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Israéliens à Paris : Yoram Chisin, artiste‐​peintre franco‐​israélien, se nourrit de la lumière parisienne

Comment être Israélien à Paris depuis le 7 octobre ? La photographe Gali Eytan, nous propose une série de photographies d’Israéliens qui vivent en ce moment à Paris, qui essaient d’appartenir à un cadre ou de s’en extraire. Cette semaine, Gali a rencontré Yoram Chisin, un artiste‐​peintre franco‐​israélien, installé à Paris depuis janvier 2024, qui vit entre Israël et la France. Ici, il comprend ce que c’est que de vivre dans « un pays sans menace existentielle, sans sirènes, sans missiles ».

Publié le 5 septembre 2025

4 min de lecture

© Gali Eytan

Nom : Yoram Chisin 
Âge : 54 ans 
Profession : Artiste 
Origine : Entre Nof Yam et Paris 
À Paris depuis : Janvier 2024

Pourquoi vous installer à Paris ? 

Deux choses m’ont amené à Paris en janvier 2024 : l’amour et la lumière. D’abord, j’avais besoin de respirer. De ne pas être entouré de deuil, de désespoir et de confrontation. L’entrée de Tsahal au Liban a ravivé beaucoup de souvenirs et d’images de mon service là‐​bas il y a 30 ans. Je souffre aujourd’hui d’un trouble de stress post‐​traumatique, et mon psychiatre, ma psychologue, ainsi que mon ressenti personnel m’ont incité à prendre de la distance. Le choix de Paris a été naturel puisque ma compagne y vit et que je voulais vivre avec elle. 

Au‐​delà de l’amour, il y a une autre raison : la lumière exceptionnelle de Paris, une grande source d’inspiration pour beaucoup d’artistes. Comme le disait Chagall : dès son arrivée à Paris, ses tableaux sont devenus bien plus colorés. Moi aussi, je vois une grande différence entre mes œuvres à Paris et celles que je crée en Israël. 

Comment vous adaptez-vous ici en termes de langue, de travail, de quotidien, de société, de communauté ? 

Je suis né à Toulouse. Mes parents, qui étaient sionistes et faisaient partie du mouvement Dror, ont émigré en Israël au moment de la guerre de Kippour en 1973. J’ai grandi à Jérusalem, mais j’ai toujours été très lié à la France. Je rappelle souvent à ceux qui critiquent la France, à tort ou à raison : la France a accueilli mes grands‐​parents après la Shoah et leur a permis de reconstruire leur vie. Ils l’ont beaucoup aimée, tout comme mes parents. Je n’oublie pas qu’en tant que réfugiés, la France leur a donné la possibilité de fonder une famille et de s’épanouir économiquement, intellectuellement, culturellement. 

Qu’avez-vous apporté avec vous d’Israël en France – objet, idée, façon  de vivre ? 

La houtspa israélienne… Je n’ai pas peur d’aller vers les gens, d’être vrai et franc, de regarder dans les yeux, de parler d’égal à égal, d’oser. Les Français prennent leur temps, ils font tout plus calmement. Les Israéliens, eux, vivent dans l’instant, dans l’urgence. En France, tu comprends ce que c’est que de vivre dans un pays sans menace existentielle, sans sirènes, sans missiles.

Comment gérez-vous le fait de vivre entre deux mondes ? Ici, une  vie paisible, là-bas, vos enfants, votre famille et vos amis, dans un pays en guerre, dans l’incertitude et parfois l’angoisse quotidienne ?

C’est très difficile… Les passages sont durs, les contrastes sont violents. Heureusement, je suis artiste, les artistes grandissent dans ces contrastes. Le calme comme la cohérence peuvent parfois empêcher la création tandis que l’antagonisme nourrit l’art. Mon vécu devient matière créative. 

J’espère qu’un jour, quand les choses se calmeront, que la paix reviendra, mes deux mondes pourront s’enrichir mutuellement. Mon art illustre bien la dialectique de Hegel : la création naît de la confrontation entre deux mondes. Chez moi, c’est la rencontre entre l’univers israélien et l’univers français. Créer, c’est comme l’air que je respire : sans ça, je n’existerais pas.

