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Avons‐​nous plus besoin de Shabbat ? 

Depuis le 7 octobre, quel rôle endosse la table de shabbat ? Est‐​elle devenue un lieu de refuge pour les Juifs qui ressentent le besoin de se retrouver en cette période troublée ? Le lieu de la cristallisation des débats actuels qui opposent, parfois, les générations ?

Publié le 13 juin 2025

3 min de lecture

© Richard Kenigsman – richardkenigsman.com
Cette œuvre a été présentée dans le numéro 195 de Tenoua, printemps 2024

“Une semaine après le 7 octobre, j’ai eu un réflexe : organiser un shabbat”, confie Tiffanie, 34 ans et professeure de yoga. La jeune femme engagée à gauche décrit avoir ressenti un besoin assez puissant “de se rassembler, d’être ensemble, de se reconnecter à sa judaïté, de créer un endroit qui serait une safe place pour les Juifs”. Depuis, elle a participé à la création d’un groupe Whatsapp d’une dizaine de personnes réunissant une fois par mois des Juifs de Marseille. “Quand tu sens que ton identité est en danger, tu as besoin quelque part de la protéger”, poursuit la jeune femme. Cette “nouvelle” tradition du shabbat fédère essentiellement des personnes qui ne la pratiquaient pas ou plus tellement, issues de couples mixtes, en couple avec un ou une non juive, désireuses d’en “faire plus”. “Au début, on se retrouvait simplement pour échanger sur nos quotidiens et allumer les bougies. Mais, depuis quelques mois, à la fin de chaque repas, le sujet de conversation ne peut s’empêcher d’être politique et d’être relié à Israël”, observe la jeune femme. 

Depuis petit, Ruben retrouve chaque semaine sa mère, sa grand‐​mère, ses cousins pour honorer la tradition du shabbat. Depuis le 7 octobre, cette table revêt une autre fonction, celle d’espace pour affirmer ce qu’il esquive dans son quotidien professionnel. “Mes collègues posent un regard très détaché sur la politique internationale”. Après le 7 octobre, il était nécessaire de faire exister un endroit qui puisse compenser le décalage que le jeune homme traversait au travail. “Je n'ai pas à expliquer que défendre l’existence d’un État juif, cela ne revient pas forcément à cautionner toute la politique de Nétanyahou. Avec des personnes moins averties, je me sens obligé de faire preuve de beaucoup plus de prudence, de beaucoup plus de nuances”. Même quand il essaie de parler d’autre chose, le sujet de la guerre au Proche‐​Orient finit toujours par s’imposer, par devenir central à table. “À toutes les personnes qui pourraient nous reprocher un certain repli communautaire, j’aimerais leur répondre : faites en sorte que les Juifs se sentent inclus si vous ne voulez pas qu’ils se retrouvent entre eux”, prévient‐​il. 

Plus d’un an après la tragédie et l’explosion de l’antisémitisme en France comme dans le monde, il remarque quelque chose qu’il juge “positif” sur le plan personnel. Cette année a été l’occasion de se rapprocher de la tradition juive : il porte désormais une kippa sous sa casquette et récite les prières à shabbat, ce qu’il n’avait pas toujours l’habitude de faire avant 2023. Il a pu créer de nouvelles relations avec ses cousins. “Les discussions autour du monde dans lequel on évolue entamées à shabbat et sur les réseaux se poursuivent dans des cafés”. 

Marc Mendelson, dont les grands‐​parents maternels ont été assassinés à Auschwitz, partage, lui aussi à shabbat, ces questionnements alors qu’il pensait “naïvement, que tout ça était derrière nous, qu’on avait changé d’ère”. Il regrette l’“insouciance” qui caractérisait les dîners du vendredi soir avant le 7 octobre. Désormais l’heure est à la pesanteur, se rejouent sans cesse la tragédie, les violences antisémites dont les membres de sa famille sont témoins et l’impossible condition des otages. 

Michal Darmoni, Franco‐​Israélienne vivant à Rouen, engagée au sein du collectif No Silence 710 (luttant pour faire reconnaître les viols des femmes israéliennes par le Hamas et briser le silence), constate que, chez elle, les repas de shabbat accueillent des moment de réflexion, des discussions autour de la situation actuelle, de la possibilité de l’alya. “Que fera-t-on si la situation empire ?” Autour de la table, les réponses diffèrent : les nouvelles générations relativisent les angoisses de leurs anciens et continuent à se projeter en France. Depuis 19 mois, l’Agence Juive constate une hausse de 510 % du nombre de demandes d’alya en provenance de la France, preuve que certains passent à l’acte. 

Shabbat serait‐​il devenu indispensable à nos équilibres ? “Cette tradition peut cimenter l’identité juive. C’est une identité dont on peut s’éloigner, que l’on peut penser de différentes façons mais le shabbat peut servir de repère dans les moments de doute, d’insécurité, estime le rabbin libéral Jonas Jacquelin. “Depuis le 7 octobre, on remarque un besoin de communauté chez de plus en plus de Juifs. Beaucoup renouent avec la tradition juive pour mieux comprendre d’où ils viennent”. 

La plupart des personnes interrogées dans le cadre de cet article se posent la question de la sur‐​politisation des discussions : la table du shabbat peut‐​elle s’épargner toutes les préoccupations et traumatismes liés à l’actualité ? Peut‐​on (à nouveau) en faire une source d’apaisement, de déconnexion ? “On a souvent tendance à penser la table du shabbat comme un lieu qui est nécessairement pacifique mais ce n’est jamais un endroit neutre, et c’est ce qui fait son charme. C’est un endroit qui nous unit mais qui ne peut échapper aux tensions du monde extérieur”, tempère Jonas Jacquelin.