M

Thématiques

Newsletter

Chaque semaine, recevez les dernières actualités de Tenoua

À propos

Qui sommes-nous

L'équipe

Les partenaires

Contact

Archives

Informations

Mentions légales

Témoignage d’Éden, 16 ans : « 80 ans plus tôt, ça aurait été nous, ça aurait été ma famille, mes amis »

Il y a quelques semaines, Éden, 16 ans, participait à un voyage mémoriel en Pologne avec l’Hashomer Hatzaïr. Elle livre son témoignage d’adolescente dépositaire de la mémoire de la Shoah à Tenoua.

Publié le 23 avril 2025

4 min de lecture

© Dan Melloul

Depuis mon plus jeune âge, la Shoah fait partie intégrante des discussions familiales. Mes grands‐​parents ont été enfants cachés et mes arrière‐​grands‐​parents et le reste de ma famille ont été déportés à Auschwitz‐​Birkenau. Ma grand‐​mère, ayant survécu, a tenu cher à ce que l’on connaisse son histoire et celle de ses proches. Il était indispensable pour elle de nous partager son témoignage de sa propre voix, ce qu’elle avait vu et ce qu’elle avait vécu pour qu’on n’oublie jamais et que l’on transmette à notre tour son histoire. Lorsque mon père m’a raconté son voyage en Pologne, il s’est mis a pleuré. Il m’a affirmé que c’était le voyage qui l’avait le plus retourné de sa vie. Qu’il s’était rapproché de sa famille, de son identité juive. Quand je lui ai annoncé que l’Hashomer Hatzaïr organisait un voyage de mémoire en Pologne, il m’a alors souri me disant que j’allais assister au voyage le plus marquant de ma vie, et il a eu raison. 

Mes arrière‐​grands‐​parents vivaient en Pologne. Sentant qu’ils étaient en danger, ils ont émigré en France, d’où ils se sont fait déporter vers Auschwitz peu de temps après. J’étais consciente que ce n’était pas un voyage facile mais j’avais besoin de suivre leurs pas, de comprendre mais surtout de voir, car observer de mes propres yeux allait m’apporter une vision totalement différente de celle transmise par de simples mots., ou par les histoires que j’ai toujours entendues. En compagnie de ma shirva (mon groupe), j’étais prête. Je savais que j’étais aux côtés de ma deuxième famille, qu’on allait s’épauler, se comprendre. 

Nous sommes arrivés en Pologne, il faisait froid. Notre parcours à commencé à Auschwitz où je me suis effondrée. Je n’avais pas d’attentes particulières, seulement l’envie de pouvoir voir. Avant d’entrer à Auschwitz Birkenau, j’étais parcourue de frissons, c’était un sentiment étrange. La question que l’on s’est posée pendant tout le voyage est : Comment rentrons‐​nous dans un tel lieu ? Il n’y a en fait pas de réelle réponse. Nous avons suivi les rails de trains et sommes entrés. Je n’avais pas l’impression d’avoir ma place dans cet endroit, comme la sensation que j’entrais dans un lieu interdit. Nous étions accompagnés d’un guide extraordinaire. Je ne saurai comment expliquer mais ses mots ont résonné en moi et m’ont guidée à travers ce lieu inconnu. Il y avait une réelle sensation de masse, je ressentais à quel point de nombreuses personnes étaient passées ici. Le camp est immense. La disposition des baraques ne fait qu’agrandir le lieu. Les chambres à gaz ont été détruites par les nazis lorsqu’ils ont quitté le camp et je me suis demandé pourquoi. Pourquoi avoir détruit de telles preuves, la honte a‑t‐​elle pris le dessus ou étaient‐​ils tout simplement égoïstes ? Ce lieu m’a fait ressentir une colère au‐​delà de la tristesse qui était présente en moi. 

À Auschwitz I, la visite était difficile. Nous devions faire vite, ne pas nous attarder sur les vitrines. Une de mes amies m’a dit que cette rapidité était sûrement présente pour que l’on ressente à quel point tout allait vite à l’époque. Nous n’avons pas eu le temps de tout voir, de tout assimiler, ce n’était pas agréable. Des guides polonais nous suivaient de près, vérifiant probablement les informations qui étaient dites. Le simple fait de voir des objets personnels, des cheveux en masse, a rendu tout cela très concret. Le livre des noms est probablement une des étapes les plus touchantes. Le fait de chercher à travers toutes ces vies perdues, d’enfin trouver les noms de nos proches, de pleurer un bon coup, rend les faits encore plus réels. 

Au camp de Majdanek, même ressenti, des frissons parcouraient mes bras. C’est un camp sans aucune logique. La simple idée de devoir gérer ce camp était une punition pour les nazis. Notre guide retraçait l’histoire d’une rescapée du camp, elle avait à peu près notre âge. C’est fou de se dire que 80 ans plus tôt, ça aurait été nous, ça aurait été ma famille, mes amis. C’est une perception qu’il est difficile d’avoir avant de se rendre sur place.

Nous avons visité l’usine de la mort : Treblinka, où il ne restait plus rien mais où les images de ces Juifs ne faisaient qu’apparaître dans ma tête. Les ghettos de Cracovie et de Varsovie m’ont permis de me rendre compte des conditions sanitaires de ces Juifs qui, pas encore déportés, mouraient affamés sur le sol. Difficile de se dire que des personnes de ma famille ont probablement péri comme cela. 

Enfin, la forêt de Zbylitowska Góra était d’apparence un lieu qui me semblait moins percutant, mais était en réalité un des plus dur. C’était un des lieux de la Shoah par balle, une expression qui m’était peu connue malgré mes nombreuses connaissances sur cette période. Face à nous, des barrières, autour desquelles des jouets, des ballons étaient accrochés. Je ne comprenais pas. Mon guide nous annonce qu’ici, 800 enfants de la ville de Tarnów se sont fait fusiller sous nos pieds. Je n’arrive pas à m’en remettre. Et si ça avait été moi ? 

Ce voyage n’a pas seulement été une expérience, il a été une avancée dans ma vie. Au‐​delà des connaissances que j’ai acquises, j’ai pu réaliser mon envie de voir plus que d’entendre, de toucher plus que d’écouter, mais surtout il m’a rapproché de ma famille, de mon identité juive. Je n’ai jamais été aussi fière de ma religion, un réel paradoxe dans un lieu ou celle‐​ci était la cause du plus grand génocide de l’Histoire. Pour être honnête je ne me rends pas encore compte de ce que j’ai accompli, je n’ai toujours pas assimilé ce que j’ai vu mais je suis sûre d’une chose : c’est que ce voyage m’a grandie. La première chose que mes parents m’ont dite en rentrant était qu’ils étaient fiers de moi et, face à ces mots, je me sens libérée. Cette expérience m’a construite en tant qu’adolescente mais elle va me construire en tant qu’adulte.