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Fake news et guerre en Israƫl, revenir aux fondamentaux
PubliƩ le 24 octobre 2023

5 min de lecture

Entretien de Lucie Spindler avec Raphael Grably, rƩdacteur en chef adjoint Ơ BFM Business, en charge de Tech and Co et de la tech sur BFMTV.

AprĆØs l’explosion Ć  l’hĆ“pital Al-Ahli de Gaza, vous avez Ć©crit sur X (anciennement Twitter) que cet Ć©vĆ©nement est ā€œun dĆ©fi inĆ©dit en matiĆØre de vĆ©rification de l’infoā€. Pourquoi?

Il y a eu un mĆ©lange assez inĆ©dit. D’une part, on a vu une profusion d’informations qui peut ĆŖtre assez positive. De nombreuses vidĆ©os ont Ć©tĆ© mises en ligne trĆØs rapidement sur X et diffusĆ©es partout. Ces vidĆ©os, aprĆØs vĆ©rification, sont des outils indispensables pour mener une enquĆŖte en sources ouvertes. Les enquĆŖtes en sources ouvertes utilisent les ressources librement accessibles en ligne pour essayer d’enquĆŖter sur un sujet. C’est ce que font beaucoup de journalistes. Ils peuvent voir une vidĆ©o, regarder l’horodatage de cette vidĆ©o, ensuite aller comparer sur Google Maps pour voir si les bĆ¢timents ont la mĆŖme forme,pour confirmer que c’est au bon endroit. Ces techniques d’enquĆŖte en sources ouvertes s’appuient sur la diffusion massive d’informations.

Mais il faut aussi souligner le cĆ“tĆ© nĆ©gatif de cette profusion d’informations : la nouvelle politique de X permet Ć  n’importe qui d’acheter un badge de certification et donc il est trĆØs compliquĆ© de savoir qui est sĆ©rieux ou pas. Auparavant, les badges de certification Ć©taient donnĆ©s par Twitter avec un processus sĆ©lectif, que ce soit pour des personnalitĆ©s militantes ou journalistiques. Il y avait une sorte de gage de sĆ©rieux. LĆ , tout le monde peut acheter son badge. Donc mĆŖme les journalistes sĆ©rieux se font intoxiquer. Cela provoque une rĆ©action en chaĆ®ne. Et une fois qu’il y a un journaliste sĆ©rieux qui est intoxiquĆ©, il intoxique tous les autres, puisqu’il est rĆ©putĆ© sĆ©rieux. 

Donc on a assistĆ© Ć  une crise de confiance totale dans les comptes, mais aussi une profusion d’informations, qui m’ont fait dire Ć  ce moment‐​lĆ  qu’on Ć©tait dans un Ć©vĆ©nement particulier et qu’il Ć©tait impossible d’émettre le moindre jugement. Par contre, plusieurs mĆ©dias dont Le Monde, LibĆ©ration, le Guardian ont rĆ©ussi Ć  faire des enquĆŖtes en sources ouvertes. Sans dresser d’analyse totalement dĆ©finitive, ils ont rĆ©ussi Ć  montrer que les informations circulant initialement Ć©taient probablement fausses. 

Ces mĆ©canismes sont amplifiĆ©s par des biais de confirmation. On est enfermĆ©s de faƧon algorithmique dans des bulles de filtres. On voit ce qui va dans notre sens et donc on est persuadĆ©s d’avoir raison tout de suite. C’est pour cela qu’on a vu des tweets de politiques qui ont tout de suite repris une version en Ć©tant persuadĆ©s que c’était la bonne. Une fois que vous avez des dĆ©putĆ©s qui reprennent l’information, beaucoup de personnes se disent qu’elle est forcĆ©ment vraie.

Selon vous, pourquoi les plateformes ne jouent-elles pas leur rĆ“le de modĆ©ration dans cette guerre informationnelle? Est-ce un problĆØme de moyens humains ou une volontĆ© politique? 

Les deux existent et parfois de maniĆØre cumulĆ©e. Je pense que du cĆ“tĆ© de Facebook, Youtube, TikTok, ce sont essentiellement des questions financiĆØres. Youtube et Facebook font tout de mĆŖme des efforts. Mais il faut se rendre Ć  l’évidence : sur un rĆ©seau social avec un ou deux milliards d’utilisateurs, mĆŖme avec beaucoup de modĆ©rateurs humains, ce n’est pas possible de modĆ©rer et donc ils se reposent sur des algorithmes. Or ces algorithmes sont extrĆŖmement imparfaits et laissent passer beaucoup de choses. Si vous avez 10 milliards de contenus publiĆ©s dans une journĆ©e et que vous en laissez passer 1%, cela fait quand mĆŖme beaucoup de contenus. C’est valable pour les fausses informations, mais surtout pour les images violentes qu’on a vu aprĆØs l’attaque du Hamas et qui sont toujours en ligne. 

