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Les grands‐​mères de Nir Oz à Paris

Pendant une semaine, l’association Les Amis de Nir Oz a organisé la venue de 18 grands‐​mères du kibboutz de Nir Oz à Paris. Elles ont visité les rues étroites et ensoleillées du Marais, arpenté les galeries du Louvre, gravi les marches de la Tour Eiffel. Une semaine pour essayer de créer de nouveaux souvenirs, de penser à autre chose, de danser. Johanna Bantman, David Barouch et Jessica Habib, membres de l’association organisatrice, et la photographe Sasha Malka qui les a suivies, écrivent leurs souvenirs de ces moments.

Publié le 4 avril 2025

8 min de lecture

Les savtot partagent un déjeuner chez Tekes après une matinée au spa © Sasha Malka

À Drora, Bracha, Dafna, Meira, Zmira, Idith, Hanna, Haya, Shoshi, Yocheved, Hayuta, Zipora, Sima, Carmelit, Talma, Estella, Ruth, Tova

Lettre de Sasha

Chères savtot,

Les savtot, c’est comme ça que nous vous appelions avant de vous connaître.
Désormais, chacun de vos prénoms est associé à une voix, un parfum, une histoire.
Nous vous attendions, fébriles, mais prêts.
Prêts à mobiliser toutes nos forces, à vous envelopper et à transformer, autant que possible, la peine en amour.
À travers l’objectif de mon appareil photo, j’ai eu le privilège de vous découvrir, de vous connaître et de vous aimer.
À chaque déclenchement, je m’imprégnais de votre délicatesse, votre pudeur, votre douceur, votre générosité et votre fragilité.
Vous vous amusiez de mes clics incessants — c’était ma façon à moi de freiner le présent, de graver ces moments, de les rendre tangibles, immuables et éternels.
J’ai zoomé pour me nicher au plus près de vous.

Drora Bahat et Tova Zahavi se dirigent vers la place des Vosges où des pâtisseries attendent les savtot © Sasha Malka

J’ai vu des regards s’illuminer d’éclats nouveaux, des lèvres se retrousser et découvrir des sourires. J’ai vu des larmes de tristesse accueillir des gouttes de joie, des rires repousser, un instant, le poids de la douleur, des mains s’entrelacer, des bras se soutenir. J’ai vu des pas s’aligner, des corps gravir des étages, jusqu’au sommet de la Tour Eiffel. Le plus fou c’est qu’il ne s’agit pas d’une métaphore : nous avons vraiment monté les marches de la Dame de fer. Et, un soir de shabbat, j’ai vu des âmes danser.

Peut être était‐​ce parce que, pour la première fois, nous nous retrouvions ensemble dans un véritable foyer, chez Ginette, la maman de notre accompagnante adorée, Jessica. L’accordéoniste a soufflé ses premières notes, la voix de la chanteuse s’est élevée, et sous le bruit, dans l’effervescence, j’ai vu vos corps dessiner un acte de vie, un sursaut de lumière, un geste de résilience. La vapeur discrète de la vie qui déborde a fait naître de la buée sur vos lunettes. Vos mains ont applaudi, vos jambes fatiguées ont quitté le sol pour mieux y taper la mesure. Vous étiez là, en mouvement, au centre, lumineuses. 

Dans un mouvement cathartique, où le corps exulte ce que les mots taisent. Où la mémoire danse aussi, pour honorer les absents, pour remercier la vie, pour reprendre souffle. 

Yosheved Lifshitz et Zmira Ben Yossef partagent une danse lors du shabbat chez Ginette © Sasha Malka

Certaines ont dansé une seule fois, répondant à l’invitation discrète d’une main tendue. Chez d’autres, la danse était dans un regard, un battement de main, un léger balancement d’épaule. Celles pour qui danser était encore trop difficile. Trop tôt. Elles n’ont pas dansé, mais elles ont vu que la vie, parfois, revient, qu’elle peut circuler dans une étreinte. Qu’on ne guérit pas, mais qu’on respire encore. Une permission, un frémissement d’avenir. 

Il n’y avait ni règles, ni attentes. Juste des élans, des respirations, des instants vécus — ou regardés, partagés, ressentis. 

