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Illana Weizman : Interroger le post‐partum

AprĆØs avoir co‐​crƩƩ le hashtag #MonPostPartum et face Ć  la libĆ©ration de la parole que cela a provoquĆ©, Illana Weizman s’est attelĆ©e Ć  la rĆ©daction d’un essai sur cette pĆ©riode de la vie d’une mĆØre passĆ©e sous silence dans notre sociĆ©tĆ©. La doctorante en sociologie et militante fĆ©ministe en dĆ©fait les mythes, en dĆ©monte les tabous et s’attaque Ć  rendre visible le post‐​partum, n’en dĆ©plaise aux censeurs. Une lecture libĆ©ratrice.

PubliƩ le 4 mars 2021

4 min de lecture

Ā© Yoanna Blikman

En fĆ©vrier 2020, vous lancez avec trois amies militantes le hashtag #MonPostPartum en rĆ©action Ć  la censure d’une publicitĆ© amĆ©ricaine pour des produits post-partum1… Ce cri technologique a eu l’effet d’une bombe !

J’étais trĆØs en colĆØre de voir que cette publicitĆ© anodine ait pu ĆŖtre censurĆ©e. Car ce n’étaient pas les images qui l’étaient, mais le post‐​partum en soi qui posait problĆØme, on ne pouvait ni l’afficher, ni en parler. Deux ans auparavant, j’avais vĆ©cu le mien, long et douloureux, et j’ai alors rĆ©alisĆ© que nous n’avions ni reprĆ©sentations ni modĆØles auxquels nous raccrocher, contribuant ainsi Ć  ce qu’on se sente mal, anormales, isolĆ©es… Par rĆ©action Ć©pidermique, j’ai donc postĆ© des photos de moi en culotte‐​filet sur les rĆ©seaux sociaux2 et au vu des tĆ©moignages suscitĆ©s, j’ai su que c’était un sujet Ć  creuser. Nous avons alors lancĆ© le hashtag #MonPostPartum. En 24 heures, plus de 10 000 personnes l’avaient utilisĆ©. Puis j’ai reƧu cette proposition Ć©ditoriale permettant de passer du temps des rĆ©seaux, plus spontanĆ© et intense, Ć  celui de l’analyse posĆ©e afin de comprendre ce tabou, en tirer les ficelles pour admettre qu’il y a tout un systĆØme qui nous met lĆ  et savoir comment on en sort aussi.

Cette invisibilitĆ© du post-partum, que dit-elle de notre sociĆ©tĆ© ?

Cela dit que le post‐​partum est impensĆ© comme s’il n’existait pas. Et de faire croire que la pĆ©riode post‐​accouchement n’existe pas, cela signifie que les femmes sont enjointes Ć  enfanter (sous peine de ne pas ĆŖtre de vraies femmes). C’est notre assignation suprĆŖme de genre. Mais ce qui se passe derriĆØre, dans nos corps et nos esprits, cela, on refuse de le voir. Quand on dĆ©ploie des assignations aussi puissantes, il faut une mythologie autour qui le soit tout autant. Celle que l’on retrouve dans les sociĆ©tĆ©s occidentales lie la souffrance Ć  la condition de la femme mais aussi Ć  celle de la mĆØre. Il y a cette idĆ©e de la mĆØre sacrificielle dont l’individualitĆ© n’existe plus quand son enfant naĆ®t et qui doit s’effacer face Ć  l’existence et aux besoins de cet ĆŖtre ; et cela va plus loin en ce qu’elle n’a pas le droit de s’en plaindre. Car s’en plaindre ce serait – on me l’a reprochĆ© – cracher aux visages de femmes qui ne peuvent pas avoir d’enfant ou qui ont des difficultĆ©s plus grandes que les siennes. Un seul discours est autorisĆ© quand on est mĆØre : celui du bonheur maternel, de l’extase et de la plĆ©nitude. C’est faux ! Je dis que la maternitĆ© peut ĆŖtre exaltante mais est aussi synonyme de grande solitude, d’aliĆ©nation. Et Ƨa, ce n’est pas audible.

Ceci est notre POST-PARTUM,
DĆ©faire les mythes et les tabous pour s’émanciper,
Hachette Livre (Marabout), 2021, 17,90 ā‚¬

Le corps dĆ©formĆ© aprĆØs l’accouchement, avec les fluides qui s’en Ć©chappent, ne peut pas, lui non plus, ĆŖtre montrĆ© ?

