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Israéliens à Paris : Yaël Langerman, le courage de se réinventer

La photographe Gali Eytan nous propose une série de portraits d’Israéliens qui vivent en ce moment à Paris et qui constatent parfois un décalage entre leur vie en France et celle de leurs proches restés en Israël. Gali a rencontré Yaël Langerman, 22 ans, originaire de Holon et étudiante en théâtre à Paris. Arrivée seule dans la capitale il y a un an, elle raconte son désir de se réinventer, les défis de l’exil et la force qu’elle trouve dans la communauté israélienne locale.

Publié le 10 octobre 2025

7 min de lecture

© Gali Eytan

Nom : Yaël Langerman
Âge : 22 ans
Profession : Étudiante en théâtre
Origine en Israël : Originaire de Holon. Mes parents ont déménagé à Tel‐​Aviv il y a quelques années.


Depuis quand es-tu à Paris ?

Je viens de fêter mon Paris Anniversary ! Je suis arrivée en septembre 2023.

Avec qui es-tu venue ici ?

Je suis venue à Paris complètement seule, un an après l’armée.

Pourquoi Paris ?

Je suis venue ici pour étudier le théâtre. Depuis l’âge de 11 ans, je savais que je voulais être actrice. Pour une raison ou une autre, j’ai toujours voulu apprendre ce métier à l’étranger.
Le côté enfantin et un peu prétentieux en moi pensait sans doute que notre pays était trop petit et que je devais voir plus grand. Ainsi, quand j’avais 12 ans et que mon père m’a dit qu’il pouvait me faire obtenir un passeport européen roumain, j’ai tout de suite su que ce serait mon billet d’entrée. Il m’a demandé : « Ça t’intéresse vraiment ? Tu n’es pas obligée. » Et sans hésiter je lui ai répondu : « Fais-le tout de suite ! Dans quelques années je voudrais étudier à l’étranger et j’aurai besoin de ce passeport. » Aujourd’hui j’ai aussi un passeport allemand. Je pense que plus on en a, mieux c’est.
Plus spécifiquement, le choix de Paris est lié à mon enfance. Ma mère venait souvent à Paris pour son travail, et cela en a fait la destination habituelle de nos voyages familiaux spontanés. J’ai toujours aimé cette ville mais, lors d’un voyage en 2022, plus mûre, j’ai eu une révélation : c’était ma place. La magie de cette ville m’a appelée. Ici, il y a plus d’opportunités qu’en Israël, et surtout c’est ma ville préférée.

La langue était-elle un défi ?

J’avais pris seulement quelques cours de français avant d’arriver, je savais juste me présenter. J’ai tout appris après mon installation ici. La langue est sans doute un obstacle important ici. On peut se débrouiller en anglais seulement si l’on n’est pas dans un cadre académique et si on travaille dans un environnement où le français n’est pas nécessaire.

Comment est-ce de tout recommencer à zéro ?

Ce n’est pas facile de repartir de rien, mais c’est possible. Il faut avoir un caractère indépendant, savoir vivre loin de chez soi et de ce qui est familier. Mais tant qu’on s’entoure de bonnes personnes qui apportent un sentiment de bien‐​être, n’importe quel endroit peut devenir un foyer.

À quoi ressemble ta vie ici aujourd’hui ?

J’ai une véritable routine. Je me sens à l’aise pour parler français, ce qui rend les choses beaucoup plus simples. Mes études sont en anglais et en français, donc je me débrouille et, quand je ne comprends pas quelque chose, il y a toujours quelqu’un pour m’aider.
J’ai cours quatre fois par semaine et, entre‐​temps, je travaille. J’ai des interactions quotidiennes avec des Français et je maîtrise désormais le français dont j’ai besoin pour mon travail. Mon emploi est très flexible, ce qui me permet de me sentir relativement libre.
J’ai beaucoup d’amis israéliens, la communauté ici est très grande. Nous faisons en sorte de sortir et de nous amuser comme de vrais Parisiens pour mieux nous intégrer.

Parle-nous un peu de la communauté israélienne que tu as trouvée ici.