Twitter c’est un cas particulier, parce que c’est Ć  la fois un manque de moyens humains (Elon Musk a licenciĆ© quasiment toutes les Ć©quipes de modĆ©ration) et Ć  la fois une volontĆ© de ne pas modĆ©rer. Cela les arrange bien financiĆØrement, leur permettant de justifier leur absence de modĆ©ration. Mais eux, ils assument. Ils laissent volontairement des vidĆ©os qui sont illicites (avec parfois des corps sans vie)… Ils ne veulent pas modĆ©rer et c’est pour cela qu’il y a un conflit avec l’Union EuropĆ©enne. Il y a une enquĆŖte en cours qui concerne Twitter (mais aussi Meta et Tik Tok). Twitter est particuliĆØrement ciblĆ© par Bruxelles. 

Comment se dƩploie la guerre informationnelle sur les rƩseaux sociaux? Quels moyens numƩriques sont utilisƩs par le Hamas et par Israƫl?

Des deux cĆ“tĆ©s, il y a des outils qui sont utilisĆ©s. Le Hamas utilise la terreur puisque c’est un mouvement terroriste qui cherche Ć  terroriser. Comment on terrorise ? En montrant des vidĆ©os de gens qui se font massacrer et des cadavres. Cela passe d’abord par Telegram, car sur Telegram il y a peu de modĆ©ration. Elles sont ensuite rediffusĆ©es par des soutiens du Hamas mais aussi paradoxalement par des soutiens d’IsraĆ«l, et notamment par une partie de l’extrĆŖme-droite franƧaise. Ils les prĆ©sentent comme des vidĆ©os qu’il faudrait voir pour comprendre ce dont le Hamas est capable mais Ć©videmment sans traitement journalistique, sans prĆ©cautions qui consisteraient Ć  prĆ©venir, Ć  flouter, Ć  prĆ©server la dignitĆ© des victimes et Ć  ne pas simplement servir la propagande du Hamas. On retrouve ces vidĆ©os de propagande soit par des islamistes, soit par l’extrĆŖme-droite. Cela part de Telegram, puis est repris sur X. 

Du cĆ“tĆ© du gouvernement israĆ©lien, c’est assez diffĆ©rent. On a plutĆ“t observĆ© des techniques de publicitĆ©. Il y a la volontĆ© de montrer ce qui se passe. Le gouvernement israĆ©lien a notamment publiĆ© des photos de bĆ©bĆ©s calcinĆ©s avec des messages d’avertissement. Ils ont aussi investi dans des moyens mis Ć  disposition par les plateformes : des annonces publicitaires sur Twitter, Facebook, Youtube, des jeux vidĆ©os (par exemple Candy Crush). En fait, ils ont investi la publicitĆ© pour raconter ce qu’il s’est passĆ©, revenir sur les attaques du 7 octobre. On a observĆ© des publicitĆ©s venant directement du gouvernement israĆ©lien, du ministĆØre des Affaires Ć©trangĆØres qui a achetĆ© des espaces publicitaires sur les plateformes en ligne et sur des jeux vidĆ©o.

Quels conseils donnez-vous aux utilisateurs des rĆ©seaux sociaux pour se protĆ©ger des fake news dans la pĆ©riode actuelle (et pour s’informer correctement)?

Malheureusement, cela est de plus en plus compliquĆ© car ces fake news sont reprises par des comptes qu’on pouvait penser sĆ©rieux. Il y a quelques annĆ©es, sur Twitter, un compte qui Ć©tait certifiĆ© Ć©tait gage de sĆ©rieux. Un dĆ©putĆ© faisait attention Ć  ce qu’il publiait. Aujourd’hui, on est dans un tel besoin de rĆ©activitĆ© que les politiques veulent rĆ©agir tout de suite. Il y a une co‐​intoxication entre les comptes non sĆ©rieux qui se font passer pour des comptes sĆ©rieux, les politiques qui veulent absolument satisfaire un Ć©lectorat. Ce n’est pas parce qu’on a une information qui est largement diffusĆ©e qu’elle est vraie, ce n’est pas parce qu’on a une information qui vient d’un compte avec un badge bleu qu’elle est vraie, ce n’est pas parce qu’on a une information mise en ligne par un politique qu’elle est vraie ā€¦ 

Il faut essayer de recouper les sources Ć  sa faƧon. Si on se dit qu’un mĆ©dia est potentiellement engagĆ©, ou a une volontĆ© militante, alors il faut multiplier les mĆ©dias. Il faut lire des mĆ©dias qui ont des Ć©quipes sur le terrain, des mĆ©dias internationaux, des mĆ©dias britanniques. Il faut essayer d’avoir le plus de sources possibles pour essayer d’y voir clair. Dans un conflit comme celui‐​lĆ , c’est extrĆŖmement difficile. HonnĆŖtement, pour le citoyen, on est Ć  une pĆ©riode trĆØs compliquĆ©e. Je crois qu’il faut un retour aux fondamentaux.