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Israël, octobre 2025 – “Mémoire”, le journal d’un photographe

J’ai décidé de partir en Israël lorsque j’ai réalisé que la date anniversaire du 7 octobre allait bientôt arriver. Ce sera le moment d’obtenir des images des traces des massacres dans les kibboutzim ainsi que sur le lieu du festival Nova dans le Néguev, deux ans après l’attaque du Hamas, le 7 octobre 2023.
Des commémorations organisées par les familles d’otages et par celles des jeunes assassinés ou survivants sont prévues.
Je m’étais rendu en Israël en avril 2023 lorsque avaient lieu les grandes manifestations de la société civile contre le projet de loi de Nétanyahou sur la Justice. Je n’ai aucune photo de l’après 7 octobre 2023. C’était l’occasion de revenir et, pour moi, un devoir de mémoire.

Publié le 29 octobre 2025

20 min de lecture

Mardi 30 septembre 2025

À peine arrivé, je me rends le soir à un rassemblement à Tel Aviv organisé par « les mères d’Israël » et le comité des familles d’otages.
Au lendemain de la rencontre entre Nétanyahou et Trump, de son discours et de son plan de paix, je pensais qu’il y aurait beaucoup de monde. En fait non. Guil, un ami et précieux guide, m’explique que les gens sont fatigués de manifester chaque semaine depuis deux ans. 

30 septembre 2025, Tel Aviv. Manifestation organisée par « Les Mères d’Israël » et les familles d’otages. © Patrick Zachmann/​Magnum

Des proches d’otages toujours en captivité se relaient à la tribune. Une oratrice crie « Libérez les otages ! » et les manifestants répondent « Akhshav ! », « maintenant !».

Je photographie une manifestante qui porte une pancarte avec la photo d’un otage et la mention « Bring him home now ! » et un t‑shirt où sont imprimées deux images de lui, prises, me dit‐​elle, par le Hamas, dans un tunnel. Une étiquette jaune avec le chiffre 725 est collée sur son t‑shirt. Il indique le nombre de jours écoulés depuis son kidnapping. Il s’appelle Matan Angrest. C’est un soldat et sa mère, Anat, charismatique, est en train de parler au micro depuis la tribune. 

30 septembre 2025, Tel Aviv. Anat Angrest tient une pancarte et porte un t‑shirt avec des photos de son fils, Matan, lors de la manifestation organisée par « Les Mères d’Israël » et les familles d’otages.
© Patrick Zachmann/​Magnum

Mercredi 1 octobre 

Avec Guil, nous arrivons sur le lieu des massacres du festival Nova à Re’im. Nous pouvons voir Gaza, non loin en face. Des photos de chaque jeune assassiné sont accrochées de part et d’autre de stèles ou de grands panneaux, accompagnées d’un texte qui parle d’eux. La vision de l’ensemble de ce mémorial, puis de chaque jeune souriant, plein de vie, est poignante. 

Ici, le 7 octobre, il y a eu 364 jeunes massacrés et plusieurs centaines de blessés, souvent très graves. 

Je déambule parmi ces portraits en photographiant un peu frénétiquement, attiré par tel ou tel visage. C’est pour ça que je suis venu. Garder une trace visuelle de cette incroyable et monstrueuse attaque surprise du Hamas et de ses alliés islamistes qui a fait basculer l’Histoire et provoqué un traumatisme pour les Israéliens mais aussi pour les Juifs de la diaspora. 

1 octobre 2025, sur le site du Festival Nova. © Patrick Zachmann/​Magnum

Guil m’appelle car la famille d’une jeune femme assassinée organise une petite cérémonie pour son anniversaire. Elle aurait eu aujourd’hui 42 ans. Elle s’appelait Sharona Shmunis Harel et son mari, Yotam Harel, est présent. Ils ont deux enfants, Rom, âgé de 11 ans et Alma, de 8 ans.
Je prends la mère de Sharona en photo devant le portrait de sa fille, avec les deux enfants de celle‐ci. 

1 octobre 2025, sur le site du Festival Nova. Devant le panneau hommage à Sharona Shmunis Harel posent sa mère, Ella Shmunis, et ses enfants, Rom (11 ans) et Alma (8 ans). © Patrick Zachmann/​Magnum

Le groupe constitué de la famille et de proches, forme un cercle et lâche des ballons qui s’envolent dans le ciel.