La communauté israélienne ici est très grande et très chaleureuse. Tout a commencé quand je suis allée à une première rencontre sans connaître personne. À chaque fois, je faisais une nouvelle connaissance, qui me présentait à quelqu’un d’autre, jusqu’à ce que je trouve le cercle qui me convenait.
Aujourd’hui, je fais partie d’un petit groupe d’amis israéliens très proches et chaleureux. Nous aimons beaucoup nous « renforcer » ensemble pour ressentir un vrai sentiment de foyer. Nous essayons de passer les vendredis soirs ensemble, et le repas change chaque fois selon l’envie israélienne du moment.
Au moins une fois par mois, nous faisons une soirée Halla au Schnitzel, avec des aubergines, de la matbouha et bien d’autres plats – rien ne ressemble autant à la maison qu’une Halla au Schnitzel. Parfois, c’est une soirée bourekas, ou bien un repas spécial en fonction d’une fête. Nous préparons déjà les garnitures pour les soufganiot de Hanouka, et nous avons vraiment l’impression d’être chez nous, ensemble.

Trouver du travail en arrivant ici, sans parler la langue, cela ne devait pas être simple…

Quand je suis arrivée, je savais juste compter, pas plus. J’espérais trouver du travail dans la vente en pâtisserie, c’était un rêve et aussi le seul domaine où je pensais qu’on me pardonnerait mon manque de français et que je pourrais survivre. J’ai rédigé mon CV avec toutes les compétences possibles et je suis allée de boutique en boutique : Ladurée, Pierre Hermé, Angelina, partout. Aucun endroit ne m’a rappelée et j’étais désespérée.
Un jour, je me promenais avec une amie, une cheffe qui travaille chez Assaf Granit, elle m’a fait découvrir une pâtisserie qui appartient à un Juif, Jeffrey Cagnes. Elle m’a dit que leurs produits étaient excellents et m’a encouragée à demander s’ils cherchaient du personnel. J’ai rencontré la responsable de la boutique en pensant que je n’avais aucune chance. Mais cette responsable était juive, amoureuse et admiratrice d’Israël. Dès qu’elle m’a vue et qu’elle a compris que j’étais israélienne, elle m’a dit : « Je vais m’arranger pour que tu travailles ici. » Elle a convaincu sa supérieure, puis j’ai reçu un appel qui m’a annoncé que j’étais embauchée. J’ai hurlé de joie et de soulagement : enfin une ouverture, un espoir de commencer mon aventure ici comme il faut !
Cette dame et cette rencontre m’ont rappelé ce que c’est d’être entourée de famille. La chose la plus belle dans notre peuple, c’est que nous nous aidons toujours, peu importe où et peu importe dans quoi, nous sommes une famille même si nous ne nous connaissons pas. Travailler là‐​bas était formidable. Nous ouvrions ensemble la boutique à 7 heures du matin, elle mettait de la musique d’Omer Adam, dansait et fêtait le fait de m’avoir avec elle, elle m’invitait pour les fêtes, chaque jour elle apprenait de nouveaux mots en hébreu. Je n’aurais pas pu rêver d’une meilleure première expérience que celle‐ci.

Tu es arrivée ici un mois avant le 7 octobre. Comment as-tu vécu cette période, seule à Paris ?

Je me souviens m’être réveillée avec des dizaines de messages et de notifications. Au début, je me suis dit : « Bon, encore une salve de roquettes depuis Gaza comme chaque année », je ne me suis pas inquiétée. Jusqu’à ce que j’allume la télé et que je voie le nombre de morts grimper, par dizaines, puis par centaines. Je n’ai pas vraiment assimilé ce qui se passait, et on peut dire qu’encore aujourd’hui, je n’ai pas complètement intégré cette réalité. Je suis restée bloquée au stade du déni, sans véritable ressenti.
La première semaine, j’ai organisé un dîner chez moi avec des amis, et nous avons reçu des messages alertant d’une montée des violences contre les Juifs, nous conseillant de ne pas sortir. C’est là que j’ai compris l’ampleur de la situation. Deux amies sont restées dormir chez moi pour ne pas rentrer chez elles ce soir‐​là. Nous ne sommes pas sorties pendant quatre jours. J’avais l’impression qu’on revenait soixante‐​dix ans en arrière.
Puis est venue la colère : nous avons vécu un événement aussi terrible et c’est nous qui devons nous cacher chez nous. Depuis, je reste dans ce stade de la colère. Je refuse d’accepter que notre peuple soit dans une telle situation, et je suis furieuse que les Juifs ne puissent jamais trouver de répit face à la haine.
Heureusement, je n’ai pas perdu de proches dans la guerre. Une partie de moi ne comprend donc pas encore vraiment l’ampleur des événements – les otages, les soldats qui donnent leur vie. Le principal changement en moi est que j’ai perdu la petite lueur d’espoir qui restait en moi, aussi bien pour une amélioration à court terme que pour l’avenir. J’essaie de me rappeler que l’espoir a toujours porté les Juifs et que, sans espoir, nous sommes perdus. Alors je m’efforce de vivre mon quotidien avec confiance et la tête haute : si nous ne faisons pas semblant de croire que la vie continue, elle ne continuera pas.

