Courtesy Rosenfeld Gallery, Tel Aviv – rg.co.il – @zamirshatz
Œuvre publiée dans le livre de Tenoua, Oct. 7 - À l'ombre de l'art
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Je ne devrais probablement pas écrire ces mots cette nuit. Loin, transatlantique, j’ai reçu, alors que la France dormait encore, les premières alertes des médias israéliens, américains, moyen‐orientaux : Israël et le Hamas se sont entendus sur un accord, les otages vont tous rentrer, les vivants et les morts. Tous. Et la guerre va cesser à Gaza. Loin en Amérique quand est arrivée cette nouvelle, j’étais en train d’acheter des arbres dormants – à l’air mort, mais prêts à se nourrir de l’hiver pour renaître plus vigoureux au printemps, pour produire du vivant – ; j’ai choisi de rentrer sans rien acheter, sinon je crois que j’aurais acheté tout ce qui avait l’air mort mais s’apprêtait à revivre.
Je ne devrais probablement pas écrire ces mots cette nuit, parce que les otages sont encore là‐bas. Parce que rien ne dit que tout va se passer comme espéré. Parce que cette guerre du pire pourrait encore ressusciter. Mais j’ai regardé toutes les chaînes que je trouvais, les israéliennes, les américaines, les arabes et, sur toutes, je voyais la même chose, pour la première fois depuis si longtemps : un sourire incompressible, un sourire irréfragable, sur tous ces visages sur Kikar Hatufim, la place des otages à Tel Aviv. Cela fait si longtemps que je n’ai pas vu des Israéliens sourire vraiment.
Gshamé brakha גשמי ברכה, des pluies de bénédiction, ce sont les mots qui répondent à la pluie qui pleut sur Israël dans mon bureau cette nuit. Des larmes de brakhot résonnent à Toronto, à Paris, à Jérusalem et à Gaza.
Je sais, je sais bien que ce n’est que la première phase, qu’elle n’a même pas débuté, que tout peut se casser. Je sais que tout ne sera pas résolu dimanche ou lundi. Que les larmes de bénédiction d’aujourd’hui n’effaceront pas les pleurs de deuil et d’amertume d’hier. Que le monde a été amputé depuis deux ans d’une partie de son équilibre, qu’il va falloir travailler dur encore pour rétablir cette balance.
Mais ces sourires miroirs des larmes du ciel, ces sourires de deuil, ces larmes de joie, ces ridules invincibles que j’ai vus sur Kikar Hatufim ce jour, sont la marque la plus sûre que se joue aujourd’hui quelque chose d’autre.
Si ce jour cessent les bombardements sur Gaza, si dimanche rentrent les otages, tous les otages, les morts et les vivants, si d’ici Simhat Torah cette histoire clôt une page, alors le monde commencera à réparer son équilibre. Ken yehi ratson כן יהי רצון, qu’il en soit ainsi. Que se fassent les deuils, que se réparent les vivants, que soient jugés les coupables, que soient consolés les endeuillés, que s’adoucisse l’amertume.
La pluie de ce matin ne lavera ni les larmes des uns ni celles des autres, la pluie d’aujourd’hui n’effacera pas les dizaines de milliers de morts à Gaza, ni les assassinats du 7 octobre, ni les enlèvements, ni les captifs, ni les mutilés, ni les paradés, ni les ignominies du Hamas ou du Jihad islamique, ni les outrances des ministres exaltés d’Israël. La pluie ne lavera pas les larmes des mères, ni les cris des enfants, ni les terreurs, ni les horreurs, ni l’assassinat de Kfir et d'Ariel. Les meurtrissures purulentes du 7 octobre et des deux ans passés demeureront, mais cette pluie dessine des sourires qui avaient disparu, et les sourires sont l’engrais des âmes humaines.
