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Pessah comme une renaissance : un Ă©clairage hassidique sur la fĂȘte des Azymes

Mira Niculescu, enseignante de mĂ©ditation juive, propose plusieurs Ă©clairages hassidiques sur quelques dimensions de la fĂȘte des Azymes.

Publié le 11 avril 2025

7 min de lecture

© Mira Niculescu

La fĂȘte de Pessah a aussi d’autres noms : on l’appelle Hag ha matsot, la fĂȘte des azymes, et hag ha aviv, la fĂȘte du printemps, et zman heroutenou : le temps de notre libertĂ©.
En rĂ©alitĂ©, il y a entre ces noms quelque chose de commun – un oxymore : la force du jaillissement d’une part, et la vulnĂ©rabilitĂ© des passages de l’autre.
Et si Pessah Ă©tait une autre naissance ? 

Et si la libertĂ© Ă©tait aussi une affaire personnelle ? Qu’est ce qui est diffĂ©rent cette annĂ©e des autres annĂ©es ?
Éclairages hassidiques sur quelques dimensions de la fĂȘte des Azymes.

La force et la vulnérabilité

En terre d’IsraĂ«l, Pessah a lieu au printemps – Pessah doit avoir lieu au printemps, au point qu’une fois toutes les quelques annĂ©es, on ajoute un mois de Adar (Adar II), pour s’assurer que le sens de la sortie d’Égypte soit incarnĂ© par une nature qui renaĂźt, alors que les fleurs fragiles font craquer l’écorce de leurs bourgeons.

Oui, il faut une force incroyable aux fleurs d’une nouvelle saison pour percer l’écorce de leurs bourgeons, et en mĂȘme temps, les jeunes pousses sont si fragiles.
Tout comme les Bnei Yisrael qui se retrouvent soudain prĂ©cipitĂ©s, sortis ‘en hĂąte’-b’hipazon, dans la nuit du “Passah”, le passage du divin au‐​dessus de leurs maisons, dans le dĂ©sert de leur libertĂ©.
Oui, la libertĂ© est un jaillissement, au point qu’on n’a pas le temps de laisser la pĂąte du pain lever.
Oui, lorsqu’on sort d’esclavage, on est vulnĂ©rables, comme ceux Ă  l’arriĂšre de la colonne qui seront assaillis par Amalek, dont la pensĂ©e hassidique, en appelant Ă  la gematria, nous donne une lecture intĂ©rieure : Amalek correspond Ă  la gematria du mot safek, « le doute Â».
Oui, il est facile de douter de nous‐​mĂȘmes lorsqu’on a Ă©tĂ© aliĂ©nĂ©s trop longtemps.

Alors, en mĂ©moire de ces Ă©motions paradoxales, et pour pleinement goĂ»ter Ă  l’ambivalence de la libĂ©ration, on consommera, pendant une semaine, en lieu du hamets qui accompagne notre annĂ©e, des azymes, ces galettes de pĂąte non levĂ©es dont certains d’entre nous gardent peut‐​ĂȘtre en bouche, depuis l’enfance, le goĂ»t doux‐​amer qui convoque Ă  la fois les souvenirs des fĂȘte familiales, et l’austĂšre simplicitĂ© de la libertĂ© soudainement retrouvĂ©e.

Rosh haShana, Pourim, Pessah : dĂ©but, fin, dĂ©but

Et voilĂ  que si l’on replace la fĂȘte de Pessah dans le mouvement du calendrier juif, un autre Ă©clairage surgit. 

Pessah a lieu au milieu du mois de Nissan. Or le mois de Nissan, selon le rĂ©cit biblique, n’est autre que le “premier mois de l’annĂ©e” – Ha hodesh haze : ce mois‐​ci, dit Dieu aux bnei yisrael avant qu’ils ne sortent d’Égypte.