Hayuta, après Shabbat tu m’as dit : « Tu te rends compte Sasha ? Nous avons dansé ? C’est un miracle, un miracle…! »

Lettre de Johanna 

Mes chères savtot de Nir Oz,

Je me souviendrai toujours de cette après‐​midi de soleil dans les rues du Marais. Paris était douce ce jour‐​là. On a marché lentement, par petits groupes, sans programme précis. Et pour une fois, c’est vous qui avez choisi. C’est peut‐​être un détail, mais j’ai compris à ce moment‐​là que ce n’était pas si fréquent qu’on vous demande simplement ce que vous vouliez faire. Vous étiez curieuses, attentives, libres. Vous entriez dans les cours, lisiez les pancartes, posiez des questions sur les styles vestimentaires des Parisiennes, découvriez les expositions éphémères.

Zipora Rubin et Ruth Munder visitent la rue des Rosiers après le déjeuner au Café des Psaumes © Sasha Malka

Drora cherchait une paire de chaussettes. Pas n’importe lesquelles. Un modèle précis, acheté lors d’un voyage en Europe avec sa sœur, en octobre 2023, et qui a brûlé avec sa maison le 7 octobre. 

Hayuta, elle, a vu ma bague. Elle m’a parlé de celle qu’elle portait, avant. Elle m’a raconté que les seuls bijoux qu’il lui restait étaient ceux qu’elle portait ce matin‐​là, quand elle est restée enfermée neuf heures dans le mamad de sa maison, à Nir Oz. Chaque détail de votre quotidien semble aujourd’hui relié à ce jour. À ce qui a été perdu. À ce que vous portez encore.

Comme vous le dites si souvent : Nir Oz, c’était un paradis. Des enfants partout, des animaux, des fleurs, des cactus. Il ne reste plus rien. Et pourtant… il reste vous. Et il reste la vie.

Yosheved Lifshitz, Edith Interator, Tova Zahavi, Haya Kliengbiel et Sima Baruch lors de la visite du château de Versailles © Sasha Malka

Cette semaine à vos côtés a été une leçon de vie. Une plongée dans la dignité, la tendresse et la puissance silencieuse. Vous incarnez la résilience, dans sa forme la plus bouleversante.

Je repars avec le cœur rempli. Et avec une responsabilité : transmettre. Raconter votre histoire, dans son entièreté. Pas seulement celle du 7 octobre. Mais aussi celle d’avant. Et surtout celle d’après.

Pas pour pleurer. Mais pour réveiller les consciences. Pour dire que l’espoir existe, même là où tout semble détruit.

Lettre de David

À mes pionnières chéries de Nir Oz,

Le 24 mars, vous êtes arrivées avec vos blessures invisibles, vos silences lourds de souvenirs, vos regards chargés de ce qu’aucun mot ne peut vraiment traduire. Chacune de vous porte en elle une histoire singulière, un éclat unique, une force forgée dans l’épreuve. Et pourtant, ensemble, vous formez un tout indissociable, un groupe qui respire d’un même souffle, uni par la douleur et par la volonté de vivre.

Hayuta Zilberman, Zipora Rubin, Zmira Ben Yossef et Shoshana Mehrez lors de la visite du château de Versailles © Sasha Malka

18 nuances de vie. 18 manières d’avancer, de sourire malgré tout, d’aimer encore. Chacune avec sa couleur, son rythme, sa façon d’exister. Certaines marchent en tête, d’autres suivent en silence, mais aucune ne reste en arrière. Il y a dans ce groupe une alchimie subtile, un équilibre fragile entre l’individu et le collectif, entre l’intime et le partagé.

Et c’est là que m’est venue la devise de la Comédie Française : "Simul et Singulis", “Être ensemble et être soi”. Vous en êtes l’incarnation parfaite. Vous avancez en chœur, mais sans jamais vous effacer les unes les autres. Groupe soudé, vous incarnez une sororité née du drame, et pourtant, aucune ne perd son identité propre. Le courage de l’une n’éclipse pas la fragilité de l’autre, la parole de l’une n’étouffe pas le silence de sa voisine. Vous vous portez, vous relevez, vous soutenez, sans jamais vous confondre.