Je les quitte et me dirige vers d’autres panneaux et stèles.

Je vois un homme d’une cinquantaine d’années, accroupi par terre en train de réparer le socle en pierre de la stèle où est accrochée la photo d’une jeune fille. Il est silencieux, absorbé par ce qu’il fait et, en même temps, il semble ailleurs. Son épouse, les yeux rougis par l’émotion et la douleur, me dit que c’est leur fille, Tamar Gutman, une étudiante en droit, venue à ce festival avec quatre de ses amis d’enfance. Aucun n’a survécu.

1 octobre 2025, sur le site du Festival Nova. David, le père de Tamar Gutman, au pied de la photo de sa fille. © Patrick Zachmann/​Magnum

Sa mère m’explique qu’elle allait chaque semaine apporter des médicaments aux Gazaouis mais qu’elle ne le fera plus jamais. Elle me raconte que sa fille s’était cachée derrière une voiture de police israélienne et avait appelé sa sœur. Elle est restée en communication pendant onze minutes avec elle, puis sa sœur n’a plus rien entendu. Elle a compris que c’était fini, qu’elle avait été tuée. Le policier aussi. Pendant le temps de ce récit, son mari semble ne pas nous voir, ne pas nous entendre. Il est dévasté. 

La mère ne cesse de me remercier d’être là et de témoigner. 

1 octobre 2025, sur le site du Festival Nova. Yaira, la mère de Tamar Gutman, se tient devant la photo de sa fille. © Patrick Zachmann/​Magnum

Toutes celles et ceux que je rencontre me remercient d’être là, insistent sur l’importance de montrer ces images et de ne pas oublier. 

J’ai consacré une grande part de ma carrière de photographe et de réalisateur à chercher des traces de la mémoire d’évènements dramatiques bien souvent occultées ou volontairement effacées. Du devoir de témoigner et d’enregistrer des moments historiques au besoin que j’ai ressenti d’aller à la recherche de ma propre mémoire, c’est pour cela que je suis venu.

Plus loin, j’aperçois deux jeunes femmes autour d’une stèle, accroupies essayant d’allumer une bougie. Ce sont deux amies de Maayan, exécutée par le Hamas et ses alliés islamistes le 7 octobre 2023. Je les prends en photo alors qu’elles s’enlacent dans un geste qui me bouleverse. Elles s’appellent Liron et Choval.

1 octobre 2025, sur le site du Festival Nova. Liron et Shoval se tiennent devant la photo de leur amie Maayan Mor. © Patrick Zachmann/​Magnum

Liron me remercie également d’être venu de France où elle me demande si je n’ai pas peur de vivre, avec tous ces actes d’antisémitisme. Je lui retourne la question mais elle m’affirme qu’Israël est l’endroit le plus sûr pour les Juifs.

Je rejoins Guil qui me présente Eldad, un de ses amis vivant dans un kibboutz alentour et qui va nous aider dans mon reportage. C’est un réserviste qui n’était pas présent le 7 octobre, occupé à faire des essais de sonorisation avec son fils dans le Golan, mais qui a aidé les jours suivants, notamment à évacuer les cadavres.

De temps en temps, des tirs de canons de Tsahal à Gaza me font sursauter.

Guil me montre les abris anti‐​roquettes et missiles où nombre de jeunes se sont réfugiés pour se cacher. Malheureusement, la plupart ont été tués.

1 octobre 2025, à proximité du site du Festival Nova. Un des abris où les jeunes festivaliers s’étaient précipités pour se protéger, mais les terroristes islamistes les ont tous assassinés. © Patrick Zachmann/​Magnum

Il me parle d’une jeune fille, venue faire la fête avec son petit ami, David Naaman. Ils se sont cachés, avec d’autres, dans une benne à ordures. Lorsque des terroristes du Hamas les ont découverts, ils les ont mitraillés. Lui est mort ; elle a survécu, gravement blessée. 

Je photographie le panneau où des images d’elle sont réunies, ainsi que la reproduction des derniers sms qu’elle a envoyés à sa famille. Il y a aussi deux photos, sans doute prises par David, d’elle et de compagnes d’infortune terrorisées dans la benne. C’est horrible.

