Yentl s’est échappée du texte d’Isaac Bashevis Singer, son auteur, et nous raconte ses aventures. Elle a choisi Sonia Sarah Lipsyc comme porte-plume qui rapporte ici fidèlement ses conversations avec Yentl. Dans « Yentl et l’Arbre de vie », son porte-plume lui pose une question essentielle : « Chassés du jardin d’Éden, Adam et Ève pouvaient se réfugier sur le reste de la planète. Mais nous, où irons-nous lorsque la couche d’ozone sera complètement trouée, au risque de nous faire dessécher comme des raisins secs? ». Vous le saurez en lisant ce sixième épisode dans lequel les deux femmes conversent sur l’attrait du Talmud sur les Coréens, sur qui est Juif et où surtout Yentl fait une visite guidée de l’Arbre de vie.
Nous publions ci-dessous un extrait de ce texte que vous pouvez retrouver dans son intégralité dans sa version numérique, sur un nouvel item du site tenoua.org qui mettra progressivement en ligne tous les épisodes publiés jusqu’à présent.
Ce feuilleton littéraire est un manuscrit déposé à la SACD (avril 2014)
« Quand on scie un arbre, j’ai mal à la jambe » chantait Léo Ferré
À la tête que je fis, mon porte-plume comprit que je ne savais pas de qui elle parlait.
– Est-ce qu’il est juif, me hasardai-je à demander ?
Il est vrai que j’avais des siècles, un ou deux, à rattraper en matière de culture générale depuis l’évasion de mon texte et de ses shtetls, ces bourgades où j’avais vécu. De plus, mes connaissances portaient essentiellement sur la culture yiddish, tout au plus américaine car si Singer m’avait fait naître en Pologne, il m’avait conçue à New York.
« Ah ! Toi aussi, tu t’amuses à ce jeu-là ! » … répliqua mon porte-plume et je n’arrivais pas à discerner si elle le regrettait, me le reprochait ou se réjouissait. Sur sa lancée, elle ajouta : « Dès que l’on parle de n’importe qui, et tout particulièrement d’une célébrité du show-biz ou d’un prix Nobel… La question fuse… Est-ce qu’il est juif? ! Par sa mère ? Par son père ? Par ses enfants ? Son grand-père ? Sa grandmère ? Son prépuce ? Ça ne suffit pas… Car même si un juif est né circoncis, selon la loi juive, on lui fait jaillir une goutte de sang… Alors… » Nous nous regardâmes. J’étais là, devant elle, moi Yentl, habillée d’un pantalon et d’une chemise sous laquelle dépassaient des franges rituelles. Et le matin, après avoir mis mes phylactères, je ne récitais pas la bénédiction « Béni sois-tu qui ne m’as pas fait femme ». Mais bel et bien, « qui m’as fait selon sa volonté », c’est-à-dire… une femme… travestie en homme qui étudiait le Talmud et traversait les siècles.
– D’ailleurs poursuivit mon porteplume, les Coréens du Sud intrigués par le taux imposant de Juifs ayant reçu un Prix Nobel, se sont mis à étudier le Talmud depuis l’école primaire, persuadés qu’il y avait un lien entre ce ratio et les arguties de Chammay et de Hillel, de Rabbi Eliezer ben Hyrcanos et de Rabbi Yeshoua ben Hananiyah, de Rabbi Yohanan et de son comparse Rech Lakich…
– Pas tort, murmurai-je… mais complètement meshugueneh, fous, ces Asiatiques ! À quoi cela leur serviraitil de se demander s’il est permis le shabbat de transporter un objet, par exemple une clef, un landau, que sais-je même, une marmite, d’un espace privé à un espace public ou l’inverse d’un espace public à un espace privé puisqu’il s’agit d’un des trente-neuf types de travaux interdits ce jour-là… à moins qu’il y ait un érouv, une délimitation naturelle comme des murailles ou symbolique, tel un fil tendu entre des arbres pour circonscrire l’espace du quartier ou de la ville… s’ils n’ont pas l’obligation de respecter le shabbat ? ! De savoir que, selon Rabbi Yehouda, la destruction du hamets, du levain, ne peut se faire qu’en le brûlant alors que les autres sages disent : « on peut aussi en faire des miettes qu’on dispersera au vent ou qu’on jettera à la mer… ». Et de comprendre la différence entre ces deux opinions, s’ils ne sont pas obligés de manger des pains azymes durant les huit jours de Pessah. De…
– À quoi ? Justement à se creuser les méninges, me répliqua mon porteplume. Quant au fait de savoir qui est juif, je crois que tout se passe comme si nous devions nous compter et nous reconnaître après tous ces exils, ces pogroms et ces immigrations ! C’est une vieille habitude importée du désert depuis la sortie d’Égypte et la traversée de la Mer rouge… Oui, on se compte en permanence pour savoir qui est encore là ! (…)
Sonia Sarah Lipsyc. Pour lire la suite, rendez-vous sur tenoua.org