Vous ĆŖtes un journaliste expĆ©rimentĆ©, vous vivez en IsraĆ«l depuis trĆØs longtemps, avez fait votre armĆ©e, Ć©tudiĆ© dans une yeshiva en Cisjordanie, autrement dit vous connaissez trĆØs bien IsraĆ«l, ses tensions et ses dĆ©fis. Dans une tribune publiĆ©e rĆ©cemment dans Haaretz (article payant), vous Ć©crivez que la haine qui sĆ©vit aujourdāhui au sein de la population juive israĆ©lienne est pire quāĆ lāĆ©poque des accords dāOslo et de lāassassinat dāYitzhak Rabin. Pouvezāāvous nous expliquer pourquoi ?
Il me semble quāĆ cette pĆ©riode, au dĆ©but des annĆ©es quatreāāvingtāādix, une partie des IsraĆ©liens pensait que les projets du gouvernement menaƧaient leur vision du Grand IsraĆ«l, quāils perdraient cette possibilitĆ© si IsraĆ«l sāengageait dans une relation plus apaisĆ©e avec les Palestiniens et quāil en serait fini du projet des colons. Mais cela ne concernait, je crois, quāune partie relativement rĆ©duite de la population israĆ©lienne. Aujourdāhui, nous parlons dāenjeux que la plupart des IsraĆ©liens ressentent comme cruciaux, des deux cĆ“tĆ©s. Du cĆ“tĆ© des partisans du gouvernement, il sāagit de reprendre le contrĆ“le du pays Ć Ā« lāĆtat profond Ā» des Ć©lites et de lāestablishment. Et dans lāautre camp, il y a ce sentiment que la dĆ©mocratie israĆ©lienne est sur le point de sāĆ©teindre pour laisser la place Ć une dictature thĆ©ocratique. Donc il me semble en effet quāen comparaison des annĆ©es quatreāāvingtāādix, il y a bien plus de gens aujourdāhui qui sont investis dans ce qui se passe. PrĆØs de la moitiĆ© du pays a le sentiment que la dĆ©mocratie est en train de lui ĆŖtre volĆ©e par lāautre moitiĆ©, donc Ƨa me semble beaucoup plus gros quāĆ lāĆ©poque.
Jāentends bien mais pour autant, il nāy a pas eu de violence politique ces derniers mois, pas dāassassinat comme celui de Rabin en 1995, heureusementā¦
Attention, Yitzhak Rabin a Ć©tĆ© assassinĆ© plus de deux ans aprĆØs le dĆ©but du processus dāOslo. Le processus actuel nāest vieux que de 6 mois. JāespĆØre quāil nāy aura pas de violence et je ne parlais pas ici de violence mais de toute cette haine qui, elle, sāexprime de faƧon plus forte quāĆ lāĆ©poque.
Vu de lāextĆ©rieur, on a toujours lāimpression que le problĆØme principal en IsraĆ«l est liĆ© Ć la question palestinienne. Mais dans ce moment politique, la question palestinienne semble bien peu concernĆ©e⦠Quāest-ce qui est en jeu ici ? LāidentitĆ© mĆŖme de lāĆtat ? ou ce que cela signifie que dāĆŖtre une Ćtat juif ? ou dāĆŖtre un Juif en IsraĆ«l ?
Tout Ƨa, lāenjeu cāest tout Ƨa. En fait la question palestinienne est aussi un des Ć©lĆ©ments de cette crise parce que le camp religieux est aussi souvent celui des colons, cāest un Ć©lĆ©ment, pas le principal mais cāen est un, comme il y a un Ć©lĆ©ment religieux, mais le principal, cāest surtout la question de lāintervention de la Cour suprĆŖme dans le processus lĆ©gislatif, et celle du procĆØs de Benjamin NĆ©tanyahou.
Estāāce pour cela que vous dites que ce ne sont pas tant les aspects techniques du projet de rĆ©forme de la justice qui posent question ?
Oui, parce que cāest bien plus gros que ces seuls aspects techniques, mĆŖme sāils ont leur importance. Il sāagit dāun sentiment bien plus gĆ©nĆ©ral.
Votre tribune sāachĆØve de faƧon assez pessimiste. Quāimaginez-vous pour lāavenir dāIsraĆ«l ? Avezāāvous tout de mĆŖme lāespoir que cette crise se rĆ©solve pacifiquement ?
Je suis plutĆ“t optimiste quant Ć la capacitĆ© de la sociĆ©tĆ© israĆ©lienne Ć sortir de cette crise et Ć conserver la dĆ©mocratie que nous avons aujourdāhui. Mais en ce moment, la situation est vraiment trĆØs toxique et atteint un niveau particuliĆØrement dangereux.
La diaspora juive aātāāelle ou devraitāāelle avoir quelque rĆ“le que ce soit Ć jouer dans cette crise ?
On entend de nombreux Juifs de la Diaspora sāexprimer et prendre parti. Mais finalement, il sāagit dāaffaires internes israĆ©liennes dans lesquelles la Diaspora nāa quāun rĆ“le minime Ć jouer ; je ne crois pas quāelle changera quoi que ce soit.