1 octobre 2025, à proximité du site du Festival Nova. Ron Yehudai, qui s’était caché dans une benne à ordures avec d’autres jeunes, a été assassiné par les terroristes du Hamas lorsqu’ils les ont découverts. © Patrick Zachmann/​Magnum

J’apprends qu’entre 2.500 et 5.000 roquettes et missiles ont été lancés par le Hamas à partir de 6 heures du matin.

Nous repartons assez tôt vers Tel Aviv en cette veille de Kippour car aucune voiture ne pourra circuler et toutes les boutiques et restaurants seront déjà fermés lorsque nous arriverons. 

Je suis venu accompagné de Jérôme, un ami d’enfance. Il est bouleversé par ce que nous avons vu et entendu.

Jeudi 2 octobre

Jour de Yom Kippour. Tout est fermé dehors. Avec Jérôme, nous allons vers la mer où des enfants roulent à bicyclette, trottinettes ou skateboard. Des familles se promènent, souvent habillées en blanc. L’atmosphère est paisible.

J’apprends qu’un attentat a eu lieu devant une synagogue à Manchester faisant deux morts et plusieurs blessés. Ça n’arrête pas. 

Ce soir, un rassemblement a eu lieu en plein air sur la « place des otages » à Tel Aviv et le shofar (la corne de bélier) a retenti pour signifier la fin de Yom Kippour et du jeûne. 

Vendredi 3 octobre

Journée dense. Nous avions rendez‐​vous avec Eldad, le contact de Guil, dans le kibboutz de Ein Hashlosha, proche de la frontière avec Gaza.

Un jeune soldat protège l’entrée du kibboutz mitraillette à la main. Je le prends en photo. Nous entrons et nous rencontrons Ofer, le frère d’Eldad, qui a choisi de venir ici pour aider à de nombreuses tâches depuis le 7 octobre. 

De mes interlocuteurs, ici, j’apprends qu’une première vague de terroristes est arrivée vers 7 heures du matin à moto et en pick‐​up Toyota mais, grâce à un tank israélien stationné près d’ici et trois soldats armés membres du kibboutz, la plupart ont été tués. 
Ils m’expliquent qu’une seconde vague, cette fois de civils gazaouis, sans affiliation organisationnelle, est entrée dans le kibboutz. Ils ont pillé les maisons, en ont incendié plusieurs dont celle de Sylvia Miranski, 80 ans, qui a été brûlée vive.
Ofer me raconte que deux frères, appelés par leur sœur, Liora, sont arrivés armés et ont participé au sauvetage de nombreux civils. En chemin, ils découvrent le corps de leur mère, Marcelle Taljah.
Je photographie sa maison dont la terrasse est jonchée d’affaires en vrac.

3 octobre 2025, kibboutz Ein Hashlosha. La maison de Marcelle Talia, tuée par les terroristes. © Patrick Zachmann/​Magnum

Plus loin, un mémorial sur la pelouse où Marcelle et Noa Glanzberg ont été assassinées. Nous allons essayer de rencontrer plus tard Liora, la fille de Marcelle.

Nous nous rendons dans un autre kibboutz, Re’im, à côté du lieu du festival de musique Nova, où je fais la connaissance de Noam et Adi Gabay, parents d’Amit, assassiné par des terroristes dans sa chambre. Je les photographie devant la tombe de leur fils qui avait 18 ans. Une fausse console de musique et deux baffles sont posés devant la sépulture en mémoire de sa passion pour la musique.

On me présente un de ses amis d’enfance, Agam, très sympathique, aux longues dreadlocks. 

3 octobre 2025, kibboutz Re'im. Agam se tient devant la tombe de son ami d’enfance Amit Gabay, assassiné par les terroristes du Hamas dans sa chambre. Amit aimait la musique. © Patrick Zachmann/​Magnum

Je me rends chez eux où je les prends en photo avec un portrait de leur fils dans les mains. 