Drora Bahat prend un rayon de soleil à la sortie du château de Versailles © Sasha Malka

J’ai vu briller en vous une candeur enfantine lors du tour culinaire de Bastille au Marais, une joie pure à chaque bouchée. Votre émerveillement s’est déployé comme un tableau impressionniste lors de la croisière sur la Seine, sous les arches majestueuses des 22 ponts qui racontent l’histoire de Paris. Et que dire de votre éblouissement face aux splendeurs du château de Versailles, où les dorures semblaient faire écho à votre propre éclat intérieur, à votre dignité lumineuse ? Il y eut aussi cette émotion intense à la grande Synagogue de la Victoire, un moment suspendu entre la mémoire et la quête de sens, où le poids du passé se mariait avec la résilience du présent. Un instant de recueillement, de force et de communion. Puis la rencontre avec les enfants de l’École Juive Moderne. Certaines ont transmis des recettes aux enfants dont le visage était barbouillé de chocolat sous votre approbation malicieuse, quand d’autres ont raconté aux plus âgés la vie du kibboutz, ce qu’être ensemble veut dire, ce que la nature peut offrir de plus précieux. 

Les pionnières, mes sacrées Pin up tous terrains, vous êtes ce qu’il y a de plus vivant au monde. Vous regardez la vie droit dans les yeux. Vous avancez, ensemble et chacune à sa manière, porteuse d’une même flamme, intacte malgré tout.

À vos côtés, j’ai vu la vie dans ce qu’elle a de plus brut, de plus vibrant. J’ai vu la douleur se transformer en force, l’absence en présence, la peur en élan. Jamais vous ne tournez le dos au passé, vous le regardez en face, en choisissant malgré tout d’avancer, parce que “Ein brira”, “Il n’y a pas le choix”. 

Lettre de Jessica

Chères savtot chéries, 

Jusqu’au 24 mars à 15 heures, pour moi, vous étiez des pionnières et des survivantes de Nir Oz. Et c’était déjà émouvant de vous accueillir et de vous rencontrer. Huit jours plus tard, vous êtes celles grâce à qui j’ai ressenti au plus profond de moi‐​même que, quoiqu’il arrive, la vie est plus forte que tout. Et c’est certainement l’un des plus beaux cadeaux que j’aie jamais reçus. 

Hayuta Zilberman, Dafna Margalit, Ruth Munder, Hanna Margalit, Tova Zahavi, Zipora Rubin et Carmelit Pauker reçues par le rabbin Moshe Sebbag à la synagogue de la Victoire © Sasha Malka

Après quelques jours vous avez commencé à parler, à nous raconter des bribes de vos drames, entre deux sourires, entre deux silences. À vous observer, nous avons retracé toute une vie communautaire. Nous avons compris la puissance du lien qui vous lie, vous les pionnières, et comment les pertes des unes sont vos pertes à toutes.

Après quelques jours, vous avez semblé accepter de prendre de la distance, de laisser se reposer vos souffrances, ne serait‐​ce qu’un instant, pour créer de la place pour du doux.

Vous avez commencé à accepter notre main pour descendre du bus, notre bras pour vous rassurer dans la rue.

Après quelques jours, vous nous avez accueillis à bras ouverts le matin et appelés par nos prénoms.

Vous avez demandé à aller dans un magasin de souvenirs parisiens. Vous vous êtes alors transformées en petites filles dans un magasin de jouets. Onze bérets de couleurs différentes pour l’une, 20 paires de chaussettes pour l’autre, des boules à neiges, des magnets par dizaine.Vous alliez pouvoir ramener des cadeaux et des souvenirs pour vos proches. C’était un vrai spectacle de vous regarder vous animer devant ces objets auxquels nous ne prêtons pas attention d’ordinaire.

Puis le dernier jour, alors même que nous étions tous saisis par l’émotion des au revoir, vous nous avez dit que vous nous aimiez, vous nous avez offert des cadeaux et dit que c’était triste de nous quitter. C’était vibrant de vie.

Haya Kliengbiel lors de la visite de la Tour Eiffel © Sasha Malka

Vous me manquez déjà tant. J’ai beaucoup pleuré avant votre départ, mais aujourd’hui, alors que j’ai pris la décision de venir vous voir bientôt, je ne pleure plus. 

Ce n’est la fin de rien du tout. Au contraire, c’est le début de la suite de l’histoire.

Chacun de vos sourires, de vos bisous, de nos câlins, de nos échanges et de nos regards ont rempli mon cœur de chaleur et de force.

Vous êtes belles, vous êtes fortes, vous êtes drôles, vous êtes attentives et tellement généreuses. Vous êtes mes héroïnes. C’est une chance inestimable de vous connaître.

Je vous aime

We will dance again

Ruth Munder, Carmelit Pauker et Meira Zehavi, à la sortie du Louvre © Sasha Malka

Le 6 avril, Les Amis de Nir Oz organisent un Gala “Tous ensemble, redonnons vie à Nir Oz”
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