Vous sentez-vous juif ou israélien de la diaspora en vivant ici ? 

Je me sens culturellement israélien. Mais qu’est-ce qu’être juif ? C’est une immense question. Quelle est la différence entre juif et israélien ? L’écrivain A.B. Yehoshua disait : l’Israélien, c’est le Juif accompli, le Juif nouveau, celui qui fait son armée, qui défend son pays. 

Un cousin à moi, écrivain connu, disait que le rôle des Juifs de diaspora est d’aider à soigner les blessures des Israéliens. C’est très important : ils peuvent donner aux Israéliens une chance de cicatriser.

Qu’est-ce qui vous donne de la force ou de l’espoir en ce moment, à Paris et en Israël ? 

L’angoisse, la douleur, la tristesse, elles m’accompagnent toujours. Mais une de mes grandes passions, c’est Kafka. Chez lui, la lumière est centrale, même dans les pièces les plus sombres, il y a toujours un peu de lumière. Je compare cela à notre époque obscure : il reste des points lumineux. Mon espoir, c’est que cette lumière éclaire enfin la pièce sombre. 

Chacun trouve sa façon de tenir : certains vont à la mer, d’autres méditent… Moi, je préfère approfondir, lire, comprendre. J’écoute beaucoup France Culture, surtout des émissions sur l’art. C’est ma bulle : je sors du chagrin, de la douleur, et je plonge dans un autre monde, sans guerres, sans conflits. Même si on y parle de guerres ou de luttes, ce ne sont pas les nôtres. 

Comment est-ce d’être artiste israélien et d’exposer aujourd’hui à Paris, en Europe ? 

Le monde de l’art, en Europe comme ailleurs, est en général de gauche, sensible aux minorités et aux opprimés. Cela crée un 

problème : la gauche française est anti‐​israélienne à cause de la situation. Parce qu’Israël est perçu comme fort dans cette guerre, on croit que ce pays et ses habitants ne souffrent pas. C’est faux. Nous aussi, nous souffrons terriblement, nous parlons depuis nos blessures. Je pense que l’art est un pont entre les peuples et les cultures, entre des gens en conflit. 

Que répondez-vous quand on vous demande d’où vous venez ? 

Je dis très ouvertement : je suis israélien. Même aux ouvriers musulmans qui ont rénové mon appartement, ou aux caissiers de chez Carrefour. Souvent, il est plus facile de dialoguer avec des Musulmans – pas les extrémistes – qu’avec des non‐​Musulmans. Dans 90% des cas, les réactions sont supportables, il y a un dialogue. 

Avez-vous développé de nouvelles habitudes à Paris ? 

Prendre mon vélo le matin, aller chez mon fournisseur, le plus célèbre fabricant de pigments, discuter de couleurs, revenir par le Louvre et l’Île Saint‐​Louis, puis arriver à l’atelier et réaliser la chance que j’ai de traverser chaque jour ces lieux emblématiques qui nourrissent ma création. 

Une rencontre marquante et inattendue ici ? 

Il y a quelques mois, j’ai rencontré une artiste israélienne installée ici depuis quelques années. On ne se connaissait pas, on a pris un café, et au bout de quelques minutes, elle s’est mise à pleurer. Nous, Israéliens qui habitons à l’étranger, partageons une même blessure. On se comprend instinctivement, ce que même un ami français de longue date ne pourrait pas comprendre. 

Que signifie votre tatouage sur le bras ? 

C’est écrit en latin : “Créer, c’est vivre”. Je l’ai fait il y a quelques années, quand j’ai compris que la création était une partie essentielle de ma vie.


Série "Israéliens à Paris" de la photographe Gali Eytan :
Israéliens à Paris : partir un peu
Ishay Hadaya, un an à Paris, ville étrangère
Ariel Eytan, passer son bac de français, gravir une montagne
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