Ce qui signifie que Pessah serait notre premiĂšre fĂȘte, et Pourim la derniĂšre.
Or Pessah semble ĂȘtre la face inversĂ©e de Pourim : ’histoire de Pourim est peut‐​ĂȘtre la plus proche de nos existences,elle se passe en galout, exil, Dieu, non content d’ĂȘtre cachĂ© (nistar), semble obstinĂ©ment absent du destin des hommes, et les Juifs n’ont comme recours que leur foi intime et leur courage pour renverser le ‘sort” (pour), d’oĂč vient le nom de la fĂȘte.

À Pessah, c’est tout l’inverse : Pessah est la fĂȘte de la grande guĂ©oula (rĂ©demption) par la libĂ©ration des esclaves hĂ©breux (les mĂȘmes lettres inversĂ©es du mot Galout), Ă  travers la hitgalout (rĂ©vĂ©lation) du Divin qui aurait sorti lui‐​mĂȘme son peuple d’une “main forte et d’un bras Ă©tendu”. La sortie d’Égypte ne semble rien devoir au hasard mais au contraire Ă  une intentionnalitĂ© forte du Divin, exprimĂ©e Ă  travers la voix de MoĂŻse et Aharon au Pharaon rĂ©calcitrant : “Laisse partir mon peuple”.
Et tandis que la personnalitĂ© de Pourim parle de dĂ©guisement, d’excĂšs, de banquet luxueux, et de boire jusqu’à ne plus savoir distinguer entre le bien et le mal, l’ethos de Pessah est tout l’inverse : les rites incarnĂ©s ici, Ă  travers les aliments consommĂ©s lors du sĂ©der et tout au long de la fĂȘte, parlent de simplicitĂ© et du goĂ»t Ăąpre du “pain de misĂšre”, mais aussi des saveurs amĂšres faisant rĂ©fĂ©rence – Ă  la fois aux larmes versĂ©es lors de l’esclavage, et en mĂȘme temps aux dĂ©fis de cette “difficile libertĂ©â€, pour reprendre les mots de Levinas. Oui, comme le montre Ă  maintes reprises le rĂ©cit biblique, Ă  travers les plaintes de Bnei Yisrael et leurs ambivalences, bien comprĂ©hensibles, en chemin vers la libertĂ©, sortir d’Égypte, c’est aussi perdre de vue un monde connu et une “zone de confort” pour se retrouver, vulnĂ©rables, dans le dĂ©sert de la vie.

Alors pour se reconstruire, aprĂšs le chaos de Pourim, qui rappelle celui, fondateur, du tohu bohu du dĂ©but du monde, on ouvre la fĂȘte de Pessah par un sĂ©der (literalement un “ordre”) : comme dans toute bonne thĂ©rapie, on passe en revue notre histoire et les Ă©tapes de la libĂ©ration, tout en revivant dans nos corps, Ă  travers nos sens et les souvenirs qu’évoquent les goĂ»ts et les chants, les Ă©motions de l’esclavage et du passage Ă  la libertĂ©.

Du chaos primordial Ă  l’ordre fondateur, de la connection intĂ©riorisĂ©e au divin dans un monde oĂč Dieu semble absent Ă  la naissance d’un peuple portĂ© Ă  bout de bras de son Dieu, de Pourim Ă  Pessah, de Rosh haShana Ă  Pessah, de fin Ă  dĂ©but et de dĂ©but Ă  dĂ©but, ce n’est peut ĂȘtre pas pour rien si le kiddoush de Shabbat qui nous accompagne tout au long de l’annĂ©e nous rappelle ces deux moments fondateur maasei bereshit, “les acte de la crĂ©ation”, la naissance du monde, yitziat mitzrayim, la sortie d’Égypte, la naissance de nous en tant que peuple. 

Mais la fĂȘte de Pessah ne se dĂ©cline‐​t‐​elle qu’au “nous” ?

La sortie d’Égypte : une mĂ©moire collective, une traversĂ©e personnelle


À premiĂšre vue, tout dans ce rite semble de l’ordre du collectif : le rĂ©cit est par dĂ©finition liĂ© au lien, puisqu’il implique quelqu’un qui parle et quelqu’un qui Ă©coute. La mĂ©moire, ici, est celle d’un peuple qui continue de co‐​construire son identitĂ© en se racontant Ă  lui‐​mĂȘme l’histoire mythique de ce qui lui est arrivĂ©.
Et bien sĂ»r, la dimension de transmission est centrale au rite, Pessah Ă©tant l’une des fĂȘtes dans laquelle les enfants, Ă  travers le chant, les questions, et, tradition culturelle devenue presque un rite, le jeu de l’afikoman cachĂ© Ă  retrouver.

