des cartes interactives pour visualiser les arrestations

Depuis 2014, chacun peut consulter gratuitement en ligne des cartes interactives qui recensent, partout en France, adresse par adresse, la liste des enfants juifs qui furent arrêtés de juillet 1942 à août 1944. Fruit de la rencontre, par hasard, dans un train entre le spécialiste d’histoire urbaine Jean-Luc Pinol et le président des FFDJF Serge Klarsfeld, cet outil unique permet une autre appréhension de la traque des Juifs durant la guerre

Entretien avec Serge Klarsfeld

PROPOS RECCUEILLIS PAR FRANCIS LENTSCHNER

Avec Jean-Luc Pinol, vous avez établi et mis en ligne un outil inédit, la cartographie des enfants juifs déportés depuis la France, de juillet 1942 à août 1944. Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est cet outil ?

Il s’agit de visionner ce qu’a été le sort des enfants juifs de France, d’une façon géographique, urbaine. Pour Paris par exemple, cela permet de savoir exactement à quelle adresse les familles juives ont été arrêtées. Lorsque j’ai fait le Mémorial, j’ai fait deux volumes contenant tous les Juifs arrêtés à Paris, rue par rue, et j’ai donné ça au professeur Pinol, comme toutes les données du Mémorial, parce que je parie sur la cartographie. J’étais contre les Stolpersteine [pavés enfoncés dans le sol recouverts d’une plaque en laiton qui honore la mémoire d’une victime du nazisme], parce qu’il n’y a pas de marque de respect à marcher sur de petites plaques qui signalent que des gens ont été arrêtés. Il faudrait mettre des plaques sur tous les immeubles. Or la cartographie permet de mettre tous les immeubles dans un smartphone. Si quelqu’un veut savoir si des Juifs ont été déportés dans telle rue, dans telle ville ou dans tel village, il peut avoir tous les renseignements d’un seul coup.

Ce qui m’a aussi poussé à aller dans le sens de la cartographie, c’est que les frontières en Europe ont bougé, les gens sont originaires d’une ville qui était polonaise et qui aujourd’hui est allemande, russe ou biélorusse. C’est d’ailleurs pourquoi, dans mon Mémorial, je n’ai pas mis les nationalités de l’époque parce que ces nationalités changent tout le temps et que les Juifs étaient plus, à l’époque, originaires d’une ville ou d’une région que d’un État.

La cartographie va beaucoup se développer et faciliter l’information de ceux qui veulent savoir ce qui est arrivé à un Juif, à une famille, à dix familles, dans une commune, ou un département. Pour les enfants, cela a été fait, mais pas encore complètement, en ce que cela n’a pas encore été coordonné aux dossiers que possède le Mémorial de la Shoah sur tous les enfants juifs. Mais tout cela se retrouvera bientôt à la disposition du plus grand nombre.

Que nous apprend la répartition de ces lieux d’arrestation, par exemple sur la carte de Paris?

Il y a différentes époques, différentes cartes de Paris. Les arrestations de 1942, de 1943, de 1944, ne sont pas les mêmes, il y a différentes rafles. Si je prends l’exemple de la rafle du Vel’ d’Hiv, sur une carte de Paris, on voit que la très grande majorité des Juifs arrêtés l’est dans l’Est de Paris, et qu’il y a relativement peu de Juifs arrêtés dans l’Ouest de Paris. Aujourd’hui, si on regarde une carte de la population juive, on voit qu’elle se situe en grande majorité dans l’Ouest, il y a eu des changements sociaux importants.

On se rend compte qu’en réalité, tout le territoire français a été concerné par ces rafles et ces arrestations.

La très grande majorité des communes en France a été concernée par les arrestations, effectivement. Même si c’est un quart des Juifs de France qui a été déporté, cela fait tout de même 80 000 personnes, il y a 37 000 communes… Il y a des communes qui ont été épargnées, où il n’y avait pas de Juifs. Lorsqu’on regarde les papiers du recensement, on voit que telle commune déclare ses Juifs, telle autre déclare qu’il n’y a pas de Juifs dans la commune. Mais effectivement, tout le territoire français a été concerné. La rafle du Vel’ d’Hiv est une gigantesque rafle urbaine qui a lieu à Paris. La rafle du 26 août 1942, en zone libre, est une gigantesque rafle qui a lieu sur quarante départements et où les gendarmes vont arrêter des Juifs dans les plus petites communes, et vont même, dans tel ou tel village, arrêter tel ou tel enfant qui s’est enfui, allant jusqu’à le chercher dans la forêt pour le ramener et le déporter avec ses parents.