3 octobre 2025, kibboutz Re'im. Noam et Adi Gabay, les parents d’Amit, tué dans sa chambre par le Hamas à l’âge de 18 ans, tiennent la photo de leur fils Amit. © Patrick Zachmann/​Magnum

Nous quittons Re’im et nous dirigeons vers le lieu du festival car je souhaite y refaire des photos. Nous empruntons la route 232, appelée depuis les attaques du 7 octobre « la route de la mort ».

Nous nous arrêtons devant un des nombreux abris où sont collés, à l’extérieur et à l’intérieur, de nombreuses photos et des mots évoquant tel ou tel jeune assassiné. 

J’apprends que dix‐​huit jeunes se sont cachés et entassés à l’intérieur. Tous ont été massacrés. La photo d’une jeune fille belle et rieuse est accrochée à une stèle à l’extérieur de l’abri. Un texte, qui accompagne les photos nous explique qu’elle n’a pas pu entrer dans l’abri, plein à craquer. Elle a été fauchée par les balles des terroristes à l’endroit de cette stèle. C’est déchirant.

3 octobre 2025, le long de la route 232. Un hommage à Noa Zander, qui n’a pas pu entrer dans un abri déjà occupé par 18 personnes et a été abattue à l’extérieur. © Patrick Zachmann/​Magnum

À Nova, je m’approche d’une femme occupée à poser des pierres, selon la tradition juive, autour de la stèle de son fils, Liel, qui avait 22 ans lorsqu’il a été tué.
Elle s’appelle Yonit Itach et vit à Jérusalem. Elle me demande si je peux lui envoyer des photos. Je note son email.

3 octobre 2025, sur le site du Festival Nova. Yonit Itach embrasse la photo de son fils Liel, âgé de 22 ans lorsqu’il a été tué le 7 octobre 2023.
© Patrick Zachmann/​Magnum

Nous reprenons la route 232 et allons au kibboutz de Kissufim. Je suis Eldad qui monte sur un observatoire à l’extérieur du kibboutz d’où l’on aperçoit le quartier Deir al‐​Balah à Gaza. Si près. 

3 octobre 2025, Kibboutz Kissufim. Mémorial pour un soldat israélien tué le 7 octobre. © Patrick Zachmann/​Magnum

Devant le kibboutz Magen, un mur a été érigé pour protéger une école de tirs en provenance de Gaza.

3 octobre 2025, Kibboutz Magen. Un mur a été construit pour protéger une école des balles provenant de Gaza. © Patrick Zachmann/​Magnum

Nous reprenons la route pour Tel Aviv. Je me sens épuisé. C’est le début du shabbat. Contrairement à Jérusalem, ville religieuse, ici à Tel Aviv, la vie continue, les voitures circulent, la plupart des restaurants reste ouvert. 

Samedi 4 octobre

Ce soir, le rassemblement hebdomadaire aura lieu comme toujours sur la « place des otages ». Le Hamas s’est déclaré prêt à libérer tous les otages restants, morts ou vivants, mais n’a pas évoqué la condition du désarmement de sa branche armée. Trump triomphe alors que rien n’est vraiment acquis. Je suis curieux de voir la réaction des manifestants.

Le rassemblement autour du musée de Tel Aviv est impressionnant. Une foule immense : des dizaines de milliers d’Israéliens se tassent autour de la tribune et sur le boulevard Shaul Hamelekh qui longe le musée. 

Je parviens à accéder à un espace étroit dédié aux médias et à obtenir une place d’où je ne bougerai pas, pour ne pas la perdre !

Des proches des otages sont sur la scène et portent des pancartes avec la photo d’un fils, d’un frère ou d’un père. Les orateurs et oratrices se succèdent. Une femme prend la parole, une vraie passionaria. C’est Einav Zangauker, la mère du soldat otage Matan Zangauker, 22 ans. Il avait 20 ans lorsqu’il a été extrait du char où il se trouvait et a été kidnappé par des terroristes du Hamas.

4 octobre 2025, Tel Aviv. Einav Zangauker, la mère de l’otage Matan Zangauker, 22 ans, prend la parole. © Patrick Zachmann/​Magnum

La foule hurle « Akhshav ! » (« Maintenant ! »), répondant à une voix criant « Libérez les otages ! ».

