Guerrières de la Paix: “Faire plus de bruit pour recouvrir toutes les voix de haine”

Le 8 mars, Journée internationale des droits des femmes, le collectif des Guerrières de la Paix réunira lors d’un appel international des femmes pour la paix, la justice et la liberté, des militantes palestiniennes, israéliennes, ukrainiennes, iraniennes, afghanes, russes et ouïghoures. Comment trouver un terrain d’entente pour que toutes les femmes puissent faire partie de cette journée? Hanna Assouline, fondatrice du collectif, nous répond. 

 

Au sein des Guerrières de la Paix, vous réunissez des femmes issues de différentes communautés religieuses, culturelles, des femmes dont les opinions divergent, des femmes profondément attachées au dialogue. Comment la solidarité entre femmes peut-elle aider à repenser l’empathie et à agir en faveur de l’apaisement des conflits?

C’est notre conviction profonde: le féminisme peut nous accompagner, peut nous réparer. Avec les Guerrières de la Paix, cette solidarité est notre ciment. Et ce n’est pas une incantation, c’est concret. Il suffit d’écouter la parole des principales concernées, des femmes israéliennes et palestiniennes. Leur dignité nous oblige, nous responsabilise. 

Au quotidien, la sororité nous sauve. L’espace des Guerrières de la Paix fédère des personnes juives, musulmanes, athées, et nous permet de continuer à respirer, de continuer à nous projeter, d’incarner une voix encore trop souvent absente dans le débat public. Oui, il est possible de militer pour la paix (notamment au Proche-Orient), d’affirmer pleinement son identité, son attachement à un peuple sans consentir à servir de caution à qui que ce soit. 

Déjà, nous partageons un dénominateur commun, nous sommes toutes des femmes: c’est en partant de notre intime que nous construisons du collectif, notre intime est éminemment politique. Car l’intime est universel. Il ne s’agit pas d’affirmer que les femmes seraient par nature plus empathiques ou plus pacifistes. Cette idée est assez caricaturale et essentialisante. En revanche, nous revendiquons le fait que les femmes ont un rapport de responsabilité à la vie. Une forme de pragmatisme, d’instinct de préservation de la vie. 

Les femmes palestiniennes et israéliennes parlent beaucoup de leur condition de mère comme moteur de leur engagement pacifique. C’était d’ailleurs le nom de la merveilleuse marche à laquelle nous avions participé avec les Guerrières de la Paix le 4 octobre 2023, “l’Appel des mères”…  Cette volonté absolue de sauver et de préserver l’avenir de leurs enfants envers et contre tout est un des fondements de leur engagement.  Elles affirment et savent qu’une mère qui perd un enfant, qu’elle soit israélienne ou palestinienne, ressent la même douleur. Existe-t-il une idée plus déshumanisante que de considérer qu’une mère peut ne pas aimer son enfant ou vouloir le protéger? C’est à cette propagande que nous devons absolument résister pour ne pas perdre notre empathie et notre humanité. 

Je tiens à le signaler: depuis plusieurs semaines, les mises en scène abjectes du Hamas lors des libérations d’otages israéliens avec les images de civils qui célèbrent, ou des enfants qui posent armes à la main, nourrissent dangereusement la déshumanisation des Palestiniens. Beaucoup utilisent ces images pour affirmer que tous les civils sont complices des terroristes. Cette propagande délibérée du Hamas, en plus d’être d’une indécence et d’une violence sans nom pour les Israéliens et les familles d’otages, fait également énormément de mal au peuple palestinien qui a payé le lourd tribut de la guerre et de la destruction. La majorité des Palestiniens, comme tous les humains de la planète, aspirent simplement à vivre dans la dignité, la liberté et la sécurité.  

Cette année, le 8 mars s’organise dans un certain fracas, des groupuscules radicaux voudraient entacher le sentiment de communion qui pourrait naître d’un tel rassemblement. Un communiqué de Samidoun et d’Urgence Palestine largement partagé sur les réseaux sociaux incite à exclure le collectif Nous Vivrons de la marche, prêtant à ce collectif des positions racistes et d’extrême droite… 

Le 8 mars dernier, le contexte était déjà douloureux, pour autant, lors de l’Appel international des femmes pour la paix que nous avons organisé avec les Guerrières de la Paix, on a connu un vrai moment de grâce, un moment de réparation collective où toutes les sensibilités se retrouvaient. Où il était possible d’affirmer ensemble notre pleine solidarité avec toutes les femmes et de reconnaître toutes nos douleurs et nos combats communs. Sans opposition, divisions ou mises en concurrence.

Quand on a appris les violences qu’a subi le collectif Nous Vivrons [un collectif né au lendemain du 7 octobre 2023], nous sommes nombreuses à avoir été bouleversées, certaines se sont effondrées. Au sein des Guerrières de la Paix, nous ne sommes pas du tout sur la même ligne que Nous Vivrons mais nous ne tolérons pas la violence qui les cible, et nous ne pouvons accepter que ces militantes soient attaquées par des groupes fascistes et antisémites. Par ailleurs, Nous Vivrons ne se positionne pas comme un mouvement d’extrême droite, quels que soient nos désaccords politiques profonds avec elles. Ce mouvement n’a rien à voir avec Nemesis [groupe de femmes d’extrême droite racistes]. Nourrir une confusion sur Nous Vivrons qui les criminalise et les fait passer pour des fascistes est dangereux et irresponsable. 

Par ailleurs, il est scandaleux que des mouvements pro-Hamas, fascistes et virilistes, notamment Samidoun, qui s’enorgueillit d’avoir reçu le Prix des Droits de l’Homme de la part du régime iranien, puissent se sentir autorisés de dire qui a sa place ou non dans cette manifestation… 

Dans certains milieux féministes, prend-on conscience de la violence qui s’est abattue sur certaines femmes en raison de leur identité juive? Certaines organisations ont-elles pu s’interroger sur leur capacité à inclure toutes les femmes, à protéger toutes les femmes d’où qu’elles viennent? 