Ce corps participe du tabou de l’expĆ©rience post‐​partum au global parce que, tout d’abord, il n’est plus esthĆ©tique et ne rĆ©pond plus aux standards de beautĆ© conventionnelle. Il offre un ventre affaissĆ©, dĆ©gonflĆ©, qui n’est plus tendu et glorieux comme lorsqu’on est enceinte. Il y a des vergetures, des marques et, effectivement, des fluides ; or on connaĆ®t les tabous qui pĆØsent notamment sur le sang utĆ©rin. Ensuite, ce corps n’est plus productif. Et, dans cette sociĆ©tĆ© patriarcale et capitaliste, le corps d’une femme doit l’être pour gĆ©rer le foyer, la charge parentale, la charge sexuelle. Mais ce corps n’est plus disponible Ć  la sexualitĆ©, tout du moins dans un premier temps, Ć  cause des pertes de sang, parce que le pĆ©rinĆ©e est diminuĆ© et qu’il n’y a pas de libido aprĆØs qu’un nourrisson est passĆ© par notre vagin –pourtant on fait face Ć  la culpabilisation et l’injonction des gynĆ©cologues et sages‐​femmes Ć  vite reprendre une sexualitĆ©. Donc ce corps qui n’est plus ni esthĆ©tique ni productif, n’a plus rien pour lui. De plus, il a rempli sa fonction premiĆØre qui est d’enfanter.

L’imprĆ©paration des femmes Ć  la maternitĆ© est l’une des problĆ©matiques. Documenter et enseigner la matrescence est-elle une solution ?

On nous prĆ©pare Ć  l’accouchement pendant plusieurs semaines mais l’accouchement lui‐​mĆŖme n’est circonscrit qu’à quelques heures. A contrario, on ne nous prĆ©pare pas du tout Ć  l’aprĆØs qui dure pourtant beaucoup plus longtemps. Quand je reprends dans le livre le terme de matrescence ā€“ dĆ©veloppĆ© par une antropologue amĆ©ricaine, Dana Raphael, dans les annĆ©es soixante‐​dix – c’est vraiment l’idĆ©e du passage identitaire de la femme Ć  la mĆØre, comme Ć  l’adolescence l’enfant passe Ć  l’âge adulte. Ce changement est neurologique, culturel, sociĆ©tal et dĆ©finitif, puisqu’on ne retrouve jamais notre identitĆ© prĆ©cĆ©dente, mĆŖme si on essaie de recoller les deux. Nous ne sommes pas prĆ©parĆ©es Ć  ce bouleversement, ni accompagnĆ©es par la sociĆ©tĆ© dans son ensemble – il s’agit pourtant bien de politique globale. Et l’idĆ©e serait que les pĆØres soient aussi impliquĆ©s que les mĆØres, que la sociĆ©tĆ© fasse en sorte qu’ils le soient. Ce serait la patrescence, car l’instinct maternel n’est ni gĆ©nĆ©tique, ni biologique.

Le combat passe-t-il par le militantisme ?

Si c’est moins vrai aujourd’hui, pendant un temps, quand on devenait mĆØre, on sortait du champ du fĆ©minisme. Mais, depuis 2017 en France, on voit beaucoup de militantes s’emparer de ces questions de la maternitĆ©. La maternitĆ© est politique, l’intimitĆ© est politique, nos grossesses et nos expĆ©riences corporelles sont politiques, nos corps le sont aussi et c’est de plus en plus revendiquĆ©. J’ai lu rĆ©cemment La Puissance des mĆØres de Fatima Ouassak3, qui traite de l’intersection entre la maternitĆ© et le racisme ; la sociologue israĆ©lienne Orna Donath a Ć©crit un ouvrage, Le regret d’être mĆØre4, sur des femmes qui ne sont pas dans l’ambiguĆÆtĆ© mais le regret maternel. La problĆ©matique du post‐​partum existe en soi mais vient avec tout un tas d’autres Ć©lĆ©ments qui ne vont pas dans le sens d’une maternitĆ© merveilleuse, fluide, exaltante : la PMA, les fausses couches… Il y a un renouveau sur ces questions de maternitĆ© que je trouve revigorant.

Propos recueillis par NoƩmi Lecoq

1. Frida Mom , Oscars Ad Rejected (retour au texte)
2. Instagram (retour au texte)
3. La puissance des mĆØres, Pour un nouveau sujet rĆ©volutionnaire, La DĆ©couverte (retour au texte)
4. Le regret d’être mĆØre, Odile Jacob (retour au texte)