Puis, Gadi Mozes, un ancien otage relâché en janvier, 80 ans, un des plus âgés parmi les otages, prend la parole.
Les chiffres parlent de plusieurs dizaines de milliers de personnes présents sur la place.

4 octobre 2025, Tel Aviv. Gadi Mozes, ex‐​otage du kibboutz Nir Oz, libéré après 480 jours, prend la parole. © Patrick Zachmann/​Magnum

Dimanche 5 octobre

Nous repartons de bonne heure de Tel Aviv vers la frontière dans le Néguev. Une heure et demie de route. Nous commençons par le moshav Tkuma où sont entassées 1.460 voitures abandonnées sur la route, souvent trouées par les impacts de balles, autour du festival de musique Nova dont 300 brûlées par les assaillants. Ici, une ambulance qui contenait 18 jeunes qui n’ont pas pu échapper aux massacres ; là, la voiture accidentée de celui qu’on appelle « l’ange » qui, au lieu de se sauver, a effectué trois allers‐​retours avec à chaque fois sa voiture pleine de jeunes. Le dernier trajet a été fatal et, sur les cinq personnes qu’il tentait de sauver, trois ont été tuées, lui également. Une blessée a survécu, une autre a été kidnappée puis libérée. 

5 octobre 2025, moshav Tkuma. Le mémorial des voitures abandonnées. © Patrick Zachmann/​Magnum

5 octobre 2025, moshav Tkuma. Le mémorial des voitures abandonnées. © Patrick Zachmann/​Magnum
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J’apprends par le guide d’un groupe de visiteurs qu’il y a eu plusieurs vagues d’assaut sur la frontière, tout d’abord environ deux milles terroristes islamistes qui ont pu franchir la frontière une fois les bases militaires et les caméras de surveillance détruites par des drones et les clôtures défoncées. Ils sont venus à deux sur des motos, un terroriste à l’arrière mitraillant les jeunes en fuite. 
La seconde vague s’est faite en voitures, des pick‐​up Toyota et Suzuki transformés en engins de guerre, avec des fusils mitrailleurs installés à l’arrière. Cela m’évoque les images que l’on a tous en tête d’Al-Qaeda ou des combattants de Daesh. 
La troisième vague, dit ce même guide, fut composée de terroristes qui ont franchi la frontière à pied et se sont attaqués aux kibboutzim et à Nova. À l’aide de « RPG », lance‐​grenades tirées à l’épaule, les terroristes s’attaquent aux voitures et à leurs passagers.
La dernière vague d’assaut a été celle composée majoritairement de civils. Ce sont ceux qui ont pillé, violé, brûlé et torturé les habitants des kibboutzim.
En tout, 5.600 combattants et civils ont afflué de Gaza sur Nova et les kibboutzim, faisant 1200 morts et prenant 251 otages.

Nous reprenons la route pour nous rendre au kibboutz Be’eri, meurtri par les massacres du 7 octobre 2023. 
Nous découvrons un quartier entier situé au nord‐​ouest du kibboutz avec des maisons à moitié détruites, fracturées, trouées par les balles des assaillants terroristes, mais aussi par les tanks israéliens une fois sur place pour déloger et tuer les terroristes. 

Il y a eu au total dans Be’eri, 101 civils et 31 membres des forces de sécurité tués par le Hamas, et 32 otages emmenés à Gaza. 
J’apprends avec sidération que les terroristes prenaient aussi avec eux les corps de personnes assassinées. 
J’aperçois une banderole apposée devant une maison avec la photo d’une jeune femme qui a été kidnappée et tuée ensuite à Gaza par le Hamas . Elle s’appelait Carmel Gat.

Il y a aussi Ayelet Godard, 63 ans, et Meny Godard, 73 ans, qui ont été assassinés chez eux. Le corps de Meny a été emmené à Gaza où il se trouve encore.