Qu’as-tu apporté avec toi en France, en tant qu’Israélienne ?

Au‐​delà des petits objets‐​souvenirs de la maison, comme un collier de ma mère auquel je tiens énormément, j’ai apporté un nouveau mode de vie que j’ai décidé d’adopter : celui de me réinventer. Une page blanche signifie une nouvelle chance d’être qui l’on veut. J’ai donc amené avec moi une nouvelle Yaël, plus ouverte, prête à affronter des choses qui m’auraient effrayée autrefois, et acceptant tout ce qui se présente, bon ou mauvais.

Qu’est-ce qui te manque ici, et qu’as-tu découvert que tu n’avais pas en Israël ?

Ma famille me manque énormément. Je viens d’une famille chaleureuse et affectueuse, toujours présente. Même si je sais que j’ai toujours un foyer où revenir, ce manque est difficile à vivre. D’autant plus que je me sens très bien ici, ce qui accentue cette absence.
En revanche, ici j’ai découvert une confiance en moi – que je n’avais pas du tout en Israël. Je me suis redécouverte et j’ai appris que j’avais des facettes que j’ignorais.

Comment vis-tu le fait d’habiter entre deux mondes – la vie « normale » ici et celle de ta famille et de tes amis en Israël, dans cette période ?

Vivre entre deux mondes est en général un défi, mais c’est aussi quelque chose de très excitant : il n’y a jamais d’ennui, c’est exceptionnel et ça apporte de la spontanéité à la vie.
Aujourd’hui, avec la situation actuelle, c’est beaucoup plus divisé intérieurement : d’un côté, le désir d’être à la maison, corps et âme, et de ressentir exactement ce que tout le monde ressent là‐​bas. Car ici, on ne vit qu’une partie de la douleur. Et de l’autre, le désir de s’accomplir soi‐​même, de ne pas renoncer à ses rêves personnels.

Quand on te demande d’où tu viens, que réponds-tu ?

Ma réponse varie selon le contexte. Si on me le demande à l’école, je ne peux pas mentir : je dis que je viens d’Israël. Même si c’est dans ce cadre qu’il y a le plus de risques d’antisémitisme, je le dis avec fierté, mais avec une légère appréhension.
Si on me le demande quand je sors le soir, dans un taxi ou en vacances, je dis que je viens de Paris – ce n’est pas un si gros mensonge. Parfois même, je dis de Grèce, pour que cela paraisse plus crédible quand on m’entend parler hébreu. Je préfère rester prudente plutôt que de devoir le regretter.

As-tu adopté de nouvelles habitudes ici ?

Oui ! Aller chaque semaine dans un lieu culturel, un musée, une bibliothèque… tout ce qui peut enrichir mes connaissances. En Israël, nous ne sommes pas de grands amateurs de culture (ou plutôt, nous n’avons pas beaucoup d’opportunités d’en admirer) et c’est ce que j’aime le plus en Europe : l’importance accordée à la culture.
En plus, je vais chaque semaine dans une nouvelle pâtisserie. Cela vient de mon envie d’explorer et de découvrir de nouvelles choses et saveurs, surtout dans la ville la plus gastronomique ! Et puis, bien sûr, par amour de la nourriture.

Une rencontre marquante ?

Je me trouvais dans un café très à la mode et j’y ai rencontré quelqu’un qui travaillait pour une grande marque. Nous avons fait une séance photo ensemble dans la rue et nous nous sommes revus pour une autre séance. Cette rencontre a été marquante, car elle a prouvé que les choses peuvent changer d’un instant à l’autre, que les rencontres spontanées peuvent nous ouvrir des portes.