Et pourtant, c’est bien comme une histoire personnelle que la haggada nous invite Ă  lire le rĂ©cit de la sortie d’Égypte “comme si on Ă©tait soi‐​mĂȘme sorti d’Égypte.”

Pour les maĂźtres hassidiques aussi, la sortie d’Égypte est un mouvement profondĂ©ment intime. La hassidout, on le sait, a tendance Ă  proposer une lecture intĂ©rieure, symbolique, des rĂ©cits bibliques et de ses personnages. Ainsi pour le Rav Menachem Nahoum mi‐​hernobyl, l’un des premiers disciples du Baal Shem Tov, le mot « Ă‰gypte Â», mitsrayim, doit se lire meitsar yam : le dĂ©troit de mer.
Oui, dans une perspective hassidique, l’Égypte n’est pas tant un pays qu’une parabole, et mitsrayim n’est pas tant un lieu gĂ©ographique, qu’un lieu symbolique, et un lieu de passage : le canal des eaux maternelles, fendues par notre naissance.

De mĂȘme, dans une perspective hassidique, Pharaon, le roi d’Égypte qui, le “cƓur endurci”, rĂ©sistera si longtemps Ă  laisser partir les esclaves hĂ©breux, n’est autre qu’une personnification de l’ego – la partie de nous qui cherche en permanence Ă  tout contrĂŽler et qui n’abdique que quand la vie nous met Ă  genoux
 Cela vous parle ?
Et ce n’est pas fini.

Pour le Meor Einayim, l’Égypte, enfin, n’est autre qu’un Ă©tat intĂ©rieur : un Ă©tat de conscience qu’il appelle galout ha daat, “l’exil de la conscience”.

Cela signifie que la sortie d’Égypte est non seulement une affaire personnelle, mais aussi une affaire perpĂ©tuelle ! On n’est jamais Ă  l’abri de retomber en Égypte : personne ne peut affirmer ĂȘtre conscient en permanence. DĂšs que l’on retombe dans nos schĂ©mas intĂ©rieurs, nos actes manquĂ©s, nos rĂ©activitĂ©s non conscientisĂ©es, nous voilĂ  de retour en Égypte. Mais la bonne nouvelle est aussi qu’il suffit d’ouvrir les yeux et d’amener de la conscience aux pensĂ©es et Ă©motions qui nous habitent pour ĂȘtre libres Ă  nouveau. La sortie d’Égypte est donc aussi une affaire personnelle, un travail intĂ©rieur constant qui, plus qu’un Ă©vĂ©nement de libĂ©ration une fois pour toutes, est une oscillation, et un appel constant Ă  la cultivation de la conscience au quotidien. 

Un sĂ©der qui fait sens


Si l’on voit le sĂ©der comme le rite obligatoire qu’il faut bien faire avant de passer Ă  table, si on le fait en mode automatique pour aller vite ou sans bien comprendre ce que l’on dit, disons le tout net : on risque de s’ennuyer Ă  mourir.

Mais si l’on voir le sĂ©der pour ce qu’il est : un rite incarnĂ© transformateur de conscience, comme un rituel shamanique, avec des aliments‐​symboles et le vin qui lie, un rite intime et partagĂ© d’une parole qui libĂšre, de la transmission d’une histoire qui construit et de partage de sens qui rĂ©unit, alors cette nuit peut devenir l’une des plus belles de l’annĂ©e.
Pour nous aider Ă  y faire sens, quelques conseils simples : bien dormir dans la nuit et dans la journĂ©e qui prĂ©cĂšdent le sĂ©der – renouez avec la sieste ! Prendre un bon goĂ»ter, pour ne pas arriver affamĂ©s, mais mieux “goĂ»ter” le sens des rites Ă  chacune des Ă©tapes du sĂ©der

IdĂ©alement, lire un peu la hagadda et se renseigner sur les rites avant la fĂȘte (pourquoi pas y accorder autant d’importance que le mĂ©nage ou la cuisine de Pessah ?) et, le soir du sĂ©der, lire les textes dans la langue que l’on comprend, poser toutes les questions qui nous viennent, et inviter tous ceux qui sont autour de la table Ă  poser les leurs
 Venir acteurs de nos rites leur donne plus de chance de nous transformer dans tous nos sens.