5 octobre 2025, kibboutz Beeri. Une bannière rappelle la mémoire de Meny Godard. © Patrick Zachmann/​Magnum

Je fais la connaissance de Gome Lev Aptalou, 19 ans, un ami d’Agam que j’ai rencontré vendredi dernier.
Le 7 octobre, Gome était dans le kibboutz avec sa famille, son père, sa mère et sa petite sœur. Ils se sont réfugiés dans le mamad (la pièce forte) avec leur chien dès qu’ils ont compris que des terroristes étaient dans le kibboutz. Ils sont restés douze heures enfermés dans ce petit espace fortifié, résistant aux assaillants qui tentaient d’ouvrir la porte de l’extérieur, en tenant fermement la poignée de l’intérieur. Au bout d’un moment, la maison a été incendiée et l’atmosphère devenait étouffante et insupportable par la chaleur dégagée par la maison en feu. Le chien, sentant sans doute le danger, n’a pas aboyé une seule fois.

5 octobre 2025, kibboutz Beeri. Gome Lev Aptalou à l’intérieur du mamad. © Patrick Zachmann/​Magnum

Après douze heures, enfermés sans eau et dans cette chaleur insupportable, ils se sont enfuis par la fenêtre étroite du mamad et ont couru vers des soldats israéliens. Toute la famille a survécu mais tous sont traumatisés. Des parents et sa sœur sont partis habiter en ville. Gome, lui, veut rester à Be’eri.

Résiliant comme beaucoup de membres de kibboutzim rencontrés, il me guide et me parle souvent avec le sourire. 
Il me mène jusqu’à leur maison détruite et me montre ce qu’il reste de sa chambre au dernier étage. Il n’y a plus de toit et des décombres jonchent le sol. 
Je le prends en photo dans ce décor dévasté. 

5 octobre 2025, kibboutz Beeri. Gome Lev Aptalou se tient à l’endroit où se trouvait autrefois sa chambre. © Patrick Zachmann/​Magnum

Je croise des soldats venus aujourd’hui dans ce kibboutz et dans la maison où a été tué un de leurs amis.

Nous avons rendez‐​vous à Ein Hashlosha avec Liora Talia, 31 ans, dont la mère a été tuée.
Liora a trois enfants, Avi Shey, Matar, Asif, et en attend un autre ce mois‐​ci. Son mari, Sor, nous rejoint. J’aperçois son revolver à la ceinture.

5 octobre 2025, kibboutz Ein Hashlosha. Liora Talia, 31 ans, et sa famille dans leur maison. © Patrick Zachmann/​Magnum

Elle me raconte leur histoire dans un anglais parfait, souvent avec le sourire. 
Le 7 octobre, elle était à l’hôpital à Ashdod car elle venait d’accoucher deux jours auparavant d’Asif, la petite dernière. Lorsqu’elle a entendu, dès 6 heures du matin, la multitude de roquettes et de missiles qui tombaient sur Ashdod et alentour, elle a compris que quelque chose de grave était en train de se produire. Cette ancienne journaliste du quotidien de gauche Haaretz, a installé dans sa chambre d’hôpital un véritable QG. Elle m’explique que les communications téléphoniques étaient brouillées par le Hamas et qu’elle ne parvenait à joindre ni son mari ni sa mère, restés au kibboutz pour la fête de Simhat Torah. Elle reçoit alors des sms d’amis qui lui disent que des dizaines de terroristes sont dans Ein Hashlosha. Elle regarde sur Telegram et découvre des vidéos des assauts postées par le Hamas. Elle n’arrive à joindre aucune unité de l’armée. Effrayée, elle joint ses deux frères qui habitent une ferme dans le Sud et leur demandent de venir armés, secourir la famille et le kibboutz assiégé.Lorsqu’ils arrivent, ils découvrent leur mère, Marcelle, 65 ans, morte, encore en pyjama, gisant dans une flaque de sang. Le mari de Liora, leurs trois enfants et le chien, s’étaient réfugiés dans le mamad. Sains et saufs.

Un des frères d’Eldad, responsable de toute l’irrigation du kibboutz, me propose de nous emmener avec son 4×4 le long de la frontière avec Gaza.
Nous y croisons plusieurs voitures militaires. L’une d’entre elles s’arrête pour demander au chauffeur qui nous sommes et ce que nous faisons. Il explique qu’il habite ce kibboutz. On nous laisse repartir.
Nous voyons une de ces tourelles de vidéo‐​surveillance qui a été détruite en premier lieu par le Hamas à l’aide de drones. En face, on distingue Khan Younès où une bombe lâchée par un avion israélien vient d’exploser. Au loin, une fumée monte au‐​dessus de la ville. 

