutte pour la paix, une lutte implacable faite de dialogue, de rencontre, d’altérité, de reconnaissance du discours de l’autre et de la légitimité de son récit, une lutte pour “pouvoir partager notre douleur et notre chagrin sans nous opposer les uns aux autres”, résume Hanna Assouline, fondatrice du mouvement. Le film raconte le retour des deux réalisatrices sur les lieux de ce premier voyage, après le 7 octobre.
On ne pourrait citer tous les “guerriers” de cette paix si lointaine croisés dans ce film mais il faut parler de Yonatan Zeigen, le fils de Vivian Silver, que l’on voit errer dans les ruines calcinées de la maison où fut assassinée sa mère le 7 octobre au kibboutz Be’eri. Visage immensément triste, au milieu des ruines sous le son des drones tout proches, il raconte: “Nous avons écrit des messages jusqu’à ce qu’elle m’écrive qu’ils étaient dans la maison. C’était fini, nous nous sommes dit au revoir”.
Il faut parler de Reem Al-Hajajre, rencontrée chez elle dans le camp de réfugiés de Dheisheh en Cisjordanie où elle donne des bisous sonores aux enfants dans la rue. Des paroles de son fils Wassim qui “n’y croit pas”, elle entend la nécessité de commencer par “construire les conditions de la paix”.
Il faut parler de Ahmed Alhilo, que l’on retrouve sur la terrasse de sa maison à Beit Jala. À ses côtés, Yonatan Zeigen. Les yeux sont tristes et rougis mais les sourires tendres. “Ce qui est arrivé à ta maman, dit Ahmed Alhilo, cela aussi a été fait en mon nom. (…) Je n’ai pas besoin qu’on tue quiconque en mon nom”.
Il faut parler des Hefetz, la mère Nava, rabbin, et le fils Yonathan qui dirige Seeds of Peace. Sur la table de shabbat, une tuile du toit de la maison de Vivian Silver avec quelques fleurs des champs. Autour de la table où se mêlent hébreu et français, la dizaine d’invités discute, à l’israélienne, jamais d’accord mais en s’écoutant. “On ne pouvait vaincre le Hamas que si on se montrait des humanistes, qui reconnaissent la souffrance de l’autre”, argumente le dramaturge Eli Bijaoui.
Il faut parler de Ali Abu-Awad qui nous avait tant marqué lors de la soirée du 30 septembre. En Cisjordanie, il accueille Hanna Assouline par un “Tu n’abandonnes jamais, toi!”. Celui qui lançait des pierres sur les soldats au cours de la première intifada, mais “sans haine” – “Pour haïr quelqu’un, il faut le connaître, mais nous ne nous connaissons pas”, explique-t-il – et a fait quatre ans de prison, a perdu son frère au cours de la deuxième intifada. En rencontrant des parents juifs endeuillés, “j’ai réalisé qu’ils étaient exactement comme nous, dit-il. Le diable a un visage et le diable n’est pas un diable, c’est un être humain”. Il poursuit: “Mon arme dans cette lutte n’est pas mon humanité, c’est l’humanité de mon ennemi”.
Il faut parler de Ibrahim Abu Ahmad et Amira Mohammed, créateurs du podcast Unapologetic, The Third Narrative. “Si vous n’êtes pas directement concerné, interpelle Ibrahim Abu Ahmad, devinez quoi… vous n’avez pas besoin de choisir un camp. Choisissez l’humanité. Choisissez de nous aider à mettre fin au conflit sans choisir un camp contre l’autre.”
Il faut parler de Gadir Hani, que l’on retrouve en larmes devant la maison de Vivian Silver. Elle qui nous avait bouleversés par son hommage déchirant à son amie lors de ses funérailles par ses mots baignés de sanglots: “Vivian, ma si chère, si tu peux m’entendre, je veux que tu saches que le Hamas n’a pas assassiné ton rêve”.
Avec son discours complexe et sans concession, loin d’une vision angélique, avec ces paroles de gens qui ont tous perdu des proches, qui sont tous, en ce moment même, et dans le deuil et dans la peur et dans la colère et dans la douleur, avec son pragmatisme, et avec sa beauté – car oui, la photographie du film est sublime –, ce film jamais voyeur dresse un espoir, celui de la paix et un constat: son indispensabilité.
Laissons la conclusion à une image, celle d’une fillette aux yeux si rieurs, aperçue à la fenêtre d’une maison de Dheisheh, avec son teint aussi clair que les murs de la maison qui l’abrite, et laissons résonner les mots d’Ali Abu-Awad: “Combien d’âmes innocentes devons-nous encore perdre avant de nous réveiller, avant de réaliser qu’aucune de ces identités ne peut être ignorée ou rejetée pour toujours? Je ne veux pas que ma liberté soit construite sur des tombes juives. Pour que la terre nous accueille tous, nous devons apprendre comment lui appartenir ensemble.”
“Résister pour la paix”, un film de Hanna Assouline et Sonia Terrab, à visionner sur le site de Public Sénat.