Un autre Ma Nishtana


Le sĂ©der s’ouvre sur cette chanson dont la mĂ©lodie vous reviendra peut‐​ĂȘtre en lisant ces lignes “ma nishtana ha lala ha zĂ©â€ “qu’est ce qui est diffĂ©rent cette nuit” ?
Cette annĂ©e, le sĂ©der sera peut‐​ĂȘtre encore plus diffĂ©rent que d’habitude.
Cette annĂ©e peut‐​ĂȘtre plus que d’habitude, il est difficile d’ĂȘtre juif en France.
Difficile, surtout pour les enfants et les Ă©tudiants scolarisĂ©s dans des Ă©coles oĂč ils ont Ă  subir, de plus en plus souvent, insultes ambiantes ou hostilitĂ©s directes Ă  leur identitĂ©.
Cette annĂ©e, nous avons entendu, le cƓur fendu, plus d’un petit venir avec rĂ©ticence aux rites de sa famille, au point de dĂ©clarer “ne pas vouloir ĂȘtre juif”.
Cette annĂ©e, c’est peut‐​ĂȘtre aussi cela qui sera diffĂ©rent.
C’est le moment, pas seulement de raconter notre histoire collective, mais d’écouter la leur, celle de nos petits face Ă  l’antisĂ©mitisme. Celle qu’ils vivent au prĂ©sent. 

La douleur et le poids d’ĂȘtre juif dans des sociĂ©tĂ©s non‐​juives et en proie Ă  la haine de qui l’on est n’est pas nouvelle dans notre mĂ©moire collective. 

Pour d’autres gĂ©nĂ©rations, la douleur des jeunes d’aujourd’hui rĂ©sonnera peut‐​ĂȘtre avec celle qu’ils ont vĂ©cu, enfants, Ă  la fin des annĂ©es trente, en Europe ou dans les annĂ©es cinquante et soixante en Afrique du Nord.
Et puis, il y a le drame actuel d’une captivitĂ© bien rĂ©elle, Ă  la frontiĂšre de l’Égypte d’aujourd’hui. 

Cette annĂ©e, pour le second Pessah de suite depuis le 7 octobre, des familles israĂ©liennes passeront le sĂ©der sans leurs bien‐​aimĂ©s, encore otages Ă  Gaza.
Oui, l’histoire semble se rĂ©pĂ©ter et la folie humaine semble aussi fidĂšle qu’un cycle bien rĂ©glĂ©.

Mais c’est peut‐​ĂȘtre là‐​mĂȘme, dans le mouvement rĂ©pĂ©tition du monde, que nous attend aussi l’espoir : de mĂȘme que le plateau du sĂ©der est rond, l’Ɠuf qui y trĂŽne, en souvenir du korban hagiga, vient aussi symboliser la vitalitĂ© des cycles, la force du renouveau et, comme Pessah, la promesse des renaissances et du jaillissement de la vie. Le rappel que la sortie d’Égypte est une promesse sans cesse renouvelĂ©e.

C’est cela aussi le message de la hassidout : il n’y a pas d’exil trop noir dont on ne puisse remonter. Il n’y a pas d’Égypte Ă©ternelle dont on ne puisse, collectivement, sortir, encore et encore.
À nous de continuer Ă  y croire, et d’Ɠuvrer pour la faire advenir – et peut‐​ĂȘtre que cela commence, croyez‐​le ou pas, par quelque chose d’aussi simple que de manger des symboles, et de raconter notre histoire.