Un jour, plus tard, b'ezrat haShem et inshallah, nous pourrons sécher et les larmes et les pluies, nous pourrons en voir les taches et peut‐être tenter de nous en séparer. Ce jour du moins, nous percevons que nous pourrons laver nos âmes par les averses qui abreuvent Israël, nous voulons y croire encore, en ce temps de Souccot, z'man tikvaténou, le temps de notre espérance. Ce jour, nous voulons croire à la fin du cauchemar des familles des otages, des familles des appelés, des familles endeuillées de Gaza, des familles qui nous font. Ce jour nous voulons croire que ce terrible cauchemar initié par la frénésie assassine du 7 octobre trouve ici la pierre qui le fera trébucher, pour que se renouent les fils de la vie, meurtris, brisés, abîmés, mais toujours tissables à l’étoffe des vivants.
ברוך אתה ה׳ המניח לגשמי ברכה לרדת
Béni sois‐Tu, Éternel, qui laisses pleuvoir les pluies de bénédiction.
Rains of Blessing
I probably shouldn’t be writing these words tonight. Far away, across the Atlantic, I received—while France was still asleep—the first alerts from Israeli, American, and Middle Eastern media : Israel and Hamas have reached an agreement ; the hostages are all coming home, the living and the dead. All of them. And the war will cease in Gaza.
Far away in America, when the news came, I was buying dormant trees—dead to the eye, yet ready to feed on winter so they might return more vigorous in spring, to bring forth life once more. I chose to go home without buying anything ; otherwise, I think I would have bought everything that looked dead but was preparing to live again.
I probably shouldn’t be writing these words tonight, because the hostages are still there. Because nothing says it will all unfold as hoped. Because this worst of wars could yet rise again. But I watched every channel I could find—the Israeli, American, and Arab ones—and on all of them I saw the same thing, for the first time in so long : an irrepressible smile, an undeniable smile, on every face in Kikar Hatufim, the Hostages’ Square in Tel Aviv. It’s been so long since I last saw Israelis truly smile.
G’shamei brachah, גשמי ברכה, rains of blessing—those are the words that answer the rain falling on Israel, in my office tonight. Tears of brachot echo in Toronto, in Paris, in Jerusalem, and in Gaza.
I know, I know well that this is only the first phase, that it hasn’t even begun yet, that everything could still fall apart. I know that nothing will be resolved by Sunday or Monday. That today’s tears of blessing will not wash away yesterday’s tears of mourning and bitterness. The world has been limping out of balance for two years now, and we’ll have to work hard still to restore that balance.
But those smiles mirroring the tears of the sky, those smiles of mourning, those tears of joy, those indelible lines I saw on Kikar Hatufim today, are the surest sign that something new is being written today.
If the bombings over Gaza cease today, if on Sunday the hostages return—all the hostages, the dead and the living—if by Simhat Torah this story closes a page, then the world will begin to mend its balance. Ken yehi ratzon כן יהי רצון, so may it be willed. May the mourning be done, may the living be healed, may the guilty be judged, may the bereaved be comforted, may bitterness be softened.
This morning’s rain will wash away neither the tears of some nor those of others ; today’s rain will not erase the tens of thousands dead in Gaza, nor the murders of October 7, nor the abductions, nor the captives, nor the maimed, nor the paraded, nor the ignominies of Hamas or Islamic Jihad, nor the excesses of Israel’s fanatical ministers. The rain will not wash away the tears of mothers, nor the cries of children, nor the terrors, nor the horrors, nor the murder of Kfir and Ariel. The festering wounds of October 7 and of the past two years will remain, but this rain sketches smiles that had vanished—and smiles are what feed the human soul.
One day, later, b’ezrat HaShem and inshallah, we will be able to dry both the tears and the rains ; we will be able to see their stains and perhaps try to part from them. On that day, at least, we will sense that we can wash our souls in the downpours that water Israel ; we still want to believe it, in this season of Sukkot, z’man tikvateinu, the season of our hope. Today, we want to believe in the end of the nightmare for the families of the hostages, for the families of the soldiers, for the bereaved families of Gaza, for the families who make us who we are. Today we want to believe that this terrible nightmare, born of the murderous frenzy of October 7, finds here the stone that will make it stumble—so that the threads of life, wounded, broken, frayed, may yet be rewoven into the fabric of the living.
ברוך אתה ה׳ המניח לגשמי ברכה לרדת
Blessed are You, Lord our God, who lets the rains of blessing fall.