Le mouvement féministe est multiple, avec les Guerrières de la Paix nous dialoguons avec de nombreuses militantes de différentes sensibilités qui se mobilisent le 8 mars. Depuis l’année dernière, j’observe que de plus en plus de féministes ouvrent les yeux, prennent conscience de certaines dérives et pourraient davantage réagir si des violences se produisent, si des personnes sont excommuniées, ce qui, je l’espère, n’arrivera pas. Il y a encore du travail mais nous ne devons pas abandonner et rompre le dialogue. Sinon nous sommes condamnées à la solitude.

Il faut avoir aussi conscience que le 8 mars réunit des collectifs féministes dont les préoccupations sont parfois très éloignées de la guerre en Israël-Palestine, ces mouvements sont mobilisés par un autre agenda, d’autres combats et revendications. Autrement dit, la majorité des féministes qui participent à la marche ne sont pas complices des actions d’Urgence Palestine et, dans la plupart des cas, elles ne savent même pas vraiment de quoi il en retourne. Pour beaucoup d’entre elles, c’est un moment de mobilisation, mais aussi de joie, de partage et de sororité. 

Il faut se méfier des narratifs qui jettent l’opprobre sur tout le mouvement féministe, notamment parce qu’ils nourrissent davantage chez les femmes juives un sentiment d’abandon douloureux qui enferme. Il existe un silence et un abandon, il ne s’agit pas de le minimiser non plus, c’est un fait que nous devons continuer de combattre mais il faut avoir conscience que c’est une minorité qui prend en otage le débat et nous ne devons plus les laisser faire. 

L’inter orga [l’organisation à l’initiative du 8 mars] rassemble de nombreuses organisations féministes notamment la Fondation des Femmes qui, le 8 octobre dernier, a organisé une conférence autour des violences sexuelles du 7 octobre, faisant intervenir Céline Bardet, juriste, spécialiste des crimes de guerre et fondatrice de We are NOT Weapons of War, preuve que des organisations féministes se montrent à la hauteur de leurs valeurs et que le maintien du dialogue peut faire bouger les lignes. 

Aujourd’hui, des groupes fascistes tentent de prendre en otage tous nos espaces de mobilisations et de lutte pour l’émancipation et essayent de dénaturer les principes qui fondent nos luttes féministes et antiracistes. Nous ne les laisserons pas gagner. 

Comment appréhendez-vous ce 8 mars? Par rapport à l’année dernière, que peut-on espérer? 

Plus d’un an après le 7 octobre et quelques mois après l’élection de Trump, nous avons le sentiment de vivre une sorte de retour en arrière avec le constat que la trêve, déjà remise en question, ravive les traumatismes de part et d’autre: les images des libérations d’otages comme celles de familles gazaouies qui errent à travers les décombres continuent d’alimenter  la colère et la  déshumanisation de l’Autre des deux côtés. Trump parle désormais sans la moindre honte d’épuration ethnique et son projet absurde est soutenu et salué par le gouvernement d’extrême droite israélien. 

Ce 8 mars s’inscrit donc dans ce contexte extrêmement inquiétant, c’est pour cela que nous devons tenir bon, continuer à faire exister un espace dans lequel le dialogue et l’empathie cohabitent. Si cette sororité, si cette parole commune cessent, notre refuge s’effondre, nos remparts s’écroulent. Nous ferons tout ce qui est en notre possible pour préserver ce moment, pour que la joie d’être toutes ensemble puisse tout surpasser y compris les tentatives de divisions.

Comment continuer à faire entendre les voix des Guerrières de la Paix et avez-vous le sentiment que cette parole est suffisamment prise au sérieux? 

Nous sommes parfois considérées avec mépris et condescendance, souvent parce que nous sommes des femmes et que nos interlocuteurs peuvent faire preuve de misogynie. Nous sommes aussi décrédibilisées parce que nous sommes pacifistes. Mais militer pour la paix, cela ne veut pas dire encourager tout le monde à se serrer dans les bras, non, cela veut dire pragmatisme, engagement politique et reconnaissance mutuelle. La paix, on ne la désire pas uniquement par altruisme mais aussi par intérêt personnel, on la désire pour continuer à vivre parce qu’il n’y a pas d’autres moyens, parce qu’aucun des deux peuples ne sera amené à disparaître, aucun des deux ne va éradiquer l’autre. Ces deux peuples sont intrinsèquement liés: la liberté, l’indépendance et la dignité des Palestiniens est liée à la sécurité, la liberté et l’indépendance des Israéliens. 

Le défi aujourd’hui reste de réussir à faire plus de bruit pour recouvrir toutes les voix de haine qui nous prennent en otage et nous étouffent.

Propos recueillis par Léa Taieb

Informations pratiques: 

CORTÈGE – 14h00: Grande mobilisation féministe nationale au départ de la Place de la République

PARIS – 17h30: Parvis de la Mairie Paris Centre (2 Rue Eugène Spuller, 75003)

  • Paloma Auzéau

Torn : les affiches qu’ils ne voulaient pas voir

Le documentaire Torn a été diffusé pour la première fois en France le 3 mars au cinéma Balzac à Paris. Ce film poignant explore les raisons derrière l’arrachage des affiches d’otages israéliens après le 7 octobre 2023 et met en lumière la violence de la polarisation du conflit israélo-palestinien à travers des témoignages bouleversants. La projection, organisée par l’association Tous 7 octobre, a été suivie d’une conférence avec le politologue Denis Charbit. Tenoua y était.

 

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