Cet outil permet donc de savoir où chaque Juif a été arrêté.
Y a-t-il des lieux, des adresses, des identités que vous n’avez pas pu retrouver?

Il y en a un certain nombre, oui. Par exemple, pour les Juifs qui fuyaient la Hollande ou la Belgique et essayaient de passer soit en Suisse soit en zone libre, j’ai marqué dans le Mémorial «arrêté avant la frontière suisse», mais on ne sait pas où ils ont été arrêtés puisqu’ils n’ont pas de domicile en France. Et puis j’étais limité dans le nombre d’informations que je pouvais mettre dans le Mémorial, parce que je ne disposais que de dix colonnes dans mon tableau sur papier – mais mon héritier en tant qu’historien, Alexandre Doulut, a 209 colonnes dans son ordinateur ! Le nom, le prénom, le nom de jeune fille, le lieu de naissance, l’adresse d’arrestation, le camp de transit, c’est dans le Mémorial, mais je ne pouvais pas donner beaucoup plus d’informations. Avec le règne de l’ordinateur, dont je comprends le fonctionnement mais auquel je ne connais rien, on va pouvoir faire plus.

Quel avantage offre cet outil unique pour le travail des historiens de la Shoah?

Ils peuvent avoir non seulement les données géographiques, mais tout le dossier complet des victimes. C’est important. Il y a des centaines de livres qui ont été écrits par des familles ou des survivants de la déportation sur leurs parents, ce livre peut se trouver dans le dossier de chaque personne. Les historiens pourront tirer divers enseignements à partir des renseignements obtenus. Et la cartographie permet aussi de voir le flux des gens qui viennent de tel pays, de telle ville… C’est donc une mine extrêmement précieuse qui donne aux historiens une capacité de voir ce qu’ils veulent voir et de tirer immédiatement le dossier de l’ordinateur.

Il y a des chiffres, des lieux, des identités qu’on ne peut plus nier. Est-ce un outil contre le négationnisme?

Enfin, de véritables négationnistes, il n’y en a pas beaucoup, et ceux-là, on ne peut pas les convaincre : c’est une maladie mentale, une obsession, donc ils continueront à nier même devant l’évidence. Beaucoup de gens croient encore aux Protocoles des Sages de Sion même s’il est établi que c’est la police russe antijuive qui les a rédigés. De Hitler jusqu’à celui qui, sur internet, se lance dans des diatribes contre les Juifs, on ne les changera pas. Il faut vivre avec l’antisémitisme. On peut combattre l’antisémitisme, mais c’est un combat difficile parce que dès qu’il y a une période de crise, ça remonte. C’est une maladie de l’humanité. C’est seulement lorsqu’il n’y aura plus de tensions dans l’humanité qu’il n’y aura plus d’antisémitisme, mais il faudrait que chaque homme vive selon ses besoins, et ce n’est pas le cas aujourd’hui. Donc on a encore de longues années, peut-être des siècles, avant de voir la fin de l’antisémitisme.

Consulter les cartes interactives des arrestations des enfants juifs de France et de Paris sur le site Territoires et Trajectoires de la Déportation des Juifs de France.

  • Odelia Kammoun

Le Lab La Parasha -d’odélia – 53

Ultime rendez-vous de la semaine (mais pas que…) avec Odelia Kammoun

Tu Et voilà, c’est de nouveau Pessah ! En cette fête particulièrement essentielle du calendrier juif, on ne lit pas de paracha particulière, mais des petits morceaux de Torah… qui parlent tous d’une seule et même chose : l’obligation pour les Juifs de célébrer la libération de l’esclavage en Egypte jusqu’à la fin des temps, autrement dit la fête de Pessah. Au programme, transmission, pain azyme et sacrifices d’agneaux !  »

Ce dessin est le dernier de la série entamée par Odélia il y a un an. Mais l‘histoire ne s’arrête pas là, on vous en dit plus très vite. 

Et en attendant, toute la Team Tenoua vous souhaite Hag Pessah Sameah.