5 octobre 2025, le long de la frontière entre le kibboutz d’Ein Hashlosha et Gaza. On peut voir Khan Younes de l’autre côté. © Patrick Zachmann/​Magnum

À deux pas de la clôture, parmi la terre labourée, je vois un enclos métallique : c’est, me dit‐​on, l’entrée d’un tunnel découvert par l’armée et ouvert pour l’explorer. J’imagine les hommes travaillant dans ce kibboutz, si près de Gaza et de la menace qui pèse sur eux, notamment avec l’existence de tunnels.

5 octobre 2025, le long de la frontière entre le kibboutz d’Ein Hashlosha et Gaza. Derrière la clôture blanche, un tunnel de 20 mètres de profondeur récemment découvert par l’armée israélienne et sécurisé depuis lors. © Patrick Zachmann/​Magnum

Retour à Tel Aviv. 
J’importe toutes les photos de cette journée très dense sur mon ordinateur et je procède à « l’editing », c’est‐​à‐​dire à la sélection des meilleures images et à l’écriture de leurs légendes. Il est 2 heures du matin lorsque je termine. 

Lundi 6 octobre

C’est veille de Souccot. Nous restons à Tel Aviv et j’en profite pour mettre à jour mon journal. Moi qui ne suis ni croyant ni observant, j’apprécie ces fêtes qui, ici, m’obligent à me reposer !

Mardi 7 octobre

Cette date anniversaire coïncide avec la fête de Soukkot (la fête de la cabane) et il n’y a pas grand monde dans les rues. Ce soir en revanche, est prévu un grand concert à Tel Aviv en hommage et en mémoire de toutes les victimes et otages encore détenus par le Hamas.

21 heures, une foule immense converge vers le parc de Hayarkon où se déroule la cérémonie commémorative en ce second anniversaire du plus grand massacre de Juifs depuis la Shoah.
Des gradins et des chaises numérotées ont été installés pour l’occasion devant une scène avec trois grands écrans. Cette manifestation a été organisée par Yonatan Shamriz, un ancien otage du Hamas qui est abondamment applaudi dès son apparition sur scène. Les applaudissements et cris contre le gouvernement de Nétanyahou redoublent d’intensité lorsque Yonatan le critique violemment.
Il a créé, une fois libéré, le mouvement Kumu (« Réveil ») avec des familles touchées par les attaques du 7 octobre. L’évènement est gratuit mais a été financé par un « crowd‐funding ». 

Des artistes israéliens se succèdent, ainsi que des victimes ou parents de victimes des attaques des islamistes terroristes. 
En premier, la jeune soldate et violoniste Agam Berger qui fut kidnappée lors des combats de Nahal Oz et emmenée à Gaza, joue un magnifique morceau de musique. Elle fut libérée le 30 janvier 2025.

7 octobre 2025, parc Hayarkon, Tel Aviv. La violoniste et ex‐​otage Agam Berger, libérée le 30 janvier 2025, joue sur scène pour marquer les deux ans du 7 octobre. © Patrick Zachmann/​Magnum

Un père, David Brief, dans une vidéo déchirante, pleure son fils Yona tombé au combat dans le kibboutz Kfar Aza. Il était infirmier dans une unité du commando Douvdevan. 

La veuve d’un policier qui s’est suicidé après le 7 octobre parle avec dignité. À l’écran, nous découvrons des photos de famille avec leurs deux enfants en bas âge. Je suis ému par cette femme.
Une autre femme sur scène crie « la réparation plutôt que la vengeance ! ».
Ma voisine, gentiment, s’est improvisée traductrice et m’indique par moment l’identité et l’histoire des intervenants.

7 octobre 2025, parc Hayarkon, Tel Aviv. © Patrick Zachmann/​Magnum

La soirée se termine par le public debout chantant ensemble la Hatikva, l’hymne national israélien.

Nous rentrons dans notre quartier central, rue Nahalat Binyamin, très animée le soir et allons dans une de nos cantines manger un falafel délicieux.

