Pourquoi faire exister ce film? Pour lui faire dire quoi?
C’est en écoutant les témoignages autour de nous, en particulier, celui de Galith (qui apparaît dans le film) qui, à partir du 7 octobre, ne sortait plus de chez elle. Grande gueule d’ordinaire, elle a ressenti une peur qui lui était complètement étrangère.
Assez instinctivement, on a décidé de donner la parole à cette génération qui en une journée, a perdu ses repères, ses identités multiples, qui ne savait plus comment se situer, comment faire cohabiter identité juive et identité française. C’est aussi une génération qui avait été relativement épargnée, qui n’avait jamais été confrontée à une telle tragédie.
On a pris un canapé, on a préparé des questions très simples comme “Tu as peur d’être juive?”, “Tu voudrais ne plus l’être?”, “Comment tu vois l’avenir?” et on a réuni une dizaine de jeunes, des religieux, des laïques, des Parisiens de gauche comme de droite, des amis comme des amis d’amis.
Le jour du tournage, c’était surtout une réunion de tristes anonymes qui se retrouvaient pour faire famille: sans se connaître, on était tous affectés de la même manière.
Mais, au moment du montage, on avait le sentiment qu’il manquait une voix dans le film. Comme s’il manquait une réponse, des réponses. Dans les mois à venir, nous pourrions réaliser une suite de ce film pour donner la parole à d’autres, une deuxième partie.
Quel pourrait être le fil narratif de cette deuxième partie?
On pense qu’il faudrait donner la parole à des non-Juifs, à des personnes qui pourraient ne pas comprendre la situation des Juifs depuis les massacres du 7 octobre.
Après la journée de tournage (pendant laquelle douze jeunes Juifs meurtris ont partagé leur expérience), on a pu échanger avec l’ingé-son, le cadreur et le chef-opérateur qui n’étaient pas juifs. Et, ensemble, on a compris que c’était la première fois qu’ils avaient accès à ces témoignages, qu’avant ce tournage, ils n’avaient pas les clés pour comprendre ce que pouvaient traverser les Juifs de France. Après cette discussion, on avait l’impression qu’ils étaient presque passés de notre côté, qu’ils avaient pris conscience de quelque chose et qu’ils pourraient le partager autour d’eux.
Dans le film, on pose la question: est-ce que tu as reçu des messages de tes proches non juifs? La plupart répondent qu’une ou deux personnes leur ont écrit pour manifester leur solidarité. Une ou deux personnes ont compris la douleur, le chagrin, le besoin d’empathie et de soutien. Je pense que l’on peut rompre cet isolement en partageant ces témoignages, en rendant plus audible cette parole. Ce film n’a pas été pensé pour rester au sein de la communauté juive, il a été pensé pour faire entendre la voix de jeunes Juifs de France, pour créer du dialogue.
Nous sommes le 8 octobre, un an après le 7 octobre, qu’auriez-vous changé si vous aviez dû réaliser ce film aujourd’hui?
On a l’impression d’avoir tourné avant-hier comme si on en était toujours au même point, avec une peine toujours plus immense. Un mois après le 7 octobre, les personnes qui ont témoigné étaient peut-être encore trop sous le coup de l’émotion, encore paralysées par l’horreur. Et, en même temps, dès le mois de novembre, certains esquissent déjà l’idée d’une paix, d’un espoir. Et cette idée, on la retrouve beaucoup dans leur attachement à la France, le pays auquel ils appartiennent, envers lequel ils se sentent reconnaissants a l’instar de cette jeune femme de 25 ans, professeure de français. La plupart envisage de rester en France.
Vous pouvez voir le film ici.
Propos recueillis par Léa Taieb