Le 11 septembre dernier à Paris, les associations JCall et La Paix Maintenant ont accueilli l’activiste palestinien pour la paix Mohamad Jamous lors de sa tournée en Europe. Coordinateur du projet « Children of Abraham », Mohamad Jamous intervient en Cisjordanie afin de mettre en place des événements visant à réunir les Juifs, les Chrétiens et les Musulmans, les Israéliens et les Palestiniens, afin qu’ils se rencontrent, se familiarisent avec la culture de l’autre (à travers des rencontres culturelles et de grands repas) et qu’ils réfléchissent ensemble à la coexistence et à la nécessité du dialogue.
Lors de sa présence parisienne, Mohamad a présenté son parcours et les défis qu’il doit affronter pour parler et agir comme il le fait en faveur de la paix et du dialogue. Il a souhaité donner la voix à deux personnalités qui travaillent dans la même perspective que lui, à ses côtés : Jerry Katz, le fondateur du collectif américain « Children of Abraham » et Hani, un Palestinien ayant été emprisonné douze ans en Israël, libéré il y a 6 ans, et qui a décidé de prendre le chemin de la paix, de la coexistence et du dialogue.
La liste des événements organisés par Mohamed Jamous, en dépit des difficultés et des menaces que ceux‐ci ont occasionné par le passé et continuent d’occasionner depuis le 7 octobre, est impressionnante, et témoigne de sa détermination à rechercher la reconnaissance de l’autre et à œuvrer à un dialogue continu entre communautés sans passer par les crispations nationales et identitaires.
Fanny Arama – Où êtes-vous né, où avez-vous grandi et où vivez-vous actuellement ?
Mohamad Jamous – Je suis né à Jérusalem, j’ai grandi à Jéricho, simplement, entouré par la nature, et je vis aujourd’hui à Ramallah, au cœur de la Cisjordanie, où je continue mon travail malgré de nombreuses difficultés.
FA - À quelle occasion votre engagement pour la paix est-il né ?
MJ – Mon engagement pour la paix est né pendant la Seconde Intifada (2000−2005), alors que je voyais chaque jour le sang couler et la violence s’intensifier autour de moi. J’ai compris que la violence engendre la violence, et j’ai choisi une autre voie : la paix et le dialogue.
FA - Pouvez-vous nous en dire plus sur les "actions du quotidien" que vous organisez et où elles se déroulent ?
MJ – Depuis plus de 15 ans, j’ai organisé plus de cent programmes de paix en Cisjordanie, en particulier dans la zone C[une division administrative de la Cisjordanie sous occupation israélienne. Elle a été définie par les accords d’Oslo de 1995]. Ces programmes consistent en des rencontres entre des jeunes Palestiniens et des jeunes Israéliens, des activités familiales, des réunions transfrontalières et des initiatives interconfessionnelles. Mon objectif a toujours été de montrer que l’instauration de la confiance passe par la connaissance de l’autre, et que l’espoir est possible, surtout dans les endroits où cela semble le plus difficile.
FA - En tant que Palestinien vivant à Ramallah depuis le 7 octobre 2023, quelles sont les principales difficultés que vous rencontrez au quotidien ?
MJ – Ma vie est semée d’obstacles : la violence des colons qui nous menacent constamment, les checkpoints israéliens qui perturbent notre quotidien jusqu’aux moindres détails, le racisme et la haine qui transparaissent parfois dans les interactions humaines. Tout cela pèse lourdement sur moi, sur ma famille et sur ma communauté.
FA - Y a-t-il une rencontre particulière, ou une amitié, qui a changé votre perception de la coexistence entre Palestiniens et Israéliens ?
MJ – Oui, absolument. Après le 7 octobre, beaucoup de cœurs se sont tournés vers la haine. Mais mon amitié avec des personnes comme David, Lea et Yoel, des Israéliens qui m’ont soutenu dans les moments les plus difficiles, m’a montré que la coexistence est encore possible et que l’humanité est plus forte que la politique.
FA - Si vous deviez vous adresser aux Israéliens pessimistes qui doutent de la paix après tant de guerres et d'impasses, que leur diriez-vous ?
MJ – Je leur dirais : de nombreux Palestiniens souhaitent plus que jamais vivre en paix à vos côtés. Nous ne demandons que nos droits et nos libertés, tout en respectant votre sécurité. Les difficultés ne doivent pas conduire au désespoir, mais plutôt nous inciter à retrouver des raisons d’espérer.
FA - Vous avez parcouru l'Europe et le monde pour partager votre message : que retenez-vous de ces voyages et de ces rencontres ?
MJ – Je me souviens du regard des gens qui écoutaient mon histoire. J’ai pu percevoir leur tristesse face à ce que nous traversons, et j’ai essayé de la transformer en espoir. Ce qui reste gravé dans mon cœur, c’est la solidarité sincère que j’ai ressentie de la part de ceux qui ne connaissaient la Palestine que par les médias.
FA - Pensez-vous que les organisations internationales peuvent contribuer à la paix dans la région ?
MJ – Oui, je crois qu’elles peuvent jouer un rôle important si elles mettent l’accent sur l’éducation, la sensibilisation et donnent la parole aux populations locales. Un véritable soutien naît lorsque les populations sur le terrain sont habilitées à construire leur avenir. Il s’agit d’impliquer les populations civiles.
FA - Pouvez-vous citer des militants pacifistes palestiniens et israéliens que vous admirez et que nous devrions connaître ?
MJ - Parmi les Palestiniens, j’admire Ali Abu Awwad (dont le frère a été tué par l’armée israélienne lors de la Seconde Intifada en 2000), qui parle avec honnêteté et profondeur de sa propre expérience. Parmi les Israéliens, je pense à mes amis Léa, David et Yoel, qui sont de véritables partenaires pour construire des ponts entre les communautés juive, chrétienne et musulmane.
FA - Y a-t-il des auteurs ou des penseurs qui vous inspirent dans votre engagement pour la coexistence ?
MJ - Gandhi et Nelson Mandela m’inspirent profondément. Leurs mots me rappellent que la dignité, la liberté et l’humanité sont les seuls véritables fondements d’un avenir commun.
FA - Comment pouvons-nous, nous communautés juives de la diaspora française, qui aspirons à la paix dans la région, contribuer à amplifier vos actions et vos messages ?
MJ – En me donnant, en nous donnant, à nous activistes pour la paix et la coexistence pacifique, davantage d’occasions de partager notre histoire et d’entrer en contact avec d’autres communautés et d’organisations juives, afin qu’elles voient que les Palestiniens œuvrent pour la paix, la justice et l’égalité pour tous. Vos voix peuvent amplifier et renforcer la mienne.
FA - Aujourd'hui, quelle est votre plus grande peur ?
MJ – Ma plus grande peur est que trop de gens restent dans le déni, ferment les yeux et préfèrent la vengeance et le cycle de la violence au dialogue. Ma plus grande peur est que la situation reste inchangée malgré nos efforts quotidiens acharnés pour la transformer.
FA - Votre plus grand espoir ?
MJ – Mon plus grand espoir est que les rivières de sang cessent de couler et que le chapitre des guerres et des conflits entre Palestiniens et Israéliens soit définitivement clos.
FA - Comment voyez-vous l'avenir ?
MJ – Malgré les défis personnels, politiques, économiques et sociaux qui sont les miens, je reste optimiste. Je m’exprime dans des associations, dans des institutions à l’international, librement et sans crainte, et cela parce que j’ai, de mon propre chef, construit quelque chose qui change la réalité de la Terre sainte, une terre qui a vu couler trop de sang, tant Palestinien qu’Israélien.