Mercredi 8 octobre

Journée calme où je ressens tout d’un coup le poids de tout ce que j’ai vu et entendu. Pendant les prises de vue, nous avons une sorte de résistance et de distance professionnelle qui nous permet, je crois, de supporter nombre de drames dont nous sommes témoins. C’est souvent après que nous réalisons leur impact sur notre notre psyché ou notre moral.

Jeudi 9 octobre

C’est le jour de mon départ. 

Vers minuit, heure israélienne, Trump a annoncé que tous les otages seront libérés lundi prochain. Les 20 supposés vivants et les dépouilles des 28 autres morts, contre 2.000 prisonniers palestiniens dont 250 qui purgent une peine à perpétuité. Je ne serai plus là et je fonce, avant de prendre mon avion, sur la « place des otages » pour prendre des images des premières explosions de joie.

Il y a déjà beaucoup de monde et plusieurs femmes dansent et tapent des mains. Les médias commencent à être nombreux et nous nous gênons pour travailler. Je m’éloigne de ce groupe et je croise une amie proche de Sylvia, la mère de deux otages. Je la photographie, souriante.

9 octobre 2025, Kikar haHatufim, la "place des otages", Tel Aviv. © Patrick Zachmann/​Magnum

Puis je parle avec le fils d’Amiram Cooper, qui arbore un t‑shirt avec la photo de son père, 85 ans, otage du Hamas. Cet homme d’une cinquantaine d’années ne se réjouit pas. Il reste impassible lorsque je le photographie. 

Un responsable de la communication du Forum des familles me présente Itzik Horn, le père de Eitan et Yair Horn. Ces deux frères ont été kidnappés par le Hamas mais Yair a été libéré en février 2025 tandis qu’Eitan est toujours otage à Gaza. 

9 octobre 2025, Kikar haHatufim, la "place des otages", Tel Aviv. Itzik Horn, père d’Eitan et Yair. 
© Patrick Zachmann/​Magnum

Je me dirige vers un groupe de militants du « Pink Front », en rose donc, et tapant sur des tambours en criant leur joie. Je crois que ce sont les mêmes que j’avais photographiés en avril 2023 lors des manifestations hebdomadaires contre le gouvernement Nétanyahou et son projet de réforme de la Justice. 

9 octobre 2025, Kikar haHatufim, la "place des otages", Tel Aviv. © Patrick Zachmann/​Magnum

Je fonce vers le taxi à qui j’avais donné rendez‐​vous pour qu’il nous ramène, Jérôme et moi au Airbnb puis à l’aéroport Ben Gourion.
Je lis que, selon un sondage de l’Institut israélien pour la Démocratie, un cinquième des Israéliens seulement croit en une coexistence pacifique avec un État palestinien mais que deux tiers réclament la fin des hostilités. Un autre sondage donne perdant le gouvernement actuel de droite et d’extrême droite lors des prochaines élections. Une bonne nouvelle si elle se confirme. Je vois une publication sur internet d’un slogan écrit en énorme et en rouge sur un mur de Melbourne en Australie : « Oct 7: Do it again » et un autre : « Glory to Hamas ». 

Lundi 13 octobre

Jour de libération tant attendue des vingt derniers otages vivants. Je regarde en direct les images à la télévision. L’attente d’Israéliens euphoriques sur la place des otages puis les premières étreintes des otages avec leur famille, père, mère, conjoint, frère, sœur… J’imagine l’émotion ressentie et partagée par tous ces gens tellement éprouvés depuis deux années. J’imagine aussi la présence des médias, innombrables, qui rend ce genre de situations et de moments d’intimité extrêmement difficiles à photographier. À vrai dire, je ne regrette pas d’être parti avant cet événement historique qui relève du « hot news », ce qui n’est ni ma spécialité ni ma sensibilité. Je suis venu en Israël pour faire un travail de mémoire et pour rappeler que le 7 octobre 2023, s’est produit le pire massacre de Juifs depuis la Shoah, et ce par des islamistes.

8 octobre 2025, Tayelet, Tel Aviv. Une banderole appelle à la libération de Ran Gvili. © Patrick Zachmann/​Magnum

La rédaction de Tenoua remercie très chaleureusement Patrick Zachmann et Magnum
pour leur générosité et leur confiance, qui ont rendu possible la publication de ce témoignage.

Édition : Antoine Strobel-Dahan